La sécurité privée doit devenir un acteur majeur de la sécurité de proximité

Thierry Coudert a été nommé Délégué aux Coopérations de sécurité en juin 2014. 8 mois après cette nomination, quel est son bilan par rapport à la feuille de route qu’il s’était donnée, quelles sont ses priorités ? 
Entretien exclusif.

Vous êtes depuis maintenant 8 mois à la tête de la Délégation aux Coopérations de Sécurité. Quelles sont les principales réalisations que vous avez pu mener à bien ?

Dès ma nomination en juin dernier au poste de Délégué aux coopérations de sécurité, le Ministre de l’intérieur m’a demandé de concevoir une réforme globale de la sécurité privée. J’ai donc rencontré tout au long de l’été l’ensemble des acteurs du secteur afin de recueillir leurs analyses et de formuler un certain nombre de propositions enrichies d’ailleurs par certaines des réflexions qui avaient pu émerger lors de la phase de concertation qui avait précédé mon arrivée.

Au terme de cette période d’intenses discussions, j’ai ainsi pu proposer au Ministre de l’Intérieur un ensemble de mesures concrètes en faveur du secteur, propres à lui faire réaliser un saut qualitatif tout en veillant à ne pas alourdir inutilement les charges financières des entreprises.

L’essentiel du dispositif a été présenté par le Ministre de l’Intérieur, Bernard CAZENEUVE, lors du discours qu’il a prononcé devant les troisièmes assises de la sécurité privée le 8 décembre 2014.

Le projet de réforme prévoit notamment d’intégrer la formation, jusqu’alors maillon faible de la sécurité privée, ainsi que le conseil en sécurité au périmètre du code de la sécurité intérieure et d’instituer une obligation de formation continue dont l’effectivité conditionnera le renouvellement de la carte professionnelle.

Le gouvernement prévoit également de renforcer la professionnalisation et la moralisation en instituant notamment une obligation de certification pour l’ensemble des organismes de formation.

Par ailleurs, le principe d’exclusivité sera amendé pour permettre aux transporteurs de fonds de convoyer tout type de marchandises dans les conditions du transport de fonds. Dans un souci de rationalité, sera mis en place un assouplissement des règles d’emploi d’agents doublement qualifiés, sécurité incendie (SSIAP) et sécurité privée, dans les  établissements recevant du public et les immeubles de grande hauteur. Cette mesure très attendue est de bon sens dès lors que certains « garde fous » réglementaires sont bien posés pour ne jamais sacrifier la sécurité incendie.

Enfin, afin de faire de la sécurité privée un acteur majeur de la sécurité de proximité, une politique de développement des coopérations opérationnelles entre les services (forces de sécurité de l’État, polices municipales et sécurité privée) sera menée, dans le respect des prérogatives de chacun.

Quelles sont vos priorités pour les mois à venir ?

Ma priorité est de conduire cette réforme à son aboutissement qui se fera par la voie législative pour certaines dispositions et par le recours aux décrets pour l’essentiel voire aux circulaires. En effet, le Ministre de l’intérieur nous a non seulement fixé une feuille de route mais également un calendrier : le premier semestre 2015 !

D’ores et déjà deux circulaires ont été signées par le Ministre : la première relative aux transports de fonds ; la seconde relative à la levée de doute en matière de vidéo-protection, afin de donner aux professionnels une interprétation claire des indices matériels pouvant justifier un recours aux forces de sécurité publique.

Par ailleurs, la Délégation aux coopérations de sécurité est investie sur l’ensemble de son champ de compétences. Elle est notamment particulièrement impliquée dans la préparation de l’Euro 2016, événement sportif de masse qui requiert en amont une préparation rigoureuse. J’anime un groupe de liaison, mis en place au sein du ministère de l’intérieur, concernant l’emploi de la sécurité privée à l’occasion de l’EURO 2016. Il associe l’organisateur de la compétition, les acteurs institutionnels concernés de l’État, le club des sites ainsi que les organisations professionnelles de la sécurité privée.

À ce jour j’ai réuni 5 comités « Euro 2016 » dont le travail a permis de mettre en lumière les besoins importants en effectifs de sécurité privée, notamment pour la sécurisation des fan-zones, au-delà des ressources actuellement disponibles. Nous réfléchissons activement au sein de ce comité à augmenter le vivier par la mobilisation de ressources par exemple de la réserve de second niveau de la Gendarmerie nationale, les étudiants, les licenciés de sports de combat….

La création d’un CQP « grands événements» de 77 heures (au lieu des 140 heures exigées pour le CQP-APS) est une autre piste sur laquelle la profession et l’administration travaillent. L’obtention de ce CQP « grands événements » serait assortie de la délivrance d’une carte professionnelle d’une durée de 5 ans qui permettrait au titulaire d’exercer ses compétences lors de manifestation sportives ou culturelles d’ampleur.

Cela illustre bien la nécessité de trouver des réponses innovantes à des questions complexes pour assurer la meilleure sécurité possible de nos concitoyens.

C’est un principe qui guide le travail de toute la délégation qui se doit d’être en permanence une force de proposition.

Et à plus long terme, quels sont les grands chantiers que vous souhaitez engager ? L’expérimentation de coopérations entre les forces de sécurité publique, les entreprises de sécurité privée et les polices municipales, dont j’ai déjà évoqué le principe, constitue une innovation importante à laquelle nous travaillons et qui devra trouver différents modes de concrétisation dans les années à venir. Elles pourraient être développées dans le cadre de conventions de coopération qui permettraient, dans les zones où ces forces sont multiples et font face à une délinquance significative, d’optimiser les dispositifs techniques et les ressources humaines.

Nous sommes actuellement dans la phase de recueil et d’analyse d’expériences notamment auprès de pays européens qui ont développé ce type de coopération public-privée. J’étais très récemment à Londres pour observer le projet « Griffon » (Project Griffin), mis en place depuis 2004 par la Police londonienne (City of London Police et Metropolitan Police). Ce déplacement a permis d’étudier les modalités selon lesquelles une expérimentation du projet pourrait déboucher sur une coproduction de sécurité à la française.

J’ai proposé au Ministre de l’Intérieur de le tester prochainement sur tout ou partie du quartier de  La Défense (Hauts-de-Seine) qui, comme la City londonienne, se caractérise par la présence de nombreuses entreprises du tertiaire et de nombreux commerces, un flux très important de personnes sur un territoire limité et des enjeux de sûreté-sécurité particulièrement élevés.

J’entends également mener dans la durée un travail de fond avec les différentes professions exposées à des risques particuliers de délinquance afin de trouver avec elles les mesures concrètes le mieux à même de répondre à leurs besoins spécifiques de protection.

C’est dans cet esprit que nous travaillons, en application de l’article 73 de la loi Pinel relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises du 18 juin 2014, à la mise en œuvre, par les commerçants, de dispositifs de vidéo-protection aux abords immédiats de leurs bâtiments. Enfin, le Ministre de l’intérieur a signé une circulaire précisant le fonctionnement des commissions départementales de sécurité des transports de fonds, texte très attendu par la profession.

J’ai également entrepris de favoriser l’échange d’informations avec les acteurs économiques (entreprises, commerçants…) par le biais de conventions. Le ministère de l’Intérieur a ainsi signé deux conventions l’une avec la confédération des buralistes et la seconde avec le club des directeurs pour la sécurité des entreprises qui institue la délégation aux coopérations de sécurité comme guichet unique de cet organisme pour le ministère de l’intérieur.

Enfin, nous travaillons actuellement sur un projet de convention cadre avec le groupe La Poste qui aura pour objet d’améliorer la sécurité de leurs activités et produits et de faciliter la répression des activités criminelles. Il s’agit là-aussi en exploitant le ressort des conventions, outils souples que l’on peut précisément adapter aux besoins, de régler des problèmes concrets dans un délai raisonnable et en trouvant des partenariats innovants.