De nouvelles voies d’efficience pour la filière industrielle de sécurité

Par Stéphane Schmoll, conseiller de Deveryware et Président de la commission stratégique du CICS

Les pôles de compétitivité ont été créés en 2005, l’Agence nationale de la recherche en 2005, le Commissariat général à l’investissement en 2010. En fait, cela fait des décennies que l’on peaufine un modèle généreux voire pléthorique d’encouragement à la R&D. Dans le cas de la filière de sécurité, la montée des risques et menaces se combine aux contraintes d’efficience budgétaire, mais l’évaluation est trop limitée et pourrait décevoir. Il est urgent d’expérimenter une gouvernance commune qui innove dans l’intérêt général.

La machine à gaspiller et rater la cible

Le système actuel prône le développement de solutions à chaque besoin identifié, dans le meilleur des cas par intégration de sous-systèmes ou composants uniques, plus souvent par simple addition, et parfois par concertation minimale.

La plupart des consortiums des projets se forment le plus souvent par la rencontre d’académiques, de PME, de quelques ETI, de gros intégrateurs et d’utilisateurs qui décident de mettre bout-à-bout leurs savoir-faire pour développer une réponse à un besoin précis. Souvent, ces projets assemblent un type de capteur, un matériel et un logiciel de traitement, une interface homme-machine avec une ergonomie, le tout pour un cas d’usage bien déterminé.

Le temps de cycle du projet comprend généralement six mois pour décrire le projet et le faire labelliser par un ou plusieurs comités d’évaluation, six mois pour obtenir le financement, trois ans pour développer le projet, au moins un an pour l’industrialiser et une autre année pour espérer une première commande de l’utilisateur final. Soit au total 6 années pendant lesquelles les besoins, les technologies, les solutions concurrentes voire la réglementation applicable évoluent constamment. Quant aux hommes impliqués et motivés par ces projets, que ce soient les utilisateurs, les décideurs concernés et les développeurs industriels eux-mêmes, ils changent également d’attributions et leurs successeurs n’épousent pas automatiquement les mêmes visions.

Il en résulte qu’il y a peu de chances que les projets débouchent. En effet, si par exemple chacun  d’entre eux est composé de 6 maillons qui ont 30% de chances d’évoluer au cours du projet, cette chaîne n’aura que 12% de probabilité de résister aux aléas et d’atteindre ses objectifs !

A la recherche de l’efficience

On peut s’interroger sur le retour sur investissement des fonds publics consacrés à ces projets. Il ne faut surtout pas cracher dans la soupe et louer l’existence et la dynamique des systèmes de guichets de type ANR, FUI, RAPID et désormais PIA. Ils encouragent la mise en réseau des acteurs : utilisateurs, académiques et industriels, tout en leur apportant de la charge de travail financée souvent bienvenue.  L’évaluation de ces investissements est toutefois faible ou inexistante, alors que l’efficience doit constituer le fil conducteur de la filière de sécurité, avec des créations d’emplois substantielles, l’émergence de PME et d’ETI, des commandes d’opérateurs publics et privés et enfin la consécration à l’export.

Une solution salutaire et innovante

Pour y parvenir plus probablement, il faudrait disposer de plusieurs variantes de chaque maillon afin de pouvoir les assembler par un méthode agile pour mieux répondre non seulement au besoin initial et à son évolution au fil des années, mais aussi à des besoins comparables d’autres utilisateurs.

Dans le cas classique, le projet intègre verticalement 4 composants pour satisfaire un besoin précis. Dans le schéma d’innovation pragmatique, différentes combinaisons de différents composants de chaque type permettent de constituer une palette de solutions à plusieurs besoins éventuels.

Les projets devraient constituer des boîtes à outils auxquelles contribueraient des composants paraissant concurrents vu de loin mais qui en réalité ont chacun des avantages et inconvénients (techniques, économiques, juridiques…) selon le cas d’usage et les utilisateurs. Un intégrateur ou tout autre partie sachante et objective assurerait au cours et en sortie du projet l’ajustement de la combinaison adaptée à chaque cas d’usage. C’est aussi un moyen de pallier aux possibles défaillances d’un partenaire ou d’une technologie.

Une telle pratique vient d’être proposée dans un projet PIAVE visant à contrôler la circulation des personnes sur les sites sensibles, avec précisément des choix flexibles de capteurs de localisation, de réseaux de transmission et de systèmes de lever de doute afin de coller au mieux à une variété de besoins et de contraintes.

La généralisation d’une telle pratique maximaliserait le retour sur investissement des projets, à la fois pour ses participants et pour les fonds publics. Rester à inventer une gouvernance-type y parvenir sans trop frustrer les parties. Et on pourrait en profiter pour mettre enfin en cohérence la future politique industrielle du COFIS, les feuilles de route des pôles de compétitivité et les guichets nationaux ANR, FUI, RAPID, PIA … à leurs tranches de TRL respectives en mutualisant les multiples comités d’analyse, d’expertise et de décision dans une autorité commune, ce qui ferait gagner du temps et de l’efficacité aux experts qui y consacrent des dizaines de milliers d’heures parfois stériles. Ce serait parfaitement compatible avec la nécessité d’explorer des voies scientifiques aux TRL bas et celle de fabriquer aux TRL hauts des solutions industrielles opérationnelles et rentables. Peut-être une des raisons de créer une Agence générale de la sécurité inspirée de la DGA voire rassemblée avec elle, à laquelle coopéreraient des représentants du COFIS et du CICS, rendus ainsi plus opérants.

Des plateformes de référence

En admettant que la filière parvienne ainsi à optimiser l’efficacité de ses ressources publiques et privées dans la phase de recherche & développement, on pourra encore optimiser le test, le déploiement opérationnel, la certification et peut-être même la commercialisation des solutions.

Les projets de plateformes peuvent y apporter des réponses séduisantes, moyennant certains aménagements. Depuis quelques années, près d’une quarantaine de plateformes d’innovation désormais mutualisées ont été créées par le FUI pour mutualiser les moyens d’essai et développer des prototypes et préséries, voire de servir de « living labs »  avant l’industrialisation et la mise sur le marché. Mais pratiquement aucune n’a été jusqu’à présent été consacrée à des solutions de sécurité, alors que le concept avait été proposé dès 2010 dans les travaux menés sous l’égide du SGDSN consacrés à des feuilles de route technologiques nationales qui ont préfiguré la création de la filière.

Indépendamment du mode de financement, actuellement limité, il serait donc judicieux de mettre en place des plateformes dédiées à des usages de sécurité, qui soient capables de parangonner différents composants, sous-systèmes ou systèmes dans des environnements proches de la réalité et de ses divers cas d’usage et contraintes. Cela fournirait des référentiels objectifs de test, de validation voire de certification pouvant déboucher sur des propositions de normes nationales puis internationales illustrant l’excellence française. Cela favoriserait aussi la mutualisation des solutions, donc l’efficience, au sein des utilisateurs publics (à travers l’UGAP) et privés, ainsi que l’exportation de nos entreprises en s’appuyant sur des vitrines nationales.

En matière de sécurité, les questions juridiques, en particulier pour assurer le respect des libertés individuelles, constituent souvent un frein à l’innovation. Profitons-en donc pour concentrer sur ces plateformes d’évaluation opérationnelle et de certification (PEOCE) l’expérimentation de solutions audacieuses cherchant à apporter les garanties nécessaires en combinant « privacy by design » et  études d’impact conformément au RGPD.  Au-delà des dialogues longs et délicats avec la CNIL, la filière de sécurité gagnerait à solliciter le guichet France Expérimentation qui, à l’instar de méthodes pratiquées au Japon, au R-U ou en Australie, permettent d’expérimenter des solutions innovantes dérogeant aux lois et règlements en vigueur dans des conditions bien précises concentrées dans le temps et l’espace d’une collectivité territoriale. Bien des décideurs s’abritent fréquemment derrière le principe de précaution mais la plupart ignorent cette voie permise depuis 2003 par l’article 37-1 de notre constitution.

Enfin, un montage économique adapté pourrait permettre aux opérateurs de ces plateformes de louer des services opérationnels, comme cela se fait dans le bâtiment autour des solutions d’incendie ou de serrurerie.

Il faut démultiplier les embryons existants de telles plateformes de sécurité, en s’appuyant sur des clusters de compétences déjà affirmés autour d’acteurs territoriaux de statuts divers. A titre d’exemple, une PEOC dédiée aux drones pourrait être implantée sur la nouvelle base de sécurité civile de Nîmes, dans un territoire qui rassemble de nombreux acteurs spécialisés, dont le pôle Safe, avec des besoins très larges et une géographie représentatifs des multiples cas et contraintes d’usage des drones. D’autres PEOCE pourraient être mises en place en France sur des sujets tels que la videosurveillance/videodétection, les balises de tracking, la cyberprotection, etc.

Notre pays possède tous les atouts nécessaires pour accélérer les débouchés de sa filière industrielle de sécurité tout en maximalisant l’efficience et la confiance, avec une mobilisation accrue de acteurs du COFIS et du CICS.