Pour un nouveau Livre blanc sur le terrorisme

Rencontre avec Marc Hecker, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri), qui appelle de ses vœux à la mise en place d’une réflexion collective sur le terrorisme. 

« Plus qu’un chapitre du livre blanc sur la défense et la sécurité, le terrorisme doit être un sujet consacré. Le dernier livre blanc du Gouvernement sur la sécurité intérieure face au terrorisme a plus de dix ans. L’heure du bilan est venue et un nouveau Livre blanc sur le terrorisme s’impose. »

Le Livre blanc du Gouvernement sur la sécurité intérieure face au terrorisme date en effet de 2006. Ce document avait un triple objectif. Le premier était de mieux comprendre la menace, c’est-à-dire d’analyser le fonctionnement des réseaux d’Al Qaïda. Le deuxième était d’élaborer une « stratégie de riposte », une « véritable doctrine » pour faire face au djihadisme. Le troisième consistait à informer et responsabiliser la population pour accroître sa résilience. En une décennie, la situation a considérablement évolué : Daech n’existait pas en 2006, les révolutions arabes n’avaient pas eu lieu et la France et l’Europe n’avaient pas encore subi la vague d’attentats de 2015-2016-2017.

Des menaces évolutives  

La structure du précédent Livre blanc était pertinente et pourrait être conservée. La première partie du nouveau document aurait donc trait à l’évaluation de la menace. Il s’agirait plus particulièrement d’étudier la nébuleuse djihadiste telle qu’elle existe aujourd’hui. Daech en est bien sûr un acteur central et son émergence a créé un schisme au sein de la mouvance djihadiste. Cette organisation se caractérise par sa plasticité stratégique : elle est à la fois un proto-Etat, un mouvement de guérilla et une organisation terroriste. Quand bien même ce proto-Etat viendrait à être détruit, Daech pourrait poursuivre la lutte en mode dégradé et tenter de frapper les pays occidentaux en utilisant ses combattants étrangers. Al Qaïda, quant à elle, n’a pas dit son dernier mot et semble même reprendre de la vigueur. Aucune de ses filiales – du Maghreb à la Péninsule arabique – n’a été mise hors d’état de nuire. A l’heure actuelle, nul ne sait comment les mouvements se revendiquant de l’idéologie salafiste-djihadiste pourraient évoluer.

La seule certitude est que la menace s’installe avec une triste pérennité et que nous devons, comme le précisent nombre de personnalités politiques et publiques tout comme le livre à succès de Raphaël Saint-Vincent (chargé de la prévention du risque terroriste au sein de l’Union des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire), « Vivre avec la menace terroriste ». 

Des scénarios doivent donc être élaborés pour anticiper les reconfigurations de la mouvance djihadiste. Ces scénarios seraient élaborés par un groupe de travail pluridisciplinaire, mêlant acteurs publics et privés. Ce groupe de travail évaluerait également les mesures de lutte contre la radicalisation et le terrorisme qui se sont accumulées au cours des dernières années.

La transformation de l’antiterrorisme

Après l’analyse de la menace vient celle des réponses. La lutte contre le terrorisme a aussi grandement évolué depuis 10 ans. Le Livre blanc de 2006 expliquait par exemple l’opposition de la France au concept de « guerre contre le terrorisme ». Or, depuis l’intervention militaire au Mali (2013) et plus encore depuis l’engagement des armées françaises en Irak (2014) puis en Syrie (2015), la rhétorique martiale est assumée par les plus hautes autorités de l’Etat. La militarisation de la lutte contre le terrorisme s’observe même sur le territoire français depuis le déclenchement de l’opération Sentinelle. Evidemment, cette lutte ne se limite pas au volet militaire. Les services de renseignement, la police, la gendarmerie ou encore la justice ont vu leurs moyens renforcés. Différentes lois antiterroristes – qui permettent d’intervenir toujours plus en amont du processus de radicalisation – ont été adoptées et l’état d’urgence a été prorogé à plusieurs reprises. Des programmes de prévention de la radicalisation ont été expérimentés et des centres de réinsertion doivent ouvrir dans chaque région. Trois ans après le lancement du plan de lutte contre la radicalisation, une évaluation de la stratégie et des politiques publiques mises en œuvre serait des plus utiles. L’objectif serait d’analyser les points forts et les points faibles du dispositif français, et d’établir une stratégie qui pourrait servir de référence à tous les niveaux.

Renforcer la résilience de la société

Enfin, plus encore qu’en 2006, la résilience apparaît comme un enjeu essentiel.

Le terrorisme a longtemps été un outil de négociation. Les groupes djihadistes en ont fait un outil de négation de nos valeurs. Face à ces groupes qui veulent faire imploser notre société, nous devons faire corps. La capacité du corps social à encaisser les coups et à faire preuve de cohésion ne se décrète pas. Elle se construit patiemment et les responsables politiques doivent donner l’exemple. Dans l’avant-propos du Livre blanc de 2006, le Premier ministre d’alors, Dominique de Villepin, écrivait : « La tolérance, le respect des libertés publiques, le respect des identités que notre pays a toujours su défendre font notre force. Renoncer à ces valeurs, ce serait faire le jeu des terroristes. Céder à la tentation de l’exception, ce serait commencer à perdre la bataille ». 

Les tentations du repli identitaire et de l’exception sont bien présentes, aujourd’hui, dans notre société. Les considérer comme dangereuses ne relève pas d’une posture morale mais stratégique : les groupes djihadistes misent sur ces dynamiques pour parvenir au délitement de notre nation. A nous de ne pas tomber dans le piège qui nous est tendu.

Des questions, bien différentes de celles des années 2000, se posent et s’imposent aujourd’hui. Le livre blanc sur le terrorisme ne devrait pas seulement poser les bonnes questions et évoquer les différentes réponses possibles. Il devrait aussi trancher des débats et écarter des options afin d’établir une ligne directrice claire et cohérente. Le candidat Macron, désormais Président de la République présentait au cœur de son projet sa volonté de créer un état-major centralisé du renseignement rapportant directement au Conseil de défense auprès du président de la République. Outre la création de 10.000 postes de policiers, le candidat Macron souhaitait mettre en place des centres pénitentiaires ad hoc avec un suivi individualisé pour les Français revenant de la zone irako-syrienne.

Il prévoyait également de permettre l’accès aux données des instructions en cours lorsqu’elles peuvent aider à la prévention d’actions et à la recherche de terroristes. Il estimait aussi « qu’il faut gagner la guerre en Syrie et en Irak, car c’est là que le cœur du problème se trouve » et instaurer « une véritable coopération européenne en matière de sécurité et de renseignement. » 

Alors que le gouvernement français vient de reconduire l’état d’urgence jusqu’en novembre, d’annoncer une nouvelle loi anti-terrorisme et la création d’une Task Force anti-terrorisme qui ne fait pas l’unanimité auprès des experts et des opérationels, mais qui répondra directement du Président de la république, – tout cela suite aux attentats de Manchester,- il n’a pas été fait état d’un projet de Livre blanc sur le terrorisme qui pourrait néanmoins trouver sa place en parallèle de la revue stratégique qui sera lancée en septembre. Un tel livre blanc nécessiterait une dizaine de mois de travail pour un livrable raisonnable à l’été 2018.