VERS UNE STRATEGIE INTERNATIONALE POUR LES PME

Partenariats technologiques, une réelle opportunité de développement pour les PME et les ETI françaises.

Par Julien Warlouzé, président, fondateur de JWA STRATEGY

Les annonces récentes de partenariats technologiques démontrent qu’il s’agit désormais de pratiques courantes pour les grands groupes. Pour preuve l’annonce en avril 2017 d’un accord entre Safran, groupe international, équipementier de premier rang dans les domaines de l’aéronautique, de la défense et de la sécurité avec Prodways Group un des leaders européens de l’impression 3D industrielle. « Cet accord s’inscrit dans une stratégie volontariste dans le domaine de la fabrication additive », déclare Stéphane Cueille, Directeur Groupe R&T et Innovation de Safran. « Safran est actuellement à la pointe dans ce domaine et utilise la technologie d’impression 3D pour construire des pièces, des sous-ensembles de moteurs et autres équipements aéronautiques et de défense. Cet accord permet à nos deux sociétés de mutualiser leurs compétences pour transformer efficacement des briques technologiques maîtrisées par Prodways Group en des procédés de fabrication additive pour des produits Safran. »

Dans le cadre de grands contrats d’Etats, les transferts de technologie représentent le principal enjeu des discussions pour faire aboutir un contrat. En effet, les pays acheteurs ont parfaitement compris qu’un pan de leur développement économique pouvait être financé par de grands industriels en contrepartie d’un contrat de fourniture.

Ce n’est pas un hasard si les grands industriels pratiquent les rapprochements stratégiques impliquant du transfert de technologie au travers par exemple de joint-ventures, depuis des décennies. Pour préparer au mieux sa stratégie de développement international, les directions générales d’entreprises doivent être au clair sur ce qu’elles sont en mesure ou non de proposer à un partenaire étranger. Une stratégie de transfert de technologie et de savoir-faire ne peut être laissée sans un niveau de préparation méthodique et poussé afin de réellement la maîtriser.

La France, terre d’innovation, est un vivier d’ingénieurs, de chercheurs à très forte valeur ajoutée possédant des savoir-faire techniques et technologiques. La valorisation de ces savoirs doit ainsi permettre de connaître les limites du transfert de technologie et de s’en servir pour atteindre le marché international. La méconnaissance de ce type de dispositif conduit l’opinion publique à ne retenir que leur capacité à affaiblir l’emploi sur le territoire et altérer la base industrielle et technologique nationale.

Alors que les grands groupes pratiquent les transferts de technologie de longue date, pourquoi le partenariat stratégique et le transfert de technologie au sein des PME restent-ils si peu connus et utilisés ? 

Le partenariat stratégique n’est pas un concept nouveau. Il s’est démocratisé depuis deux décennies avec l’apparition des puissances émergentes sur la scène internationale comme le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du sud (BRICS). Ces nouveaux acteurs bouleversant les règles du jeu économique mondial, il faut désormais composer avec eux pour garder un avantage compétitif. La part prise par ces grandes économies dans la production mondiale ne cesse de croître, y compris dans les secteurs de pointe. Le poids concurrentiel qu’ils représentent s’explique par l’attractivité de leur offre, très fortement liée à la compétitivité prix de leurs entreprises.

Désireux de rattraper leur retard économique, les pays en voie de développement demandent aux pays développés d’inclure dans les négociations le transfert de technologie. En contrepartie de la technologie transférée, les entreprises ont accès au marché local. Aujourd’hui, les marchés émergents représentent plus qu’une simple logique de réduction de coûts. Devant les perspectives de croissance de ces économies émergentes, qui comptent pour plus de 40 % du PIB mondial, il est primordial de changer de stratégie. L’association entre l’entreprise française et le partenaire étranger dans un modèle de développement (consortium, joint-venture, licencing, etc.) permet de générer suffisamment de redevances, qui peuvent être utilisées pour améliorer la compétitivité globale de l’entreprise. Dès lors, il ne s’agit pas de perdre des marchés mais d’en gagner grâce aux transferts de technologie.

Le transfert de technologie est un mécanisme d’optimisation des ressources avec d’un côté les activités stratégiques implantées sur le territoire français, et de l’autre, les activités externes jugées comme non critiques pour l’entreprise et pouvant donc être localisées sur un marché cible. Les activités transférées font office de monnaie d’échange en vue de créer un partenariat avec des industriels présents sur des marchés émergents.

Il est indispensable de maîtriser sa technologie pour pouvoir faire la part entre les activités critiques et celles qui ne le sont pas. Une fois clos, cet exercice permet de préparer la liste des activités pouvant être proposées dans une offre de partenariat.

Le transfert d’activités induit qu’une réflexion soit conduite en amont par l’entreprise à l’initiative du partenariat, pour clarifier le périmètre et les missions qui pourront être couverts par le partenaire local ; définir les rôles et les responsabilités des acteurs impliqués ; organiser les modalités de fonctionnement (définition d’une autorité organique ou fonctionnelle) au sein de l’entreprise et entre les entités/fonctions impliqués dans la conception d’une proposition ; définir les indicateurs de pilotage de la fonction ; dimensionner les effectifs nécessaires au « juste besoin ».

Le transfert de technologie est une première étape importante pour les PME technologiques et innovantes qui ne disposent pas de capitaux ou d’expérience à l’international. En ce sens, il permet une gestion partagée du risque entre l’entreprise française et le partenaire industriel. Pour un centre de recherche, le partenaire stratégique (entreprise étrangère) va faciliter l’acquisition d’un brevet par exemple, et en faire la promotion au-delà des frontières nationales. La stratégie menée dans le cadre du transfert de technologie est différente selon la taille de l’entreprise.

La Petite ou Moyenne Entreprise (PME) raisonne en termes d’opportunité de marché. Le développement international d’une PME reste trop cantonné à la distribution via agent commercial ou à la création de filiale. Ainsi, le contrat de licence où les redevances perçues pourraient être utilisées pour financer le développement et l’innovation de l’entreprise, mais ce dispositif n’est pas suffisamment connu et maîtrisé.

Quant à l’entreprise de taille intermédiaire (ETI), elle considère le transfert de technologie comme une étape avant l’implantation définitive de l’entreprise sur le marché. C’est un mode d’implantation qui prépare à un développement plus structuré.

Le partenariat stratégique permet d’organiser la production de manière efficace et innovante. Désormais, l’entreprise porte ses efforts principalement sur son cœur de métier, généralement les activités de recherche et développement, localisées sur le territoire français. En outre, le développement partenarial est un modèle économique qui rassure les investisseurs. Il permet de baisser le coût du capital (intérêts) qui est une composante des prix à l’exportation. En effet, les redevances versées par le licencié permettent de disposer des capitaux nécessaires au développement de l’entreprise. Un financement interne est toujours moins élevé qu’un financement bancaire. C’est d’autant plus important que les innovations portent un degré de risque plus élevé que les autres activités de l’entreprise. Leur financement engendre des coûts importants et une forte immobilisation en capitaux.

Par ailleurs, cette garantie financière attire les investisseurs qui s’intéressent au potentiel technologique de la France dans les secteurs à haute valeur ajoutée. Par conséquent, les entreprises effectuent des opérations de levée de fonds plus facilement pour croître en taille, élargir leur portefeuille de brevets et gagner des parts de marché. Les entreprises utilisent les redevances pour garder une avancée sur leur technologie, se différencier des autres concurrents et maintenir des marges élevées. Dans une stratégie de différenciation, elles investissent massivement dans les activités de recherche et de développement. Selon une logique verticale : en portant leurs efforts sur les performances du produit ou du service, par la qualité, les techniques de production, le niveau de recherche et développement…  Selon une logique horizontale : en développant de nouveaux produits ou de nouveaux usages. Par conséquent, les potentiels offerts par la technologie peuvent être très importants, les perspectives de développement reposent exclusivement sur la maîtrise de la technologie et de sa valorisation.

La croissance à l’international des PME et ETI passe avant tout par une stratégie efficace et un partenaire stratégique fort. 

Alors même que les PME technologiques françaises sont considérées comme très innovantes, l’accès au marché international et le développement de leur croissance doivent être renforcés. Plusieurs indicateurs sont à prendre en compte, d’une part le besoin de financement des entreprises qui n’est pas suffisamment anticipé, et d’autre part, l’absence de stratégie tant sur les orientations à prendre que sur les modalités de développement vers ces marchés. Les sélections de marchés sont souvent le résultat de décisions subjectives ou d’effets de mode.

Etre compétitif sur le plan international, consiste pour une PME à avoir une lecture fine et à cibler les marchés les plus pertinents sur le plan économique. Il ne suffit plus de souhaiter se développer en imaginant avoir des contacts locaux. Il est indispensable de garder comme clé de lecture le couple produit/marché afin de minimiser les risques liés au choix du pays d’implantation puisqu’aujourd’hui cela s’avère possible. Le transfert de technologie au travers d’un partenariat stratégique bien réfléchi permet ainsi non seulement de commercialiser son produit, mais aussi de promouvoir et vendre son savoir-faire, et ainsi rayonner à l’international.

Comment un industriel peut protéger ses données sensibles alors que les clients étrangers exigent des transferts de technologies ?

C’est un travail complexe qui doit être mené au tout début du projet. Il faut savoir différencier les données stratégiques des données sensibles. La plupart des données sensibles seront exposées à un nombre incalculable de personnes, c’est un fait. La réflexion doit se porter sur les données stratégiques. Certaines d’entre elles vont être transférées comme prévu par le contrat, d’autres ne seront pas transférées mais cependant utilisée pendant la construction. Sans trop rentrer dans les détails, une importante réflexion sur les circuits décisionnels, une préparation drastique des PME qui sont impliquées sur le projet et une sécurisation des données les plus sensibles est obligatoire. Toujours avec une prise en compte du facteur humain, le facteur le plus difficile à contrôler.

Nous vivons aujourd’hui dans une économie de la connaissance où les entreprises françaises doivent, au lieu d’essayer de protéger leurs technologies contre une quelconque menace étrangère, monétiser leurs patrimoines technologiques pour financer les projets innovants de demain. Transférer des technologies permet de garder la matière grise en France et d’obtenir d’importants revenus de la part des entreprises qui exploitent le savoir de l’entreprise française. Les revenus obtenus permettent de continuer à innover et à garder une longueur d’avance.