Faire de la France un champion mondial de la smart economy

Le constat est unanime : l’économie française accuse encore un retard inquiétant en matière de transformation numérique. Beaucoup d’entreprises ne se sont pas encore adaptées à la révolution numérique, souvent parce qu’elles la redoutent ou ne se sentent pas concernées. Face aux enjeux et au potentiel considérable, le MEDEF qui a fait de la digitalisation de l’économie française l’une de ses priorités à présenté une stratégie en faveur de la transformation numérique de l’économie française autour de 5 axes.

Entre vision stratégique, attractivité et création de valeur, rencontre avecOlivier Midière, Conseiller auprès du Président du MEDEF, Ambassadeur du MEDEF pour le numérique.

« La data devient le nouveau pétrole de l’économie. Les objets connectés s’intègrent dans tous les secteurs. Et nous avons les moyens de profiter de cette prochaine révolution », considérait en début d’année, Pierre Gattaz, le président du MEDEF.

Une vision stratégique

Aborder cette révolution exige de la France une vision stratégique qui lui fait cruellement défaut. « Nous devons mettre en place une stratégie différenciante à l’horizon 2025 en matière digitale et plus globalement d’un point de vue industriel » souligne Olivier Midière après une mission Digital Disruption Lab qui l’a conduit pendant près d’un an à visiter plus de 21 pays pour réaliser un benchmark des stratégies et positionnement numérique de ces derniers « Nous nous sommes confrontés à ce qui se fait aujourd’hui sur les différents continents afin d’identifier à la fois les bonnes pratiques mais aussi les acteurs avec lesquels nous pourrions développer des coopérations porteuses. » explique Olivier Midière.
Les pays comme l’Estonie, Israël ou encore Singapour qui excellent aujourd’hui sur ce sujet du numérique ont des visions à 20 ans. Il est donc essentiel de changer notre approche « Nous avons besoin d’une économie plus intelligente. C’est dans ce sens que nous avons fait émerger de notre stratégie pour la France, 5 axes majeurs déclinés en propositions de réformes et en actions. » 

Smart tech & Smart manufacturing

Pour faire de la France « la Silicon Valley de l’Europe » de l’IoT, il est impératif de mobiliser tous les acteurs de la filière (entreprises, fédérations professionnelles, Etat) afin de mettre en place un cadre favorable (régulation, normes, éducation, etc). La France dispose également de structures solides, pour certaines leaders européens ou mondiaux, notamment dans l’industrie électronique, sur lesquelles s’appuyer pour inciter entreprises et start-up IoT à fabriquer prototypes et produits sur le territoire. « Nous sommes à la pointe en matière de conception d’objets connectés notamment grâce à nos start-up, mais aussi à notre culture du design et aux savoir-faire de nos nombreux bureaux d’études dans ce domaine. Pionniers dans le secteur de la connectivité et du déploiement de réseau adaptés à l’Internet des objets avec notamment Sigfox, l’Alliance LoRa, ou Qowisio, nous le sommes également en matière d’intelligence artificielle (2e hub en Europe derrière le Royaume-Unie avec 180 start-up) et de sécurité informatique, deux domaines clés du développement de l’IoT dans les années à venir. Nous disposons enfin des infrastructures de cloud et des technologies et savoir-faire nécessaires en termes de plateformes IoT et de big data – Atos, Capgemini, Dassault Systèmes… » détaille Olivier Midière.

Le MEDEF envisage donc un partenariat entre représentants publics et privés pour appuyer la filière technologique IoT en France, avec un plan d’action sur le premier semestre 2018. Ce dernier, associé à une cartographie de l’écosystème, devrait renforcer, consolider et structurer les différentes familles d’acteurs donnant ainsi une visibilité unique et optimale de l’offre et du savoir-faire en France et à l’étranger.

8 actions figurent dans ce premier axe de la stratégie portée par le MEDEF, dont une dédiée à la sécurité : « renforcer les initiatives publiques et privées en matière de R&D, d’innovations et de communication B2B et B2C autour des enjeux de sécurité liés au numérique en général et au déploiement des technologies, des produits et des services connectés par les entreprises en particulier. »

Le MEDEF souhaite également instaurer un « Plan Marshall » de la formation continue pour les demandeurs d’emplois, les ouvriers, les techniciens, les prestataires de services et les cadres des TPE, PME et ETI traditionnelles françaises autour des questions du numérique et de l’Internet des Objets.

Smart disruption

L’ambition est aussi de permettre aux entreprises traditionnelles de s’approprier ces nouvelles technologies. L’organisation patronale souhaite ainsi accompagner les 100.000 TPE et PME grâce à des programmes de sensibilisation, de formation, mais aussi d’incubation.

Reste la création d’un fonds d’investissement, qui pourrait accorder des tickets compris entre 50.000 et 2 millions d’euros, pour des projets de transformation numérique (dans la limite d’un millier d’entreprises). « Nous souhaitons accompagner une centaine de start-up technologiques à haut potentiel pour les aider à devenir des licornes (ces entreprises non cotées valorisées plus d’un milliard), et éviter qu’elles ne passent sous pavillon américain ou chinois. C’est assez facile de trouver les financements pour monter sa start-up. Le problème, c’est pour réaliser la deuxième puis la troisième levée de fonds, celles qui permettent de passer au stade supérieur », regrette Olivier Midière.

La mise en place d’un fonds européen de 5 à 10 milliards d’euros pourrait également aider à financer ce développement.

Smart country & solutions

L’attractivité de la France n’a pas été oubliée. Attirer les investisseurs et favoriser la croissance de ces start up et PME en ETI, puis en grands groupes passera par une France « business friendly » et une stratégie de communication internationale.

En matière de fiscalité, le MEDEF souhaite l’instauration d’un cadre fiscal « simple, compétitif, stable et incitatif ». Autrement dit, réduire drastiquement le système fiscal tout en réduisant de façon significative les impôts et les taxes, et notamment la fiscalité de production pour les start-up, les TPE et les PME. Enfin, autre mesure évoquée : sanctuariser le crédit impôt recherche auprès des investisseurs, entrepreneurs et talents internationaux jugé source d’attractivité « compétitif et différenciant ».

La donnée, principal levier de création de valeur de l’IoT industriel

Les objets connectés intègrent progressivement l’environnement industriel et notre vie quotidienne. En ce qui concerne la réalisation en masse de ces objets, la concurrence sera similaire à celle que nous connaissons actuellement avec les pays à faible coût de production. « Il est important que les industriels français se positionnent sur les taches de conception, d’intégration, de production mais aussi qu’ils prennent en compte dans leurs business models la collecte, le traitement et l’exploitation de la donnée qui représentent la nouveauté et la vraie valeur de cette révolution industrielle. » explique Olivier Midière.

Capter l’essentiel de la valeur créée autour des données pour que la France devienne un champion mondial de la « smart economy » : voilà l’enjeu principal ! Il s’agit pour les entreprises françaises d’être à la pointe de la révolution du big data en se positionnant sur le captage ou la collecte des données grâce aux plateformes et aux capteurs intelligents intégrés dans les produits, équipements et services connectés.

La capacité à stocker dans le cloud, puis à agréger et à analyser les données brutes récupérées grâce aux technologies big data, à la datascience et maintenant à l’intelligence artificielle sera aussi un point crucial tout comme le stockage des données qui représente lui un enjeu majeur de souveraineté française et européenne. Reste l’exploitation des données grâce au cloud computing, à l’intelligence artificielle et aux nouvelles plateformes logicielles de dialogue entre individus et objets connectés. Un point sensible qui définira « notre capacité à tirer des revenus des données brutes, traitées et/ou agrégées en commercialisant des services et des solutions intelligentes via des plateformes ou en les vendant directement à des tiers. »

« Nous disposons d’atouts indéniables pour être aux avant-postes de la « smart economy » dans le monde grâce à la dynamique globale autour de l’IoT industriel dans notre pays, tant au niveau du design, que du « manufacturing », de l’ingénierie, de la sous-traitance électronique, des plateformes logicielles, du big data, du cloud ou encore de l’intelligence artificielle ». 

« Cette stratégie autour de l’IoT suppose un nouveau rapport à la donnée et l’intégration d’un volet sécurité très fort. » souligne Olivier Midière. « Il est essentiel de protéger les données, ce sont des sujets d’actualité et le positionnement du MEDEF sur ce sujet est très clair. Néanmoins, je pense qu’il est aussi important de dépassionner le débat. Nous devons bâtir une vision stratégique forte, cohérente et ambitieuse qui appelle à l’adoption de  ces nouveaux « business models ». La protection et le privacy sont essentiels bien entendu, mais cela ne signifie qu’il faille s’isoler dans un univers global qui ne nous le permettra pas. N’oublions pas non plus que s’isoler ne nous offrira pas une posture fondamentale en matière de protection de la donnée. Nous devons donc courageusement statuer sur ce qui relève de la souveraineté par exemple et qui sera par conséquent non négociable. Mais parallèlement, nous devons aussi présenter ce que nous acceptons de mettre sur la table des négociations. Je crois sincèrement qu’il ne faut pas avoir peur de remettre en cause les monopoles. Je crois par ailleurs beaucoup aux modèles encourageant une responsabilisation du citoyen sur ce sujet. D’autres options sont possibles, à nous de les saisir ! »

Des opportunités internationales

Un discours de la France qui se doit donc d’être pragmatique, rationnel et responsable pour être entendu par les pays qui pourraient y voir un intérêt… un intérêt éminemment réciproque.

On parle notamment de l’Estonie qui entend à la tête de l’Union Européenne pousser le sujet du numérique. Nation avant-gardiste en la matière, dont l’administration électronique est considérée comme l’une des plus avancées au monde, le pays balte propose notamment à ses citoyens de voter électroniquement. Jüri Ratas affirme faire économiser chaque mois à l’Etat, grâce à la numérisation, une « pile de papier qui ferait la hauteur de la tour Eiffel ». Il plaide pour faire ajouter aux quatre libertés de circulation de l’Union (hommes, marchandises, services, capitaux) une cinquième : celle des données numériques…

Autres pays à suivre, la Finlande ou la Suède très ouverts sur l’open data avec une approche davantage basée sur la confiance et la transparence.

Le Japon enfin, qui présente une forte appétence pour l’internet des objets s’intéresse de près à l’Europe et à la France en particulier avec qui plusieurs accords bilatéraux dans différents domaines émergent. « C’est un pays qui est très ouvert sur ces sujets liés aux données et qui challenge la France et l’Allemagne sur ce point. A nous de prendre les bonnes décisions pour saisir les opportunités qui se présenteront. » 

Enfin, les Philippines, plus surprenant au premier abord, un peu moins lorsque l’on sait qu’il est le premier partenaire économique du Japon…

Ce pays dispose de nombreux talents : plus de 50 000 ingénieurs formés par an. Il est également le premier centre Business Process Outsourcing de la zone et connait un fort développement avec l’Inde. Sur le plan culturel et dans les rapports humains, des similitudes fortes se révèlent d’avec la France. « C’est un pays qui dispose de la force de frappe sur le plan industriel, digital et numérique dont nous avons besoin. Nos PME trouveront un terreau fertile en terres philippines avec qui des échanges sont à l’étude dans le cadre du lancement d’un programme d’incubation et d’accélération international… »

Pour aller au bout de ces ambitions, une impulsion politique forte du nouveau gouvernement est évidement attendue par le MEDEF.

En attendant, après la traditionnelle Université d’été de l’organisation patronale qui s’est déroulée le mois dernier, le lancement en cette rentrée septembre des initiatives MEDEF en région aura bien lieu. Des structures qui devraient jouer un rôle essentiel dans cette stratégie nationale et internationale.