La blockchain : « Créer de la confiance dans un environnement hostile »

Par Sabine Guillot

Le phénomène blockchain est LA tendance du moment, un système à la sécurité réputée inviolable permettant d’effectuer des transactions « révolutionnaires », car s’affranchissant d’un tiers de confiance. Ses possibilités sont immenses, comme les interrogations qu’il soulève. Point de situation avec Alexandre Stachtchenko et Pierre Paperon.

Blockchain, vous avez dit blockchain… Chaîne bloquante, blocage de la chaîne… ? Pour nous éclairer, nous avons sollicité deux spécialistes français du sujet. Alexandre Stachtchenko arbore une double casquette : il est co-fondateur Blockchain Partner (1), leader français du conseil sur les technologies blockchain, et président de la Chaintech, l’association des acteurs de la blockchain. Pierre Paperon est co-fondateur avec Kim Dauthel la société Solid, destinée à développer les usages de la blockchain et aider les entreprises à faire des levées de fond à base de crypto-monnaies comme le Bitcoin.

Qesako ?

Selon A. Stachtchenko,  « la blockchain permet des échanges de valeurs de pair à pair sur internet, avec un traçage des différents morceaux d’information, non duplicables ». C’est en effet une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle. Par extension, une blockchain constitue une base de données partagée par tous ses utilisateurs, sans intermédiaire, ce qui permet à chacun de vérifier la validité de la chaîne (2). « La blockchain, ce sont en effet plusieurs choses à la fois, comme internet à ses débuts en 1993, explique P. Paperon. C’est une technologie qui permet de dater et certifier des événements – transaction, flux physique, action… ; une plateforme informatique décentralisée qui s’affranchit de tout tiers de confiance ; une quantification infalsifiable de « produits » ou « token » (3) comme un kWh, une heure de travail ou une heure de prêt de voiture ; un registre décentralisé et sécurisé par un chiffrement très poussé – cadastre, vote, identité ; un outil de sécurisation native des 20 milliards d’objets connectés… » 

On parle de « blockchain » pour désigner la technologie utilisée, mais il existe en fait une multitude de blockchains, publiques ou privées, avec des usages spécifiques, comme par exemple la blockchain Bitcoin, monnaie virtuelle créé en 2009 (4). « A ce moment-là, nous sommes en pleine crise financière, qui entraîne une crise de confiance. C’est sur cette crise de confiance que s’appuie la philosophie bitcoin, inspirée des libertariens et Cypherpunks : “Ne faire confiance à personne d’autre qu’à soi-même”», décrit M. Stachtchenko.

Une technologie d’avenir

Si blockchain et bitcoin ont été bâtis ensemble, de nombreux acteurs envisagent désormais l’utilisation de la technologie blockchain pour d’autres cas que la monnaie numérique. Des blockchains pourraient remplacer la plupart des « tiers de confiance » centralisés (métiers de banques, notaires, cadastre…) par des systèmes informatiques distribués. « Nous n’en sommes encore qu’au début. On s’attend à l’émergence de nouvelles start-ups, sur la gestion d’identité par exemple, ou comment reprendre le contrôle de ses données personnelles sur internet », explique M. Stachtchenko. « La limitation est celle de l’imagination », renchérit M. Paperon, qui évoque plusieurs usages de la blockchain sur lesquels il travaille actuellement : financer un film, définir un brevet d’authentification et traçabilité d’œuvres d’art, sécuriser les millions de caméras et éviter les cyberattaques (5), blockchainer la production photovoltaïque familiale de 70 000 panneaux dans un pays africain, concevoir un outil de recensement, vote et suivi de vaccination pour un autre pays africain… A moyen terme, cela va casser les monopoles, sur le marché des remises par exemple, qui permet aux expatriés de renvoyer de l’argent chez eux. « Des intermédiaires transfèrent les fonds en 4 jours environ, et prenant au passage une commission de 10 %. Avec Bitcoin, le transfert prend 10 minutes et coûte quelques centimes… », explique A. Stachtchenko.

Peut-on parler de révolution ? Pour P. Paperon, il s’agit plus d’une « mutation tsunamique », car elle pénètre tous les secteurs depuis un an. Pour M. Stachtchenko, « à court terme, ce n’en est pas une dans le monde occidental. Il s’agit pour le moment plutôt d’optimisation, en attendant le développement de services décentralisés plus révolutionnaires – ICOs, Privacy, DApps en général. Mais ce sera très différent dans les pays en développement, où il n’y a pas de confiance dans les Etats ni dans les banques. Moins de 50 % des gens y ont un compte. Grâce à la blockchain, ils vont pouvoir devenir leur propre banque et l’avoir dans leur poche. Blockchain va créer de la confiance dans un environnement hostile. »

Pas sans limites

Ces promesses ne sont pas exemptes de défis et de limites, sur le plan juridique notamment, même si les choses avancent, avec la publication d’une ordonnance en avril 2016 et le lancement d’une consultation publique, aux périmètres toutefois encore limités. Pourtant, « il est urgent de réguler les usages, pas la technique », souligne A. Stachtchenko.

La blockchain est un formidable outil de sécurité, infalsifiable. Mais pas infaillible : A. Stachtchenko évoque la faille qui existait dans The DAO (6), et qui avait permis à l’un des utilisateurs de subtiliser l’équivalent de 36 M$. Selon lui, « il faut croire dans le potentiel de la technologie, car il est énorme. Mais il ne faut pas y aller les yeux fermés ! Sur les blockchains publiques, la technologie n’est pas encore mature et l’infalsifiabilité peut être rebutante. Il n’est pas possible de récupérer un mot de passer perdu ! Je pense que l’usage de masse n’est pas pour demain pour les particuliers. » Pour P. Paperon, « la clé angulaire est le chiffrement et la robustesse de l’assemblage des parties, qui doit être éprouvée par du penetration test de niveau « NSA » ».

Aujourd’hui, la technologie blockchain est utilisée internationalement. La France n’est pas en reste. « A travers la Chaintech notamment, les start-ups françaises font voix commune pour mieux se faire entendre », insiste A. Stachtchenko. « La blockchain est déjà à un niveau géopolitique avec des couleurs très chinoises pour le bitcoin, des nuances russes fortes pour Ethereum et… des blockchains européennes qui ne demandent qu’à naître dans les mois qui viennent », conclut P. Paperon.

 

La blockchain a son Livre Blanc

Le Pôle Systematic publie le premier Livre Blanc sur la blockchain. Définitions, données de marchés, cas concrets mais aussi perspectives de développement et identification des challenges à relever… Cet état des lieux de 65 pages apporte un éclairage complet inédit sur la blockchain. A télécharger gratuitement sur le site http://systematic-paris-region.org/fr

 

  1. Blockchain Partner est issu de la fusion en mai 2017 de Blockchain France et de Labo Blockchain, start-up spécialisée dans le développement technique d’applications blockchain. 
  2. Selon la définition proposée par Blockchain France.
  3. En fonction de l’application, le token va prendre des formes ou dénominations très variables.
  4. Développée par un inconnu se présentant sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto.
  5. Répétition par exemple de l’attaque DDoS subie par la société OVH en octobre 2016, la plus importante jamais enregistrée par son intensité (pics à 1,6 Tb/s).
  6. Blockchain d’Ethereum.