« Society 5.0 » ? La grande mutation sociétale japonaise en marche !

Par Loïc Guézo, Cybersecurity Strategist Southern Europe, Directeur chez Trend Micro.

En 2016, le gouvernement japonais a présenté sa vision de la Société 5.0 (1)

Dans le cadre de son cinquième plan « Sciences et technologies » (courant de 2016 à 2020) annoncé en avril 2016, le gouvernement japonais vise à réaliser ce qu’il appelle la « Society 5.0 » ou « Super Smart Society ». L’objectif est de fournir une infrastructure sociétale commune pour une nouvelle forme de prospérité, basée sur une plate-forme de services  avancée.

A noter que pour partager cette vision avec l’Europe, le gouvernement japonais a su profiter du dernier CEBIT en Allemagne, berceau de l’industrie 4.0, en permettant au Japon d’en être le pays partenaire 2017 (2) !

Le Japon a ses propres défis et, tout comme le concept d’Industrie 4.0 correspond à une nouvelle façon d’organiser les moyens de production (« usines intelligentes » ou « smart factories » (3)) la Société 5.0 vise à relever plusieurs défis, en allant bien au-delà de la simple  numérisation de l’économie. La numérisation vise en effet tous les niveaux de la société japonaise et la transformation (numérique) de la société elle-même. Cela ne va pas sans d’importantes conséquences.

Lors du dernier CeBIT 2017, pendant la plénière « Society 5.0 – Another Perspective », la présentation de cette route vers cette société super-intelligente a souligné le rôle particulièrement central des technologies telles que l’IoT (Internet of Things),l’IA (Artificial Intelligence), les systèmes cyber-physiques, le Big Data, la réalité virtuelle ou augmentée (VR/AR)…

Pourtant, il serait faux de ne retenir qu’il s’agit uniquement de technologies.

Une société numérique pour une population vieillissante

L’un des défis particuliers du Japon est le vieillissement de la population.

Même si le vieillissement n’est pas un problème en soi, il crée de nombreux défis, à différents niveaux, dont certains ne pourront être gérés que par des approches intelligentes : opérationnelles par la technologie certes, mais façonnées en amont par des personnes clairvoyantes…

Le Japon a de loin la population «la plus âgée», 26,3% des japonais ayant plus de 65 ans. Dans les pays européens les plus âgés, il y a déjà plus de 25% de personnes âgées mais de 60 ans et plus, pas 65…

Pour mettre ce nombre en perspective, il faut réaliser qu’on s’attend à ce que, dans le monde entier, plus de 20% de la population soit âgée de plus de 60 ans vers 2050. Cela signifie que ce que va faire le Japon -contraint par sa propre structure démographique- devrait être suivi par l’ensemble des pays développés : comment cette Société 5.0 va-t-elle fonctionner en réalité ? Cela devrait apporter beaucoup de leçons à tirer quant à ces perspectives de vieillissement de la population.

La Santé y est d’ores et déjà le secteur le plus transformé numériquement.

Dans les soins de santé, c’est non seulement la nécessité de traiter plus de maladies chroniques, qui surviennent avec un âge plus avancé ; mais surtout réorganiser dès maintenant les soins de santé en fonction de la réalité de cette population vieillissante (moins de jeunes pour les services à la personne par exemple) : les efforts de transformation numérique couplés à la transformation des protocoles de soins (y compris en y intégrant de nouvelles approches technologiques, par exemple des robots d’assistance) sont en cours.

Vers la Société 5.0 au Japon : à condition d’abattre cinq murs

Alors que la santé et d’autres aspects de la société sont influencés directement par le vieillissement de la population (pensez à la mobilité, les façons de vivre au quotidien, le logement, etc.), cette vision de la Société 5.0 pour le Japon ne concerne pas seulement cet aspect. Il s’agit de défis tout aussi importants et caractéristiques du pays : plus que beaucoup d’autres nations, le Japon doit régulièrement faire face à des catastrophes naturelles et à la pollution. Pour relever ces défis, la Société 5.0 doit ouvrir la voie…

Tout comme l’industrie 4.0 est présentée comme la quatrième révolution industrielle, dans le document de position de Keidanren  publié, la « Society 5.0 » est également représentée comme une évolution de cinq étapes sociétales :

  • la société de chasse,
  • la société agraire,
  • la société industrielle,
  • la société de l’information,
  • la société super-intelligente « Society 5.0 ».

 

Pour y parvenir, Keidanren (4) a publié un document de vision stratégique (5) en avril 2016 dans lequel il est clairement  décrit que s’attaquer aux défis identifiés nécessitera la rupture de cinq murs de la société japonaise-même. Ce que le Japon veut faire, c’est porter cette dimension de la numérisation et de la transformation (qui se passe aujourd’hui principalement au niveau des organisations individuelles ou de parties actives de la société économique)au niveau d’une stratégie nationale de transformation complète, d’essence politique voire quasi-philosophique.

Les 5 murs à franchir pour la Société 5.0

Le mur des Ministères et des Agences

Le plus immédiatement perceptible en citant le document de position de Keidanren : une « formulation de stratégies nationales et intégration du système de promotion porté par le gouvernement». Cela inclue l’architecture d’un « système IoT » opérationnel et l’instauration de Think Tanks de référence.

Le mur du système juridique

En conséquence, les lois doivent être développées pour prendre en compte la mise en œuvre des techniques avancées. Dans la pratique, cela impliquera également des réformes réglementaires et une poussée de la numérisation administrative.

Le mur des technologies

Le socle d’une formation adaptée pour tous, pour atteindre les « compétences de base » est un prérequis. Il est clair qu’ensuite les collectes de données utilisables joueront un rôle fondamental ici, couplées aux technologies / domaines à développer et à exploiter (de la cyber-sécurité à la robotique, à la nano, à la bio et autres technologies informatiques).

Le document mentionne la nécessité d’un fort engagement et renforcement de la R&D à différents niveaux.

Le mur des ressources humaines

Réforme de l’éducation, forte exposition l’éducation aux technologies de l’information, augmentation des ressources disponibles avec des spécialisations dans les compétences numériques avancées, ne sont que quelques briques. Il est intéressant de noter que, si le document devient réalité, le Japon devra non seulement ouvrir ses portes à des professionnels hautement qualifiés dans des domaines tels que la cyber-sécurité et la science des données, mais également veiller à « la promotion de la participation des femmes pour découvrir des talents potentiels ».

Le mur social.

Ce cinquième est de loin le plus audacieux et étendu: « le mur de l’acceptation sociale». C’est un aspect fondamental pour une nouvelle société « de tous ».

Le plan stratégique de Keidanren ne fait que souligner la nécessité d’un consensus social, mais c’est bien entendu une analyse approfondie des implications sociales et même éthiques qui seront nécessaires (relation homme-machine, définition du bonheur individuel, voire même questionnement sur le transhumanisme ….

Évidemment, dans la pratique, les étapes « industrie 4.0 » et la numérisation des organisations dans leur ensemble restent les composantes majeures du passage vers la « Société 5.0 ». Mais ce serait une erreur de croire que c’est l’industrie seule qui est concernée : il s’agit bien d’y associer toutes les parties prenantes, y compris les citoyens, les gouvernements, les universités, etc.

Si un tel changement sociétal à cette échelle fonctionne et que le mur de l’acceptation sociale est abattu, alors le futur répondra à cette attente.

En attendant, il ne suffit pas  de faire des prédictions sur la réussite du Japon, mais plutôt d’imaginer comment utiliser ce modèle dans d’autres parties du monde, voire en France.

 

  1. https://www.jst.go.jp/crds/pdf/en/CRDS-FY2016-WR-13.pdf
  2. http://www.cebit.de/en/exhibition/specials/partner-country/
  3.   capables d’une plus grande adaptabilité dans la production et d’une allocation plus efficace des ressources
  4.  http://www.keidanren.or.jp/en/profile/pro001.html

5. http://www.keidanren.or.jp/en/policy/2016/029_outline.pdf