De l’état de l’art de la géolocalisation à l’heure des algorithmes

 Analyser des interrelations entre les pièces d’une enquête, détecter des relations qui n’avaient pas été faites jusqu’alors… L’affaire Grégory relancée place les enjeux et les atouts du Big data & de l’analyse des données sous le feu des projecteurs. 

L’engouement généré par l’analyse prédictive multidisciplinaire est en effet le résultat d’un phénomène, né il y a plus de 10 ans mais qui a aujourd’hui trouvé un terreau favorable de croissance : le Big Data. Le socle de ce dernier n’est autre que la donnée, qui au-delà de son exploitation commerciale, est aussi potentiellement facteur de décision dans certaines disciplines comme la sécurité régalienne. 

Parmi les données aujourd’hui largement utilisées par les forces de l’ordre, figure celles issues de la géolocalisation. 

Alors que le traitement de ces données de géolocalisation, corrélées à de multiples autres sources massives et complexes, pourraient permettre une meilleure compréhension, élucidation et anticipation des phénomènes criminels, retour sur l’état de l’art d’un marché lancé au début des années 2000.

La lutte contre la criminalité n’échappe pas à l’intérêt que présente la donnée dans la capacité à prévoir les évolutions et le comportement criminel. Tout comme bien des domaines, la géolocalisation trouve son évolution dans la donnée.

Collecte, traitement et analyse de ce flux continu toujours plus important et multiforme, nécessitent de la part des acteurs agilité et innovation pour répondre à l’évolution des besoins des investigateurs dans un contexte criminel en perpétuelle mutation.

Aide à la décision en temps réel 

Face à l’accroissement du nombre de données générées quotidiennement, le monde de l’investigation doit pouvoir s’appuyer sur des outils d’aide à la décision fiables et efficaces. Cela passe par une compilation des données pour apporter un gain de temps évident aux opérationnels, mais également la possibilité de corréler des éléments entre eux afin d’émettre une hypothèse. « Ces rapprochements sont rendus très difficiles pour les forces de l’ordre lorsque l’on parle de centaines voire de milliers de documents à traiter dans des affaires complexes » souligne Joël Ferry, Colonel (ER) – ancien commandant de la section de recherches de Versailles (78).

Derrière la notion d’algorithme prédictif se dissimule un processus analytique complexe et polyvalent. L’analyse prédictive repose sur des préceptes mathématiques et statistiques à des fins d’extraction de connaissances et de formes criminelles particulières. « L’analyse prédictive constitue une aide à la décision pour un chef opérationnel qui la complète par une approche prospective. » soulignait Patrick Perrot, Chef de la Division Analyse et Investigations Criminelles Service Central de Renseignement Criminel lors d’une conférence et de poursuivre « en matière de lutte contre la criminalité, l’analyse prédictive apporte des éléments objectifs de compréhension mais quoiqu’il arrive et en dépit de la masse de données disponible, incomplets. » 

L’intelligence artificielle apporte alors une plus-value à l’utilisateur qui va à son tour l’enrichir de son expertise, son savoir-faire et ses réflexes d’investigateurs. « Les données de géolocalisation rapportées en temps réel vont faire émerger des traces, des indices probants et de nouvelles hypothèses de travail grâce au Big data et aux algorithmes déployés, mais ceux-ci ne se substituent en aucun cas à l’intelligence humaine » précise l’ancien colonel de gendarmerie.

Besoin avéré pour les forces de l’ordre 

Face à des affaires toujours plus complexes et des hommes en nombre limité, les forces de l’ordre ont inextricablement besoin d’outils analytiques : « Nous allons avoir de plus en plus besoin de coordinateurs de données et de renseignements criminels pour exploiter toutes les informations » précisait le colonel Mirabaud, commandant d’un groupement de gendarmerie départementale du Nord.

La Gendarmerie a en effet déjà initié un travail sur l’analyse des données depuis un peu plus de deux ans avec pour objectif d’anticiper pour mieux agir. Une approche nouvelle « qui doit servir de véritable outil d’aide à la décision pour les équipes opérationnelles. » rappelle la Gendarmerie Nationale.

Les prédictions issues des modèles viennent ainsi compléter l’intuition de l’enquêteur et passent systématiquement par son filtre. « On replace l’intelligence humaine là où elle est la plus utile, c’est-à-dire dans l’interprétation », assure le colonel Perrot.

Dans les détails, la Gendarmerie analyse des données de son patrimoine interne et des données issues de l’Open Data. Par ailleurs, plusieurs modèles mathématiques sont étudiés. « Au niveau spatial, nous étudions à la fois les faits les plus contemporains et leur localisation géographique et nous regardons s’il y a une répétabilité. Cela nous permet de dégager ce qu’on appelle des « hot spots » (zones territoriales restreintes qui concentrent une grande quantité d’actes de délinquance, rapprochés dans le temps et dans l’espace, ndlr) et de voir si ces « hot spots » sont en cohérence avec les faits réels. Si l’étape de validation est pertinente, nous projetons ces données sur les mois suivants », explique le colonel Perrot. Toujours au stade d’expérimentation, la Gendarmerie Nationale entend tester des outils industriels mais ne souhaite pas une approche mono-solution.

Les besoins des opérationnels

La géolocalisation, ou savoir Qui (ou quoi) est, était ou sera Où et Quand, constitue un outil majeur pour les enquêteurs, permettant de surveiller des cibles (délinquance et crime organisés, terroristes) avant la commission d’un délit ou d’un crime afin d’intervenir à temps ou bien pour établir des liens entre plusieurs cibles se trouvant au même endroit et en même temps. Ce type d’information sert aussi à rassembler des éléments de preuve contribuant à élucider une affaire. La géolocalisation est une métadonnée pouvant enrichir des données de contenus interceptés dans le cadre de réquisitions légales. Elle peut également servir à disculper des personnes suspectées.

Une technologie foisonnante  

La numérisation des systèmes recèle un nombre croissant de sources de géolocalisation et une multiplicité de capteurs capables de fournir des « Qui/Où/Quand ». Depuis plus d’une dizaine d’années, les enquêteurs peuvent accéder à la localisation des téléphones portables des opérateurs de communications électroniques ainsi que de balises GPS. Mais progressivement, d’autres techniques de géolocalisation sont apparues tels que les lecteurs automatiques de plaques d’immatriculation, la reconnaissance de visage sur vidéosurveillance, le PNR, l’analyse sémantique de procès-verbaux, les véhicules et autres objets communicants, l’accès biométrique, l’usage de titres de paiement, de transport, le contrôle de titres d’identité, de paye, de demandes de crédit, l’e-commerce et l’identité numérique, etc. « Combinée au renseignement humain, la multiplication de ces sources numériques constitue la solution la plus fiable pour confondre des adversaires rompus aux méthodes empêchant leur identification dans la vie quotidienne. Car même pour des criminels et des terroristes chevronnés, il est très difficile de vivre sans laisser des traces numériques » rappelle le colonel (ER) Ferry.

Le problème des ingénieurs et des enquêteurs revient donc à extraire de cet important amas de données géolocalisées, celles qui fourniront un signal utile à la conduite de leur mission : « C’est pourquoi une entreprise spécialisée comme Deveryware développe des logiciels de traitement intelligents capables de combiner ces métadonnées pour établir des « géoprofils » et les filtrer. Ainsi, la connaissance des habitudes d’une cible permettra de détecter des changements significatifs pouvant signaler aux enquêteurs les prémices d’un passage à l’acte, contribuant à prévenir certains crimes ou attentats. » souligne Alain Vernadat, directeur général de Deveryware.

Au coeur de l’enquête, l’une des solutions développées par Deveryware permet de provisionner, d’exploiter et de superviser les dispositifs de géolocalisation, mais aussi d’alerter, de traiter et d’analyser un grand nombre de données provenant de sources multiples. « Notre outil utilisé chaque jour par des milliers d’utilisateurs permet d’augmenter le taux de rapidité d’élucidation des enquêtes. » souligne le représentant de la PME qui travaille actuellement sur la mise au point d’une véritable innovation de rupture qui ne devrait pas passer inaperçue dans les prochains mois. « La solution permettra, dans un futur proche, de dresser le géoprofil d’une cible, de détecter les changements de comportements, ou encore de mettre en évidence des liens entre plusieurs individus. Les forces de l’ordre pourront ainsi mieux anticiper et prévenir les risques à venir. C’est un challenge de taille sur lequel toutes nos équipes sont mobilisées » ajoute Alain Vernadat. Deveryware a par ailleurs choisi d’investir près de 75% de sa R&D sur ce segment.

La PME développe également une solution mobile qui permet de coordonner un dispositif de filature en visualisant simultanément sa position, celle de ses collègues et celle de la cible. Le but, toujours améliorer l’efficacité des filatures et des interventions. Une réponse qui pourrait alors combler les attentes des forces de l’ordre qui appellent de leurs voeux des outils capables d’être utilisés jusque sur le terrain, et interconnectés avec l’Etat-major. C’est alors que la solution de supervision depuis la salle de commandement entre en scène, permettant de visualiser en temps réel toutes les cibles et les équipes sur le terrain facilitant l’optimisation et le pilotage des dispositifs d’intervention.

Un cadre juridique en pleine mutation  

Ces outils démontrent toutes leurs performances et leur utilité mais ils s’inscrivent dans un cadre légal encore étriqué, bien qu’amené à évoluer. Pour les forces de l’ordre, agissant dans le cadre de l’enquête judiciaire ou administrative, la France s’est progressivement dotée d’un arsenal législatif donnant de solides garanties de légitimité et de contrôle a priori et a posteriori, autour du juge judiciaire.Le code de procédure pénale autorise ce dernier à utiliser les moyens nécessaires à la manifestation de la vérité, et autour de la commission de contrôle des techniques du renseignement (CNCTR) avec comme moyen ultime la cour de cassation ou le conseil d’Etat. Les attentats, parallèlement à l’éclosion de nouvelles techniques de lutte, ont accéléré l’encadrement législatif du recueil numérique et du traitement des données. Cependant, le fait précède toujours le droit. C’est pourquoi les professionnels de ces sujets sont appelés à rechercher ensemble les voies d’évolution des textes pour s’adapter aux progrès sans sacrifier aux principes car, en dépit de l’intérêt manifeste que présentent les méthodes prédictives, « il convient de se garder de tout risque d’atteintes aux libertés individuelles. Ce point est un préalable obligatoire à un quelconque déploiement en matière de sécurité publique où la donnée à caractère personnel est exclue du champ d’analyse. » rappelle le Colonel Perrot. Un cadre juridique qui laisse néanmoins « un champ d’usage autorisé intéressant que nous pouvons exploiter » précise Alain Vernadat.

Dans ce contexte d’innovation profonde, Deveryware semble bien engagée dans son challenge des débuts : « Participer au bouleversement de l’état de l’art sur le marché de la géolocalisation était déjà le challenge que nous souhaitions relever lorsque nous avons créé Deveryware en 2003 » confie alors Jacques Salognon, PDG de Deveryware.

Un état de l’art qui pourrait guider les prochaines évolutions de la plateforme nationale des interceptions judiciaires qui n’intègre pas (encore) la géolocalisation… Mais les algorithmes prédictifs n’ont pas encore parlé à ce sujet… A suivre avec des annonces prévues vraisemblablement d’ici au salon Milipol Paris qui se tiendra à Villepinte en novembre prochain !