Vers une approche française ambitieuse en matière de stratégie européenne

Par Jean-Marc Duquesne, Délégué Général du GICAT

Comment un groupement dual comme le GICAT1 peut-il apporter sa pierre à cette construction ?

L’élection du président Macron a remis l’Europe au centre de l’agenda politique et les domaines de la défense et de la sécurité ne font pas exception. En ce qui concerne la défense, le président a donné comme instructions à ses armées de « sans cesse rechercher les voies d’une meilleure collaboration européenne » et le récent conseil Franco-Allemand de Défense et de Sécurité a décidé la mise en place d’un groupe de travail de haut niveau afin de « définir une vision commune de notre ambition industrielle en matière de systèmes terrestres ». A ce titre, la poursuite de la coopération franco-allemande relative à un système majeur de combat terrestre dès la mi-2018 apparaît comme l’exemple à suivre. La Commission européenne n’est pas en reste, avec l’annonce d’un financement européen de 500 M€ par an pour la recherche de défense et d’un fonds doté d’un milliard d’euros pour le développement et l’acquisition à partir de 2020.

La situation est comparable dans le domaine de la sécurité avec dix agences européennes dépendant du domaine Intérieur et Justice. Ces organismes ont une mission de soutien et d’expertise pour l’Union européenne et les États membres. Elles fonctionnent comme des centres d’échange d’informations et jouent un rôle crucial dans la prise en charge de la coopération opérationnelle, telles que les actions transfrontalières conjointes. La Commission cherche à maximiser leur efficacité, à travers une coopération plus étroite entre elles, une meilleure coordination avec les États membres, en particulier en matière de programmation, de planification et d’allocation des ressources. En ce qui concerne la recherche, le budget du programme H20202 « secure societies » prévoit de passer de 190 M€ par an en 2017 à 250 M€ en 2020.

Une opportunité pour notre industrie de sécurité & de défense, sous réserve de s’y préparer 

Cette situation est une opportunité pour notre industrie de sécurité et de défense. Il convient, en effet, de ne pas oublier les objectifs d’une coopération européenne : assurer l’autonomie et la compétitivité de l’industrie européenne de défense et de sécurité. Pour ce faire, les facteurs clés du succès des programmes en coopération demeurent la définition des besoins en commun, le choix d’une gouvernance appropriée, la définition d’un cadre réglementaire adapté et les conditions d’une contribution communautaire source de valeur ajoutée enfin, un mode de financement adapté aux spécificités du secteur Défense et Sécurité. Par ailleurs, si une vision commune se met en place, cela se traduira sans doute par des regroupements capitalistiques à l’image de ce qui s’est fait dans d’autres secteurs comme l’aéronautique civile. Pour nos champions nationaux, cela signifie qu’ils devront devenir des champions européens ou risquer de perdre leurs positions sur le marché mondial. Ces regroupements au niveau des donneurs d’ordre se traduiront par une rationalisation des chaînes de sous-traitance. Nos PME et ETI vont devoir se faire leur place face à leurs homologues des autres pays et probablement se regrouper. Celles qui y arriveront verront s’ouvrir un marché très significatif.

La R&D : essentielle

Une attention toute particulière devra être portée à la R&D. En matière de coopération européenne, il est en effet nécessaire pour peser dans le débat, dans le rapport de forces sous-jacent, d’apporter les technologies nouvelles et les études pertinentes. Dans un contexte de rigueur budgétaire et de respect de nos engagements récemment rappelé par le Président de la République, il est à craindre que l’on cherche à financer certains projets par des financements européens en lieu et place des financements nationaux ou que le financement de projets européens se fasse par préemption (« Fléchage » en langage de Bercy) des crédits actuellement dévolus aux programmes nationaux. Parallèlement, il est probable que dans quelques années, nos laboratoires et nos industriels des domaines défense et sécurité doivent aller chercher une part non négligeable de leurs subventions R&D à Bruxelles, reprenant en cela une pratique courante de la recherche civile. Dans ce domaine, force est de constater que nous disposons de marges d’amélioration.

L’examen du nombre de coordinateurs du programme européen « 3.7 » montre en effet que la France occupe un rang très moyen. L’Italie, l’Espagne, la Grèce, l’Irlande, l’Allemagne, et même la Belgique et l’Autriche font notablement mieux que nous.

Plusieurs adhérents du GICAT ont une bonne expérience de l’Europe, certains étant de véritables « serial H2020 ». Mais la plupart de nos PME auront besoin de temps pour apprendre à aller chasser en terre bruxelloise. Heureusement pour elles, il n’est pas nécessaire (ni même souhaitable) d’être coordinatrices. Il est en effet plus simple et moins onéreux d’être membre d’un consortium mené par d’autres. Il leur faut d’urgence aller se faire connaitre des coordinateurs potentiels et des futurs donneurs d’ordre des pays ayant une bonne expérience en la matière et commencer à travailler avec eux.

De son côté, le GICAT participe depuis plusieurs années au groupe de travail terrestre de l’ELDIG (European Land Defence Industry Group) au sein de l’ASD3 et aux groupes de travail du CoFIS (le comité de filière de l’industrie de sécurité) et du Conseil des industries de confiance et de sécurité (CICS). Plusieurs de ses adhérents sont représentés à l’ASD, à l’EOS4 et à l’ECSO5. Mais il faut faire mieux et rapidement. C’est pourquoi, le GICAT a décidé de passer à la vitesse supérieure.

Un groupement dual (Sécurité & Défense) à l’offensive 

La première étape a consisté à établir une présence permanente à Bruxelles par le biais d’un consultant, à la fois vigie pour les programmes européens et guide pour les adhérents. Cette étape est réalisée et poursuit sa montée en puissance.

La deuxième étape fut de renouer avec nos homologues des groupements professionnels européens sans distinction de taille ni de puissance industrielle (les projets européens nécessitent des consortia organisés autour d’entreprises de pays différents). En raison des orientations françaises, un effort particulier a été réalisé en direction de notre homologue allemand BDSV avec qui nous avons désormais des échanges réguliers. Cela a été l’occasion de mettre en exergue les travaux de recherche d’un de nos adhérents : l’Institut franco-allemand Saint Louis.

La troisième est en cours de réalisation par une présence accrue dans les groupes de travail bruxellois, la participation à différents évènements tant de l’Agence européenne de Défense que de la Commission.

Le GICAT, représentant ses industriels, forts de leurs savoir-faire tant dans le domaine de la sécurité que de la défense, poursuit son développement européen en direction de cette « nouvelle frontière » que sont les programmes à venir en matière de Défense et de Sécurité.

1. GICAT : Groupement des industries de Défense et de Sécurité terrestres et aéroterrestres

2. Horizon 2020 : Programme européen pour la recherche et l’innovation

3. ASD : The voice of European Aeronautics, Space, Defence and Security Industries

4. European Organisation for Security

5. European Cyber Security Organisation