Le rôle des préfectures dans la gestion des crises : le numérique pour plus de résilience

two security guards watching video monitoring surveillance security system

Par David ASSOU, porteur de l’offre solutions de Sécurité Intérieure et expert Smart City, Capgemini Technology Services.

Les menaces qui touchent notre territoire depuis quelques décennies ont changé. Douze projets d’attentats ont été déjoués par la DGSI d’après le ministre de l’intérieur depuis le début d’année.

Les risques naturels comme les épisodes de canicules, les incendies et les inondations se multiplient également ces dernières années. Les ouragans (Rita et Maria) qui ont frappé Antilles l’attestent.

Malgré le professionnalisme des forces de sécurité intérieure (FSI), des services déconcentrés de l’Etat (DDT, ARS, DREAL…) et des forces armées (FA), il est difficile d’empêcher tous les attentats sur notre territoire, d’anticiper parfaitement un risque naturel ou d’organiser de manière coordonnée la réponse à une cyberattaque de grande ampleur.

Les préfectures jouent un rôle clé dans le domaine de la gestion des crises, et ce surtout depuis la mise en place de la loi de modernisation de la sécurité civile de 2004 et la Directive Nationale de Sécurité. En effet, elles incarnent la capacité à apporter la résilience nécessaire au pays tout en étant capable d’orchestrer la réponse de la puissance publique avec les différentes parties prenantes.

Il est possible, grâce à la transformation digitale que connaissent les organisations publiques et privées depuis une dizaine d’années, de permettre aux services spécialisés et à la population de mieux se préparer à affronter les crises en modernisant les équipements numériques des préfectures.

Pierre angulaire du dispositif, le préfet a pour mission de maintenir l’ordre public et la sécurité des personnes et des biens à l’échelle du département. Il arrête le plan ORSEC (Organisation de Réponse de Sécurité Civile) qui recense les différents risques. Avec les équipes des services interministériels de Défense et de protection civile (SIDPC), ils ont pour mission de coordonner la réponse des parties prenantes au profit des biens et populations sur les territoires.

Or, les différentes crises amènent de la complexité en engageant beaucoup d’acteurs en fonction de leurs natures : les forces de sécurité intérieure (police, gendarmerie, pompiers), les forces armées, les directions départementales interministérielles, les directions régionales, les collectivités territoriales ou encore les opérateurs d’importance vitale (OIV). Les systèmes d’information et de commandement des directions des FSI ne sont, pour autant, pas connectés entre eux.

De plus, les collectivités territoriales n’ont pas, pour l’heure, de capacités numériques permettant de mettre en œuvre leurs plans communaux de sauvegarde (PCS) quand cela est nécessaire.

La communication entre ces différents acteurs engendre des flux d’informations importants, des échelons de décision différents mais aussi des référentiels, des organisations, des délimitations géographiques, des jargons, des doctrines et des procédures très hétérogènes.

La modernisation des outils de gestion de crise pour les préfectures symboliserait donc le développement d’une culture de la gestion de crise qui n’existe globalement pas en France.

De multiples enjeux

Dans le contexte actuel, l’enjeu prioritaire de cette modernisation est l’interopérabilité. Pour avancer sur cette problématique, il faut envisager des référentiels communs, des droits d’accès adaptés et se baser sur des procédures partagées afin que les décisions prisent au centre interministériel de crises (CIC) ou au centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC) soient diffusées de manière adaptée jusqu’à la population en passant par tous les niveaux de décision, notamment par celui des préfectures.

La donnée représente également un enjeu crucial. Afin de garantir l’efficacité de la gestion de crise, celle-ci doit être de qualité, fiable et à jour. Grâce à l’APIfication des ressources des centres opérations des différents services (police, gendarmerie, pompiers…) et au concept de Plate-forme de l’Etat, la maîtrise de ces flux de data relatives au thème de la sécurité intérieure permettrait à terme de détenir une capacité autre que Google Maps. Cet aspect permettrait l’appréhension d’une crise systémique sur tout ou partie du territoire, provoquée par une pénurie de carburant par exemple.

En matière d’aide à la décision, plusieurs fonctionnalités sont à améliorer pour les préfectures grâce au numérique. Le préfet, lorsqu’il mobilise son centre opération départemental (COD) pour gérer une crise, a besoin d’informations remontant rapidement via une cartographie numérique simple d’utilisation. Certes, il ne s’intéressera pas au niveau tactique mais pourra avoir besoin de fonctionnalités comme le géofencing par exemple pour mieux estimer, géographiquement et en temps réel, l’évolution, d’un ou plusieurs événements.

La salle de crise devra aussi permettre d’intégrer à la décision différents flux d’information vidéo  (drones, caméra protection, smartphone…) dans une salle de crise adaptée.

Par ailleurs, des progrès pourraient être envisagés pour l’entrainement à la gestion des crises (simulation, prédiction…). Les menaces et les risques pouvant être variables d’un département à  l’autre, il s’agirait de pouvoir conduire grâce au numérique un exercice  à partir d’un plan de réponse (PPRI ou PPRT par exemple), un des enjeux de la modernisation reposant sur la numérisation de ceux-ci. Ils ne sont pas toujours mis à jour et surtout, ils ne sont pas connus du plus grand nombre mais souvent de ceux qui les élaborent. Les modules de retours d’expériences doivent être systématiquement intégrés et être mieux formalisés. Pour qu’un exercice ou entrainement soit profitable, il faut que tous les acteurs des exercices ou de la conduite de la crise réelle participent à l’analyse après action et puissent en bénéficier à l’issue pour améliorer les dispositifs et les procédures. Trop souvent, l’actualité dense et l’immédiateté freinent la prise en compte des points à améliorer.

L’alerte à la population, quant à elle, est un enjeu fondamental. En cas de problème, il faut pouvoir prévenir le plus grand nombre de l’existence d’une crise et surtout de la conduite à tenir. Le taux d’équipement en smartphones de la population étant en augmentation constante, il faut miser sur ce moyen privilégié pour alerter le plus grand nombre, comme le préconise un rapport parlementaire paru récemment sur la question.

La population interagira de plus en plus avec les services spécialisés en cas de crise : c’est le principe de l’autonomisation consacré par l’article 4 de la loi sur la modernisation de la sécurité civile.

Rapprochement public-privé

Dès lors, plusieurs recommandations pourraient être formulées afin d’accélérer la modernisation des outils de gestion de crise des préfectures.

D’une part, afin de faire travailler les services de l’Etat avec les industriels sur les besoins des préfectures en matière de gestion des crises, il faudrait faciliter les partenariats publics privés par le biais de concours d’innovation ou de hackathons. Les entreprises proposeraient en mode partenarial ou pas, de manière agile et au moyen de POC (Proof of Concept), des outils simples et adaptés aux besoins et exigences des acteurs.

D’autre part, les complémentarités entre acteurs de la gestion de crise doivent être mises en valeur. Les collectivités territoriales censées mettre en œuvre leurs plans communaux de sauvegarde (PCS) sur activation des préfectures souhaitent accélérer leur modernisation par le numérique. Certains maires, en tant que Directeur des Opérations de Secours (DDOS) chargés de l’alerte, l’évacuation, l’hébergement et le ravitaillement de la population évoquent les synergies qui existent entre les polices municipales et les autres forces de sécurité intérieure coordonnées par les préfets. De plus, certaines collectivités territoriales et EPCI comme les syndicats mixtes dédiés à l’aménagement numérique s’intéressent aux moyens d’améliorer les réponses aux inondations ou aux incendies. La situation budgétaire tendue les incite à mutualiser et rationaliser leurs transformations numériques.

Le projet Smart City du Grand Dijon, dont le détail vient d’être annoncé, prévoit un poste de commandement (PCC) qui permettra notamment de coordonner les interventions de la Police Municipale au profit des communes de la métropole en utilisant les caméras de vidéoprotection et l’ensemble du mobilier urbain connecté. Les habitants pourront interagir avec le PCC via des applications.

À l’avenir, nous n’aurons pas un système centralisé qui pilote la gestion des crises en France mais plusieurs systèmes et applications qui coexistent, plaçant le sujet de l’interopérabilité des systèmes d’information en tête des enjeux. À ce titre, les ministères de l’Intérieur et des Armées pourraient poursuivre la collaboration initiée lors du projet de système de coordination des troupes sentinelles mis en place lors de l’EURO 2016 organisé en France.

Stratégie & doctrine

Il faudrait que l’Etat se dote d’une stratégie de transformation et d’une doctrine de gestion de crise qui s’appuie sur le positionnement des préfectures.

Le plan préfecture nouvelle génération (PPNG) met l’accent sur la rationalisation et la mutualisation de la mission état civil des préfectures. Il prévoit de dématérialiser totalement cette partie. Pour la partie gestion des crises par les préfectures, ce plan ne prévoit pas pour l’instant d’action en profondeur.

Par ailleurs, le plan de modernisation de la sécurité intérieure proposé par l’Etat qui s’étend de 2019 à 2022 devrait servir de base à la mise en place de nouveaux outils pour les préfectures.

Alors que la France s’apprête à sortir de l’Etat d’urgence, la sécurité, principale mission régalienne est perçue comme prioritaire pour les citoyens français et européens. Elle fait et fera figure d’enjeu principal des prochains Jeux Olympiques de 2024 qui se dérouleront en France.

The role of prefectures in crisis management: digital for greater resilience.

The threats that have affected our territory over the last few decades have changed. Twelve bombing projects have been thwarted by the Intelligence Services according to the Minister of the Interior since the beginning of the year. Natural hazards such as heat waves, fires and floods are also increasing in recent years. The hurricanes (Rita and Maria) that took place in the Antilles attest.

Despite the professionalism of the internal security forces, the deconcentrated services of the State and the armed forces, it is difficult to prevent all the attacks on our territory, perfectly anticipate a natural risk or coordinate the response to a large-scale cyber attack?

The prefectures play a key role in the field of crisis management. They embody the capacity to bring the necessary resilience to the country by being able to orchestrate the response of the various stakeholders as provided for by the 2004 Civil Protection Modernization Act and the National Security Directive. Thanks to the digital transformation experienced by public and private organizations over the past ten years, it is possible to allow specialized services and the population to better prepare themselves to face the crisis by modernizing the prefecture crisis management tools. By putting in place more interoperability for example. This question is valid in France but also between European countries.

As France prepares to leave the state of emergency, security, the main mission of the governement, is seen as a priority for citizens and is the main issue for the next Olympic Games in 2024.