Programme Horizon 2020 de la Commission européenne : pour une union de la sécurité

Financer la recherche dans le domaine de la sécurité : tel est l’un des objectifs du Programme Horizon 2020 de l’Union européenne, qui soutient plusieurs projets innovants pour des sociétés plus sûres, dont des coopérations spécifiques avec l’Asie. 

Entretien avec Michel Bosco, qui nous dévoile les coulisses de ces appels à propositions.

Horizon 2020 ? C’est avant tout un pari sur l’avenir. C’est aussi le plus grand programme de recherche et d’innovation de l’Union européenne, avec près de 80 milliards d’euros de financement disponible sur 7 ans (2014 à 2020). Considéré comme un moyen de stimuler la croissance économique et de créer des emplois, Horizon 2020 vise à assurer la compétitivité mondiale de l’Europe. Et le domaine de la sécurité n’est pas oublié dans ce programme ! Pour nous en parler, nous avons sollicité Michel Bosco, qui a passé près de 25 ans à la Commission européenne et qui a notamment été responsable du programme de financement de la recherche dans le domaine Sécurité. L’Europe soutient de nombreux projets dans des domaines aussi variés que le contre-terrorisme, le contrôle des frontières, le risque NRBC, la protection d’infrastructures critiques ou encore les premiers secours.

Plus efficaces ensemble

Il y a maintenant plusieurs années que les spécialistes de l’International Forum to Advance First Responder Innovation (IFAFRI)1, le Forum international pour le soutien de l’innovation dans les premiers secours, ont dressé le constat suivant : dans ce domaine, les marchés nationaux ne sont pas assez larges pour motiver l’investissement par l’industrie. D’où l’idée de développer des coopérations internationales, bilatérales ou trilatérales pour favoriser la coopération au niveau de la recherche, mais aussi industrielle.

Parmi les appels à propositions pour la recherche et l’innovation que la Commission européenne lance fin octobre 2017, certains thèmes soulignent l’intérêt pour la coopération avec certains pays asiatiques, et plus spécifiquement la Corée du Sud et le Japon. « La Commission a choisi ces sujets car le Japon est particulièrement avancé dans la prise en compte des facteurs humains dans la gestion de désastres et situations de crise. Au Japon, beaucoup plus de méthodes ont été développées tant pour les professionnels que les citoyens. Les moyens de secours s’adaptent à la façon dont réagit la population, nous explique Michel Bosco. Il y a une compétence qui vaut la peine d’être étudiée, même si il y existe des différences culturelles entre les pays. » 

La Corée du Sud, quant à elle, dispose d’une véritable expertise dans la gestion des risques et désastres et le secours aux personnes, mais plutôt sur le plan technologique. « La Corée du Sud a développé des matériaux et une connectivité de pointe pour les habits de protection et vêtements professionnels des pompiers, de la police et des forces d’intervention en général. Ce sont des technologies très intéressantes, souligne Michel Bosco. Le marché asiatique est très porteur sur ces sujets, tout d’abord car il y a un besoin énorme. Les catastrophes sont malheureusement nombreuses, ce qui amène plus d’exigence et de raisons d’investir. Par ailleurs, il y a des compétences locales qui permettent une coopération et pas juste une relation vendeur-acheteur. »

Outre les premiers secours, la Commission européenne encourage la coopération avec la Corée du Sud de manière plus large dans les domaines du Cloud, de l’Internet of Things et de l’intelligence artificielle. C’est aussi le cas avec le Japon, pour lequel une coopération sur le thème « Advanced technologies : Security, IOT, cloud and big data in the context of the smart cities » a été lancée. « Le Japon a des compétences qui valent la peine de coopérer », indique Michel Bosco.

La Commission européenne oblige les consortiums à intégrer des utilisateurs dans leur projet. « Cela a un effet qualitatif, qui prouve qu’un projet a des débouchés pratiques. Cela constitue aussi un levier en amont : un pompier qui serait par exemple sollicité par un consortium pour un projet qui fait peu de sens pour lui refusera d’y prendre part. Le projet ne verra pas le jour. Et en aval, si le projet donne satisfaction aux professionnels, il sera plus facilement commercialisé », conclut Michel Bosco.

Appels à propositions de la Commission européenne : comment ça marche ?

Tous les appels à propositions sont répertoriés sur une plateforme. Les textes seront connus fin octobre pour la période 2018-2019. La date limite de réception des propositions se situera environ 4 mois plus tard. En règle générale, trois pays européens doivent être représentés au minimum, plus le pays tiers si une coopération spécifique est demandée. Ces pays forment alors un consortium. 

Les premières décisions d’attribution des financements seront prises par la Commission européenne en décembre 2018. Le travail pourra alors commencer. L’un des objectifs de la Commission est d’offrir aux projets un taux de succès de 1 sur 5 dans le domaine sécurité, sachant que 500 à 800 dossiers sont déposés à chaque fois. En moyenne, les candidats se voient attribuer 6 millions d’euros par projet (à partager entre les partenaires). 

Pour retrouver les appels à propositions de la Commission européenne : http://ec.europa.eu/research/participants/portal 

Un investissement sur l’avenir

Si la Commission finance la recherche, c’est parce l’Union européenne pense que la compétitivité de l’industrie et la croissance industrielle et économique reposent sur l’innovation. Elle facilite les échanges transfrontaliers, en termes de recherche puis d’activité économique. Les projets dans le domaine de la sécurité doivent venir appuyer le développement économique du secteur. Mais ce n’est pas le seul objectif : l’intérêt est aussi que les pompiers, par exemple, soient un jour mieux équipés qu’ils ne le sont aujourd’hui, ou que la détection de matières explosives fabriquées par un groupe terroriste soit plus rapide et fiable qu’elle ne l’est actuellement. « Financer la recherche, c’est venir appuyer des améliorations dans la société », souligne Michel Bosco.

La Commission européenne s’engage, et les résultats sont là. Parmi les projets déjà financés dans le domaine de la sécurité, on peut en citer un en sciences humaines conduit il y a 6 ans, et qui concernait la lutte contre la radicalisation : il s’agissait de la réalisation d’un manuel permettant aux professionnels de la sécurité d’évaluer la dangerosité ou la capacité à passer à l’acte de tel ou tel individu. Ce manuel a d’ores et déjà été adapté et adopté par des états-membres de l’Union européenne. Michel Bosco cite également un projet qui a validé un processus de fabrication industrielle de composants d’explosifs qui les rendrait beaucoup moins dangereux une fois mélangé à d’autres. Des brevets ont été déposés.

Parmi les projets phares d’Horizon 2020, Reaching Out est porté depuis 2014 par un consortium auquel participe notamment le Polytech de l’université de Nice, sur le thème de la gestion des désastres liés à l’eau. Le consortium est parti d’un constat : dans ce domaine, il y a un vrai problème de fragmentation de l’offre, de la demande et des technologies utiles à la mise en place de solutions. Des centaines de PME produisent des composants très utiles mais uniquement si on les associe. Le projet Reaching Out a donc pour objectif d’amener les fabricants à mieux coopérer pour rendre ces composants interopérables. L’un des points clés du projet consiste à aller démontrer ces solutions sur des marchés hors Europe. L’un des premiers lieux de démonstrations sera Taiwan. L’île dispose de quatre parcs scientifiques, sortes de Silicon Valley où sont produits près de 90 % des microprocesseurs en vente dans le monde. Hors, ces parcs scientifiques sont construits dans des zones où les risques d’inondation sont importants. Ces parcs doivent donc s’équiper de systèmes de gestion de ce genre de catastrophes. Les Européens qui participent au projet vont aller démontrer des solutions prototypes en situation réelle. Une autre démonstration est prévue dans un quartier de Shanghai, en partie situé en zone inondable, et une autre au Bengladesh.

« Plus personne ne doute de l’utilité globale de ces gros investissements européens. Le programme sécurité est finalement assez récent : cela fait seulement 12 ans qu’il y a un financement européen. Les programmes sont pensés et établis par la Commission européenne en étroite interaction avec des spécialistes dans les états-membres, experts du monde académique ou de l’industrie. Pour le programme sécurité, on fait de la recherche appliquée avec un objectif de marché et d’amélioration des produits aujourd’hui vendus aux utilisateurs », conclut Michel Bosco.