Justice & sécurité : les parlementaires prennent la main !

Justice & sécurité : les parlementaires prennent la main !

« Le président de la République déclare à juste titre que la France est en guerre ; le Premier ministre déclare à juste titre que la menace terroriste n’a jamais été aussi élevée. Aujourd’hui, la politique pénale ne concerne plus uniquement la délinquance de droit commun, mais également la sécurité nationale face à ces nouvelles menaces », explique Georges Fenech, député du Rhône Les Républicains, spécialiste de la justice, et désormais président de la commission d’enquête parlementaire qui doit examiner les failles éventuelles dans le dispositif de la sécurité de l’État depuis les attentats de janvier 2015.

Pointer & résoudre les failles

« Il y aura sans aucun doute un avant et un après 13 novembre en France », souligne le député. Il importe donc d’identifier les réelles menaces et de comprendre les failles dans le système français qui ont abouti à ces attentats. C’est pourquoi, il a été décidé la création de cette nouvelle commission d’enquête parlementaire. Une initiative à la demande de la droite parlementaire qui a fait pression sur le gouvernement pour obtenir l’ouverture de cette enquête après les attentats du 13 novembre. L’opposition a ainsi fait valoir son “droit de tirage”, une prérogative qu’elle peut exercer une fois par an pour obtenir l’ouverture d’une enquête sur un sujet particulier.

« Nous avons décidé la création d’une nouvelle commission d’enquête parlementaire, composée d’une trentaine de députés, qui s’intéresse aux moyens mis en œuvre par l’État depuis le 7 janvier, dont j’assure la présidence et M. Sébastien Pietrasanta, député socialiste, expert des questions de déradicalisation, la fonction de rapporteur. Notre objectif vise à apporter une plus-value en formulant de nouvelles propositions afin d’améliorer notre lutte contre le terrorisme », souligne le député de droite.

La réflexion va porter sur les moyens mis en œuvre pour lutter contre le terrorisme au regard, notamment, du rôle et du fonctionnement du renseignement en France qui, « apparemment, dispose de moyens conséquents, contrairement à la justice, tandis que la démultiplication des services (19) porte à croire à l’existence de dysfonctionnements », précise le président de la commission. « Nous allons forcément analyser les circonstances qui ont permis à des kamikazes de passer à l’acte, alors qu’ils étaient fichés. Il s’agit de comprendre pourquoi l’État n’a pas pu intervenir plus en amont pour les stopper », explique l’un des membres de la commission.

Auditions libres, secret défense et professionnel ?

Lors des premières auditions menées, des dysfonctionnements d’aide et d’information ont été notamment pointés du doigt. Numéros d’urgence saturés, identifications tardives des victimes, faible prise en charge psychologique… Pour Sébastien Pietrasanta, résoudre ces failles est justement le but de cette vaste enquête qui n’en est qu’à ces débuts. « Il faut travailler à partir de ce qui a été fait par les différents services, de santé, de la sécurité, de prévention mis en place depuis le 7 janvier. » Malgré le plan Vigipirate, il n’y a pas eu de fouilles au Bataclan le soir de l’attaque alors que la salle avait déjà été menacée. Le député assure ainsi vouloir faire la lumière sur cette question en auditionnant notamment le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve en mars ainsi que les services de renseignement et les services d’intervention. Bien que, sur le papier, les pouvoirs de cette commission semblent importants, le secret défense et le secret professionnel pourront aussi lui être opposés… Ce qui ne facilitera pas la tâche des parlementaires qui devront rendre leur rapport définitif à la mi-juillet.

Enfin, pour le rapporteur de la commission, écouter la parole des victimes est essentiel. « Nous avons souhaité avec Georges Fenech, donner la parole en premier aux victimes et à leur avocats ensuite. » Un guichet unique devrait également voir le jour afin que les familles puissent savoir à qui s’adresser dans pareil cas.

Réforme de la procédure pénale

Madame Taubira, garde des Sceaux, démissionnaire du gouvernement, a été remplacée il y a peu par Jean-Jacques Urvoas, spécialiste du renseignement et du terrorisme qui, dans le cadre de ses nouvelles fonctions, a été auditionné en février à la commission des Lois pour présenter le projet de réforme de la procédure pénale. « Nous étions très farouchement opposés à cette culture de l’excuse qui caractérisait la politique pénale de Mme Taubira », précise Georges Fenech, et de poursuivre en citant l’exemple de « la suppression des peines planchers pour les récidivistes ».

Les peines planchers pour les récidivistes ont en effet été supprimées, « et environ 80 000 peines de prison ne sont pas effectuées en raison du manque de place, instaurant de manière quasi systématique la règle du numerus clausus. L’alignement des allongements de peine, des réductions de peine des récidivistes sur les primo-délinquants, n’encourage pas à cesser la délinquance compte tenu de la faiblesse des mesures de répression. L’entrée au gouvernement de M. Urvoas apportera, je l’espère, des changements à la politique pénale en cours. »

Par ailleurs, malgré le constat d’un manque de places de prison – 58 000 places pour 68 000 détenus –, Mme Taubira avait renoncé à la construction de nouveaux établissements pénitentiaires « alors que nous rencontrons un problème de sous-équipement immobilier pénitentiaire ». Parallèlement, la nouvelle peine dite de “contrainte pénale” « ne fonctionne pas dans la mesure où nos moyens sont insuffisants pour attribuer des agents de probation auprès de chaque contraint pénal », a rappelé Georges Fenech lors des rencontres parlementaires de la sécurité en février dernier.

Jean-Jacques Urvoas a, pour sa part, déclaré lors de sa première interview en tant que garde des Sceaux que « l’incarcération est un outil utile », ajoutant vouloir « construire de nouvelles places de prison » pour résoudre la surpopulation. De quoi donner satisfaction à la droite sur ces premiers éléments… Des affirmations pour autant contraires à ce que l’on a pu entendre en 2014, où Jean-Jacques Urvoas fustigeait alors : « La surpopulation carcérale a des effets désastreux et on continue d’enfermer. » Et évoquait l’extension du parc carcéral comme « une course sans fin » n’ayant pas « d’autres effets que d’encourager de nouvelles incarcérations » (rapport d’information n° 2388 sur l’encellulement individuel)…

Simplifier la procédure pénale & pérennisation de l’état d’urgence

« Il est nécessaire de renforcer les moyens juridiques et judiciaires sans tomber dans une fuite en avant sécuritaire », tient à rappeler Georges Fenech. La réforme de la procédure pénale comporte de nombreuses propositions, dont certaines recueillent l’assentiment de la droite, tandis que d’autres suscitent l’inquiétude…

« Nous sommes en accord avec les propositions visant à renforcer la protection des témoins, à la lutter contre les infractions en matière d’arme et de cybercriminalité ainsi que contre le blanchiment et le financement du terrorisme, ou encore à simplifier la procédure pénale pour alléger le travail des enquêteurs », mais la droite s’inquiète des dispositifs ouvrant la voie à une pérennisation de l’état d’urgence – qui vient d’être prolongé jusqu’en mai – relevant dès lors du droit commun et qui « constituent un risque de franchissement du point d’équilibre entre la sécurité et le nécessaire respect des concitoyens dans un État de droit dont le juge judiciaire est le garant », souligne le député LR.

Glissements au sein de la magistrature

Le projet actuel prévoit le renforcement des pouvoirs des juges du parquet, « suscitant l’inquiétude au sein de la magistrature. Ceux-ci seront en droit d’effectuer des perquisitions sans consentement, de jour et de nuit, alors que ces pouvoirs relèvent actuellement de la compétence des juges d’instruction. Ce glissement des pouvoirs de l’instruction en faveur du parquet alors que leur rattachement au pouvoir exécutif ne leur confère pas d’indépendance peut se révéler attentatoire à l’État de droit. Une réforme du parquet devrait être engagée. 

Ce projet de réforme autorise également les écoutes téléphoniques, les captations de données informatiques, la sonorisation de lieux privés ainsi que le balisage de véhicules sous le contrôle du juge des libertés et de la détention, « mais ce dernier ne dispose pas de statut ni de moyens », ajoute Georges Fenech, et de poursuivre : « Un second glissement s’observe avec un transfert de compétences de l’autorité judiciaire vers l’autorité administrative par l’attribution au préfet des pouvoirs d’identification des individus, de fouilles de véhicules, de garde à vue administrative ou d’assignation à résidence. »

La pénitentiaire au ministère de l’Intérieur

Dans le cadre de son mandat de secrétaire à la Justice pour Les Républicains, Georges Fenech a par ailleurs proposé le détachement de l’Administration pénitentiaire de la justice et son rattachement au ministère de l’Intérieur, tout en conservant le juge d’application des peines intervenant au cours de l’exécution de la peine, et non plus ab initio.