Fake News, faut-il s’en inquiéter ?

Sacré « buzz word » de l’année 2017, l’ombre des « fake news » a plané sur les campagnes présidentielles françaises et américaines, et plus récemment sur la crise catalane.

Par Amélie Rives et Guillaume Tissier

Résultat ? Une vague d’inquiétude, voire de panique, quant au poids des réseaux sociaux dans ces campagnes et au rôle qu’aurait joué la Russie dans ces manipulations. Les chiffres révélés par les grandes plateformes numériques dans le cadre de l’enquête lancée par le Congrès américain paraissent en effet effarants : 126 millions d’américains auraient été potentiellement exposés aux contenus mis en ligne par des intérêts russes, quelque 1,4 millions de tweets émanant de 34 746 comptes twitter seraient liés à « l’Internet Research Agency », une société de St Peterbourg, 100 000 dollars d’espaces publicitaires vendus par Facebook à 470 comptes appartenant manifestement à cette même « usine à troll »…Relativisons tout d’abord ces chiffres. Les messages en cause ne concernent tout d’abord qu’une infime partie du trafic enregistré sur ces plateformes. Par ailleurs, toutes les personnes exposées à ces « fake news » n’ont fort heureusement pas été influencées par leurs contenus et abandonné tout sens critique. Enfin, ce type d’opération n’a rien de nouveau. Comme le dit Jean-Noël Kapferer, la rumeur est « le plus vieux média du monde ». Et même s’il faut reconnaître à la Russie une certaine avance en matière de « guerre hybride », le pays est loin d’être le seul pays à utiliser efficacement l’information offensive…

Quelles nouveautés ?

Ces manipulations présentent pourtant plusieurs nouveautés qui méritent d’être soulignées :

• Le climat de défiance à l’égard des médias traditionnels, qui explique en partie la réceptivité du public à ces « fake news ». Un récent sondage de l’Institut Poynter (1) révélait ainsi que les Américains n’étaient plus que 49% à faire confiance aux grands médias, avec un écart fort entre les sympathisants démocrates (74%) et républicains (19%).

• Le rôle majeur joué par les réseaux sociaux. Rassemblant 2,3 milliards d’individus, soit 31 % de la population mondiale, ceux-ci sont devenus une formidable caisse de résonnance, « désintermédiant » les médias traditionnels. Qu’on en juge par les 2 milliards d’utilisateurs actifs de Facebook dans le monde, dont 33 millions en France. S’il n’est pas question de faire de ces plateformes des bouc-émissaires, impossible pour autant de les exonérer de toute responsabilité. Les réseaux sociaux ne sont plus de simples relais : ils sont devenus des « médias sociaux ». Même chose pour les moteurs de recherche, la simple hiérarchisation de l’information pouvant déjà être considérée comme de l’information… Grâce à la contextualisation, l’éditorialisation de contenus et différentes techniques d’optimisation, ces plateformes n’ont en effet d’autre objectif que d’acheter du temps de cerveau de leurs visiteurs. Et dans le cas présent, c’est un peu comme si cette « économie de l’attention » avait été détournée de ses objectifs initiaux et s’était retournée contre ses inventeurs, à l’image des 48 millions de comptes twitter gérés par des « bots » qui entament durablement la réputation du réseau social.

• L’instantanéité de la diffusion de l’information, particulièrement visible dans les « hoax crash », comme celui lancé par le piratage du compte Tweeter d’Associated Press par la Syrian Electronic Army en 2013 et l’annonce que deux bombes avaient explosé à la Maison blanche. Les chercheurs estiment ainsi à environ 6 minutes le temps maximal qu’ont les cibles pour réagir. Plusieurs sociétés, comme Vinci, l’ont récemment appris à leurs dépens.

• Leur dimension technologique. Même si l’on retrouve dans ces opérations toutes les ficelles habituelles de la manipulation (informations détournées, sorties de leur contexte, fabriquées…), les technologies, et en particulier l’intelligence artificielle, permettent aujourd’hui d’industrialiser le processus. Il est ainsi facile de modifier des photos, de créer et de gérer à la chaine de faux comptes, de les rendre crédibles, voire même de créer de faux discours de personnalités à partir de quelques heures d’enregistrement de vrais discours.

La fabrique des fake news

Imiter les voix… C’est la solution proposée par la start-up canadienne LyreBird (2) qui a développé un algorithme permettant d’imiter n’importe quelle voix à partir d’un enregistrement d’une minute seulement. Cet outil basé sur des réseaux de neurones et utilisant le machine learning crée des « avatars » numériques des voix enregistrées, reproduisant presque à la perfection les spécificités et intonations de chacune et permettant ainsi de faire dire à son auteur des phrases inventées de toutes pièces.

…Et synchroniser les images. C’est l’objectif que s’est donné l’Université de Washington qui a créé, en s’appuyant sur les mêmes technologies, un réseau de neurones artificiels, capable de convertir la piste audio d’enregistrements vidéos, en reproductions visuelles des lèvres de son auteur. Cet outil permet ainsi, pour la première fois, de synchroniser le mouvement des lèvres et les paroles entendues, tous deux étant donc des faux. Démonstration avec un faux discours de Barack Obama créé à partir de 14h de discours authentique du vrai Barack Obama (3).

Quelles solutions ?

Face aux « fake news », aucune solution miracle mais une combinaison d’actions :

• Sensibilisation et formation des internautes. Un électorat peu instruit, peu sensibilisé, sera toujours plus vulnérable à la manipulation. Il faut promouvoir une lecture critique des médias sociaux, tout comme d’ailleurs des médias « main stream »… Différents outils sont maintenant à la disposition des internautes, qu’il s’agisse de solutions de « fact-checking » ou de « cross-checking » comme Storyzy (4), qui propose notamment un vérificateur de citations, ou Mondeca (5) qui offre des solutions d’interprétation de contenus texte, image ou vidéo.

• Reconquête par les médias « main stream » du terrain perdu face aux médias sociaux. La plateforme Crosscheck (6) qui a dénoncé les « fake news » et proposé de la contre-investigation pendant la dernière campagne présidentielle française constitue, de ce point de vue, une initiative originale et intéressante.

• Utilisation des technologies d’intelligence artificielle pour la détection. Si ces technologies permettent de manipuler les contenus, elles permettent aussi de faciliter la détection de contenus manipulés. Exemple le programme Media Forensic ou MEDIFOR lancé par la DARPA américaine (7) pour pouvoir certifier « bio », c’est à dire sans transformation, des images ou vidéos.

Cross Check : l’éducation à l’information

La lutte contre la désinformation consiste aussi à permettre aux citoyens d’identifier les contenus douteux. A l’occasion des dernières élections présidentielles françaises, plusieurs dizaines de rédactions françaises et étrangères ont ainsi collaboré pour détecter et vérifier les contenus diffusés sur les réseaux sociaux et dits « viraux » qui auraient pu être de nature à modifier l’opinion. C’est ainsi qu’est née la plateforme CrossCheck, soutenue par le réseau FirstDraft et Google NewsLab et basée sur la mise en commun des outils techniques, des compétences, connaissances et savoir-faire.

• Judiciarisation des « fake news » et régulation des médias sociaux. Plusieurs projets de loi ont vu le jour en France ou aux Etats-Unis ces derniers mois pour sanctionner la diffusion de fausses nouvelles et contraindre les médias sociaux à divulguer l’identité des acheteurs de publicité en ligne. La Commission européenne vient de son côté de lancer une consultation en ligne publique pour aboutir à une série de mesures au Printemps 2018. Au cœur de la réflexion : les nouvelles responsabilités des médias sociaux, en particulier en matière de transparence et d’auditabilité sur les algorithmes utilisés. Si l’auto-régulation peut jouer un rôle important, elle ne suffira clairement pas à améliorer de façon durable la situation.

Seule cette combinaison d’action permettra donc d’agir en profondeur contre le phénomène des fausses nouvelles. Attention, cependant, à l’équilibre liberté/sécurité. Une régulation excessive, élaborée à la hâte, qui plus est dans un contexte de forte dépendance à l’égard des grandes plateformes américaines, peut aboutir à des excès en censurant des contenus et surtout en déresponsabilisant les utilisateurs. Après tout, comme le dit Jamel Debbouze, « laissons les imbéciles dire tout et n’importe quoi » ! De fait, en matière de « fake news », ce n’est pas au droit de rétablir le « bon sens »…

 

1.  https://poyntercdn.blob.core.windows.net/files/PoynterMediaTrustSurvey2017.pdf

2.  https://lyrebird.ai/

3.  https://youtu.be/UCwbJxW-ZRg

4.  https://storyzy.com/

5. http://fr.mondeca.com/

6. https://crosscheck.firstdraftnews.com/france-fr/

7. https://www.darpa.mil/program/media-forensics