Iran, la future puissance du Moyen-Orient ?

Iran, la future puissance du Moyen-Orient ?

Occupé ou bridé depuis plus de mille ans, l’Iran possède en 2016 les atouts d’une puissance régionale incontournable. Sa position, au carrefour des mondes, et sa culture millénaire sont des atouts décisifs aux yeux de Thomas Flichy de la Neuville, professeur à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr.

 

Samedi 16 janvier 2016, la fin des sanctions économiques contre l’Iran a été annoncée par les chefs de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, et iranienne, Mohammad Javad Zarif. Ces sanctions avaient officiellement été décidées en raison du programme nucléaire iranien, et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a jugé que Téhéran s’était conformé à ses engagements de réduction de son programme nucléaire. C’est une nouvelle puissance économique qui rejoint le marché mondial, avec notamment des exportations de pétrole estimées à 500 000 barils. Cet accord permet à la République islamique de remettre la main sur 30 milliards de dollars bloqués à l’étranger. Les investisseurs voient avec gourmandise ce nouveau marché s’ouvrir, avec ses 80 millions d’habitants, et des marges de progression telles que le FMI a assuré s’attendre à ce que ce pays connaisse une croissance de 5 % en 2016. Cette levée des sanctions a déjà fait le bonheur de l’avionneur Airbus : le ministre des transports iranien lui a commandé 114 avions civils.  

Ouverture sous contrôle

Mais si cette ouverture représente une victoire pour le président Hassan Rohani, elle ne se fera que progressivement, en raison des grandes réticences qu’elle suscite en interne parmi les conservateurs. Le président doit composer avec l’organisation des Gardiens de la révolution islamique. Ce groupe paramilitaire est placé sous le commandement du guide de la révolution, anciennement l’ayatollah Khomeiny et actuellement l’ayatollah Ali Khameneï. Son organisation contrôle les filières du marché noir qui n’ont pas manqué de se développer à la suite des sanctions économiques qui frappent l’Iran depuis 2006. L’ouverture au commerce international signe la fin d’une manne pour ce groupe, auréolé de la gloire de ses faits d’armes dans la guerre Irak-Iran (1980-1988), puis dans ses interventions en Syrie, au Yemen et auprès du Hezbollah libanais. 

La partition serrée de Rohani

Hassan Rohani, le candidat modéré de l’élection présidentielle en 2013, l’a emporté d’une courte majorité, avec 50,7 % des suffrages exprimés. La réussite de sa politique d’ouverture correspond aux attentes de la majorité des Iraniens, selon Thomas Flichy de la Neuville, auteur de Géopolitique de l’Iran (avec Antoine-Louis de Prémonville, éditions Puf) : « La plupart des Iraniens sont attirés par l’occidentalisation, c’est-à-dire à leurs yeux la prospérité et la liberté d’expression. Mais ils sont aussi méfiants, ils ont peur de voir leur culture mise en danger par Hollywood et Mc Donald. » Cette méfiance à l’égard des influences étrangères se traduit notamment par une répression féroce à l’égard des musulmans qui se convertissent au christianisme : ils sont perçus comme soumis à une influence étrangère, et donc considérés comme des traîtres. À l’inverse, les chrétiens historiques, arméniens et chaldéens, sont relativement bien acceptés par le pouvoir en place.  

Perses et chiites

L’Empire perse a vécu plus de mille ans sous tutelle étrangère, rappelle Thomas Flichy de Neuville. À partir du VIIe siècle, la domination musulmane puis anglaise a privé le pays d’une politique proprement persane. Selon cet expert, c’est cette résistance à l’islam, perçue comme une religion étrangère, qui a donné lieu à l’adhésion au chiisme. Les Iraniens sont perses et chiites, ils ne se sont pas arabisés et ont conservé une langue, le persan, et une culture qui leur est propre. Cela les rend plus résistants à la mondialisation, et à son consumérisme, aux yeux du professeur qui explique : « L’Arabie Saoudite a établi un modèle guerrier, fondé sur l’éthique sévère des guerriers du désert, qui ont progressivement conquis les territoires alentour. Or cette éthique n’a pas résisté à la manne pétrolière. Le pays s’est effondré moralement sous des paquets d’argent gratuit ! » À ses yeux, l’Iran est mieux armé pour résister aux sirènes du capitalisme. Lui qui lit dans le texte la poésie et la littérature persane, y voit pour ce pays une base solide sur laquelle reposer.

Un pays riche qui ne demande qu’à grandir

L’Iran dispose de riches terres agricoles, de grandes réserves de gaz, de pétrole et d’une population éduquée. Les jeunes filles vont à l’école, et le pays dispose d’un grand réseau d’universités privées et publiques.  La fuite des cerveaux témoigne de la qualité des universités iraniennes… et du manque de débouchés sur place. L’une des preuves du bon état technologique du pays a fait le malheur de sa population : le programme nucléaire iranien. Il a cristallisé contre lui une large coalition diplomatique.

L’image mentale de l’explosion nucléaire

Thomas Flichy de la Neuville stigmatise la facilité avec laquelle les parties en présence ont utilisé la peur de l’arme atomique pour leurs propres intérêts dans les récents embargos. Le gouvernement iranien l’a utilisé pour mettre en cause l’enrichissement nucléaire clandestin d’Israël tout en faisant miroiter à la population l’acquisition d’une bombe nucléaire. Symétriquement, le gouvernement israélien a utilisé la peur de l’arme atomique pour désigner un ennemi extérieur puissant et dangereux, prêt à commettre l’irréparable. Du pain bénit pour le gouvernement Netanyahu dominé par les faucons et qui doit faire face à une population divisée.

« L’innovation iranienne inquiète l’Occident »

Sous prétexte de surveiller l’avance du programme nucléaire iranien, les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ont pu examiner l’état d’avancement de l’industrie iranienne. « Or c’est précisément l’innovation iranienne qui inquiète l’Occident, dans la mesure où ce pays est aujourd’hui allié à la Chine et à la Russie », assure Thomas Flichy de la Neuville. Le revirement tardif de la diplomatie occidentale prouve que la stratégie d’étouffement de l’Iran ne fonctionne plus, et que l’Occident doit trouver de nouvelles façons de composer avec ce pays pivot, gardien de l’antique route de la soie et porte de l’Occident vers l’Indus.

L’avenir de l’Iran dépend de son habileté diplomatique

Outre les atouts de son territoire grand comme trois fois la France, l’Iran dispose effectivement d’une position stratégique, aux confluents des “blocs”, qui lui permet de composer avec les différentes puissances mondiales que sont la Chine, la Russie et les États-Unis. L’Iran n’est politiquement “marié” à personne et peut à loisir jouer sur tous les tableaux. En revanche, il ne manque pas d’ennemis.

Les ennemis de l’Iran, nouvelles du front

L’Irak, contre lequel l’Iran a mené une guerre défensive meurtrière, a un président chiite, et l’avenir même du pays est tellement compromis qu’on l’imagine mal représenter à nouveau une menace pour son voisin iranien. C’est à présent l’Arabie Saoudite qui menace le plus directement l’Iran. Elle a soutenu en sous-main des rebelles sunnites en Syrie, que les Gardiens de la révolution iraniens affrontent sur le terrain. Au Yémen, l’Arabie Saoudite intervient militairement contre les rebelles chiites Houthis, soutenus par l’Iran. La Turquie, de son côté, entretient des relations mouvementées avec l’Iran, partenaire économique incontournable et grand rival pour la domination du Moyen-Orient.

Diplomatie occidentale chaotique

Alors que l’Iran poursuit des objectifs clairs d’autonomie politique, les diplomaties occidentales se sont montrées à son endroit fluctuantes. Celle de la France en particulier. Jusqu’en 2007, elle refusait d’entrer dans le jeu de la diabolisation de l’Iran, et continuait à commercer avec lui. Mais « l’administration Sarkozy a signé la fin l’autonomie de la France en matière de politique étrangère au Moyen-Orient. À partir de cette date, elle s’est calée sur les intérêts exclusifs d’Israël », regrette Thomas Flichy de la Neuville. Autant les États-Unis sont partagés entre diverses options : isolationnisme ou impérialisme néoconservateur, autant la France ne semble se déterminer qu’en fonction du petit État israélien, qui dispute avec l’Iran la vocation de plateforme commerciale, au carrefour des grandes civilisations occidentales et orientales.

Israël, rival idéologique

L’un des freins au développement de l’Iran a jusqu’à présent été son antagonisme, réciproque, avec Israël. Hassan Rohani déclarait en novembre 2015 sur France 2 que « l’État actuel d’Israël n’est pas légitime. C’est pourquoi nous n’avons pas de relations avec eux car nous ne considérons pas cet État comme légitime. » De son côté, Netanyahu qualifiait l’Iran de « tigre rapace », le 1er octobre devant l’ONU. Les motifs de dissensions entre les deux pays ne manquent pas, mais l’Iran abrite pourtant la plus grande communauté juive du Moyen-Orient hors d’Israël. Seule une poignée d’Iraniens prône une expansion territoriale de l’Iran, les autres souhaitent simplement l’autonomie de leur pays à l’intérieur de ses frontières actuelles.

L’Iran en 2030

Thomas Flichy de la Neuville, prenant acte des atouts de l’Iran, le verrait bien devenir une puissance régionale incontournable dans les années à venir. Il a rencontré le ministre des Affaires étrangères iranien Mohammad Javad Zarif et décrit un homme qui n’a « rien d’un idéologue. Il fait partie de ces élites iraniennes qui ont fait leurs études dans des universités étrangères et qui ont une vision mondiale de leur pays. Ils sont pragmatiques, habiles… Ce ne sont ni des fauteurs de guerre, ni des fanatiques religieux ! » L’Iran a une sérieuse revanche à prendre sur son passé ; le peuple a été soumis pendant plus de 1 000 ans à des puissances étrangères, humilié, et il a aujourd’hui les moyens de prendre une revanche sur l’Histoire.

Thomas Oswald

Crédit photo : Hosein Velayati