Sécurité des Jeux Olympiques : enjeux, défis et solutions

 Par Stéphane Schmoll, président de la commission stratégique du CICS et délégué au développement du pôle de compétitivité SAFE.

D’évidence, les Jeux Olympiques de 2024 et les autres grands évènements prévus peuvent et doivent être une vitrine de la filière française de sécurité. Mais l’enjeu dépasse largement les Jeux car la plupart des dispositifs seront utilisables dans le cadre normal de la smart city et de la safe city, pendant et après les Jeux, voire avant. Les opportunités étant aussi nombreuses que les défis, notre village gaulois n’a pas le droit à l’erreur dans le choix des solutions visées ni dans la préparation de leur déploiement.

Un défi et une opportunité historiques

Les problématiques liées aux Jeux et à la safe city ne manquent pas : gestion des flux de personnes et de véhicules, anti-terrorisme, cybersécurité… mais aussi l’animation des territoires au-delà des sites olympiques, y compris les gares, aéroports, centres commerciaux et établissements culturels. Les objectifs visés, les effets de levier, les synergies et les défis à relever doivent être définis au plus tôt. Les relever sera un test décisif et majeur pour tous les acteurs de la filière, y compris dans des dimensions peu soupçonnées.

La smart city, c’est la ville intelligente parce qu’agréable à vivre, donc sûre, mais aussi résiliente et durable. La safe city en est donc une partie et une condition nécessaire. Dans le monde entier, des expériences plus ou moins audacieuses sont conduites, avec des visions architecturales à long terme parfois différentes. Le laboratoire d’innovation numérique de la CNIL a édité sur ce thème un catalogue de scénarios tout-à-fait-passionnant (1) et qui donne à réfléchir sur le modèle que nous voulons pour notre pays. Les données, leur traitement et leur exploitation occupent une place centrale et conditionnent le modèle visé par l’acceptation que nous en aurons dans le but de fluidifier les territoires mais surtout pour assurer notre sécurité et notre sûreté, y compris lorsque nous recevons des millions de visiteurs du monde entier.

Une approche systémique 

Avant d’envisager tout déploiement de nouvelles solutions dans l’architecture et la planification des territoires intelligents et de jeux olympiques, il est impératif d’appliquer une approche systémique en prenant en compte six composantes. En effet, l’axe temporel engendre une difficulté majeure car ceux qui doivent imaginer, analyser, budgéter, déployer, gérer, maintenir et faire évoluer les solutions sur plusieurs décennies ne seront pas les mêmes, que ce soit des responsables publics ou privés, et l’environnement des projets sera soumis à des changements souvent imprévus aux plans économique, budgétaire, sécuritaire, politique, juridique et  bien d’autres. C’est pourquoi il est fondamental de définir des objectifs assez généraux qui soient consensuels, un premier cap et une méthode pour avancer et conduire ces projets dans la durée en prenant en compte des changements de cap dictés par les nécessités ou les choix du moment. En France, les grands projets d’équipement qui suivirent les trente glorieuses ont souvent été des succès parce qu’ils avaient été bien pensés puis dirigés pragmatiquement. En revanche, d’autres projets d’ampleur mais relativement improvisés et sans  vision durable connurent souvent des échecs pour diverses raisons : évolutions drastiques du contexte, mésestimation des possibilités techniques ou des modèles économiques, absence ou rupture de consensus politique ou sociétal, etc. Ce n’est pas l’objet de cet article de citer ces éléphants blancs, chacun pouvant sans doute en citer spontanément plusieurs.

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La composante opérationnelle

Une solution peut parfaitement être fonctionnelle, c’est-à-dire avoir été testée avec succès en laboratoire et même sur le terrain en vraie grandeur sans pour autant être opérationnelle.
D’une part, parce qu’il faut des hommes pour la déployer, la maintenir, la faire fonctionner et qu’ils doivent être formés à temps et financés pour cela, mais aussi parce que la solution peut avoir des conséquences néfastes sur d’autres systèmes y compris le public lui-même. Toute solution doit donc être pensée et testée avec les autres systèmes qui l’environnent.

La composante technologique

L’utilisation et la mise au point de nouvelles solutions techniques sont un enjeu vital pour la filière de sécurité, mais cela conditionne surtout l’efficience des solutions déployées à l’occasion des Jeux. Notre pays regorge de savoir-faire sur presque tous les sujets technologies, des plus classiques jusqu’aux plus récents tels que l’intelligence artificielle ou la cybersécurité ; nous ne manquerons pas d’en présenter régulièrement les potentialités dans ces colonnes. La filière de sécurité, encore jeune, commence à peine à mettre en ordre de bataille sa stratégie de politique industrielle, de la R&D au déploiement des solutions en passant par leurs expérimentations et leur financement. Les Jeux en sont une opportunité (2) mais la technologie ne doit pas être considérée sans prendre en compte les autres composantes décrites ci-après. 

La composante économique

Les contraintes actuelles des budgets publics et privés peuvent être bien cernées. Les contraintes futures sont plus difficiles à prévoir. Les lois de programmation sont insuffisantes car le secteur privé, très concerné par toutes les nécessaires formes de partenariat, ne détermine pas toujours son futur. Enfin, la question de la répartition entre les investissements (Capex) et les coûts de fonctionnement (Opex), des coûts de gestion de crise et de résilience, et même de recettes reste soumise à des discussions non abouties entre les acteurs publics et privés, assureurs compris. Qui doit investir dans la prévention des risques et quand, à quel niveau et sur quel modèle économique ? Les Jeux étant à la fois soumis à des risques terroristes ou criminels, naturels (crues, par exemple) ou industriels, la question assurantielle est loin d’être tranchée et on a plutôt recours aux politiques de l’autruche ou de la patate chaude. Or, l’investissement sécuritaire est substantiel mais les conséquences de la non-sécurité sont beaucoup plus chères, comme l’ont montré les attentats de 2015, qui ont fait perdre des milliards à l’industrie touristique et culturelle en 2016, une ressource importante pour notre pays, susceptible d’être démultipliée par les grands évènements comme les Jeux.

La composante Juridique

Nombre de solutions techniques pouvant apporter de l’efficience, telles que la vidéoprotection intelligente ou la biométrie, se heurtent à des avis négatifs de la CNIL voire simplement à la crainte et aux principes de précaution qu’elle peut inspirer. Les acteurs opérationnels et technologiques ont déjà démontré qu’ils pouvaient apporter des garanties que les libertés collectives et individuelles et les données personnelles sont protégées. Mais le principe de précaution de nombreux acteurs en freine le déploiement. Si les autorités administratives veulent bien essayer de remonter la France au même niveau que certains autres pays européens tout aussi démocratiques que nous et soumis au même RGPD, deux types de solutions peuvent être mises en œuvre. L’un est la voie de l’expérimentation à droit constant ou bien du recours à l’Art. 37-1 de notre constitution (3). L’autre, plus subtile, consiste à satisfaire aux principes de finalité et de proportionnalité en fonction des circonstances, c’est-à-dire que certains capteurs, certains traitements ou leur exploitation ne pourraient être mis en œuvre que si les circonstances l’exigent, par des personnes formées, habilitées et contrôlées. Cela existe déjà en matière d’enquête administrative ou judiciaire mais cela pourrait être étendu à la prévention ou à la réponse à des menaces ou faits graves lorsqu’ils sont objectivement observés. Plus généralement, les Jeux ne pourront être sûrs sans une large coproduction public-privé au cadre réglementaire voire juridique adapté (4).

La composante sociétale

Les français  – mais pas tous les visiteurs étrangers –  sont méfiants envers des dispositifs qu’ils perçoivent comme intrusifs, à tort ou à raison. Mais les circonstances peuvent tout modifier puisque par exemple après dix ans de vidéoprotection, le sujet n’est presque plus clivant auprès du public, qui la trouve rassurante, alors que les spécialistes sont divisés, certains la trouvant inefficace, d’autres souhaitant la rendre beaucoup plus performante, y compris avec la reconnaissance de visages. Il en est de même pour la biométrie. Quant aux fichiers et réservoirs de données, les utilisateurs accros aux GAFAM et réseaux sociaux sont devenus fatalistes, de telle sorte que les postures régaliennes doivent vite déboucher sur des préconisations plus audacieuses, notamment autour des algorithmes mais avec les garanties que peuvent offrir l’Etat et le RGPD.

Pour que l’acceptabilité progresse et libère l’Etat et les collectivités territoriales des principes de précaution qui brident leurs décisions, il faut surtout développer une réflexion citoyenne éclairée dès le collège, la pédagogie et la communication médiatique. Avec des expérimentations observables par des représentants de la « société civile ». Les citoyens devront être impliqués dans leur propre sécurité et celle des autres, à commencer par les jeunes, qui construiront l’éthique du futur. 

La composante environnementale

Sécurité et environnement se rencontrent déjà positivement sur l’éclairage public dynamique, mais soulèvent des questions difficiles sur le véhicule autonome et sur le cryptage par la blockchain, dont les bilans carbone prêtent à question. L’afflux de millions de personnes lors des grands événements doit être géré de façon exemplaire, en cohérence avec les engagements de la France.

Les instances spécifiquement créées pour la planification et le succès des Jeux : COJO, SOLIDEO, CNSJ et tous les organismes publics et privés concernés doivent reconnaitre les six composantes mentionnées. Tous ont reçu mission de pérenniser les investissements et les innovations de la smart & safe city et doivent s’accorder sur les métriques à appliquer avant toute décision nécessairement consensuelle, sous la responsabilité de l’Etat, garant du succès des Jeux. A défaut, les énergies contraires qui seraient déployées sèmeraient le grain de l’échec et de la désillusion. Fort heureusement, l’enthousiasme est aujourd’hui largement répandu et les parties ont hâte de progresser sur tous ces fronts pour assurer le succès des Jeux et de la filière. 

Nous aurons l’occasion d’y revenir régulièrement pour présenter et évaluer ensemble les besoins identifiés, les possibles solutions innovantes et leurs impacts.

 

  1. https://linc.cnil.fr/fr/la-plateforme-dune-ville-explore-les-enjeux-de-la-smart-city
  2. Cf. S&D Magazine #21, pp 9-10
  3. Cf. S&D Magazine #17 p.11
  4. Cf. S&D Magazine #18 pp 8-11 et #19, pp 8-11