Le Réseau Radio du Futur (RRF)

Par Emmanuelle Villebrun, architecte technique du réseau radio du futur pour le ministère de l’intérieur.

Pourquoi un nouveau réseau ? 

Le ministre de l’Intérieur soutenu par le président de la République, lors de son discours du 18 octobre 2017 a souhaité voir la mise en place d’un projet susceptible de se substituer à l’existant pour faire bénéficier aux acteurs concernés d’un réseau radio à haut débit commun à la police, la gendarmerie et la sécurité civile qui devra bénéficier d’un haut niveau de résilience en cas de crise et des meilleurs technologies numériques. 

Les gendarmes, les policiers et les pompiers utilisent actuellement des infrastructures radio sur la norme TETRAPOL dont l’Etat est propriétaire. Les réseaux actuels, INPT et RUBIS, équivalent à la 2G satisfont pleinement le besoin initial exprimé dans les années 90 mais ne permettent pas d’accéder au haut débit de plus en plus demandé par les utilisateurs.

Alors que des jalons majeurs sont d’ores et déjà identifiés, tels que l’ouverture de la ligne 15 sud du Grand Paris Express (2022), la Coupe du Monde de Rugby (2023) et les Jeux Olympiques (2024), la France vise un déploiement du Réseau Radio du Futur en 2022, après une phase de standardisation préliminaire et la mise en place de l’architecture complète pour un premier périmètre restreint d’utilisateurs en 2019. 

RRF : Un changement de paradigmes technologiques, économiques et organisationnel

Les Objectifs opérationnels du RRF

Le ministère de l’Intérieur a assigné 4 grands objectifs opérationnels à ce nouveau réseau. 

Le premier réside dans l’interopérabilité qui permettra, d’une part, une circulation de l’information rapide et efficace au profit des forces de sécurité et de secours aux personnes ainsi qu’à l’ensemble des acteurs concourant à ces missions (opérateurs d’intérêt vital, collectivités locales…) et d’autre part, une coordination ainsi qu’une rapidité d’exécution croissante des forces et moyens engagés, engendrant un renforcement évident du niveau d’efficacité opérationnelle. Les services seront accessibles depuis l’étranger et pourront être utilisés pour la coopération aux frontières.

Un haut niveau de résilience permettra par ailleurs aux « premiers répondants » de communiquer en toute circonstance y compris en cas de crise. L’émergence de nouvelles menaces incite à maintenir un pilotage et un contrôle renforcé sur les conditions de sécurité mises en œuvre. La capacité à garantir l’accès à une ressource radio fiable en tout temps est une attente forte des utilisateurs.

Le troisième objectif opérationnel veut un système évolutif qui bénéficiera de toutes les avancées des technologies commerciales dès leur mise en marché (telle que la 5G dans les années à venir) et enfin, la minimisation des coûts notamment grâce aux économies d’échelle engendrées par la mutualisation des achats opérée par la structure porteuse qui incarne le RRF. 

Les grands principes techniques du RRF

Le réseau radio du futur est un réseau hybride, qui s’appuie en grande partie sur les infrastructures des opérateurs commerciaux et sur des solutions de résilience de haut niveau capables de répondre à des événements critiques (bulles tactiques fixes et/ou mobiles). Le projet RRF associe les opérateurs privés de la téléphonie mobile, sur la base d’un réseau national opéré avec itinérance nationale permettant ainsi un taux de couverture du territoire de 98%. 

RRF, par la mise en œuvre du standard long term evolution (LTE) opère un changement de paradigme technologique et économique en basculant d’un réseau régalien, dont l’État est propriétaire, à un réseau adossé aux opérateurs privés. Ce nouveau projet offre aux personnels des équipements sécurisés, prioritaires et adaptés à leurs missions, y compris face à des circonstances exceptionnelles. 

Une gouvernance renouvelée

Une gouvernance renouvelée des réseaux radio est en cours de mise en place au sein du ministère de l’Intérieur. Le RRF est un réseau évolutif qui suit les standards mondiaux, gouverné par les usages tout en optimisant les coûts. Le recours systématique à des technologies standards, l’appui massif sur des technologies grand public, notamment pour les couches basses et le hardware, permettra des mises en concurrence rapprochées et régulières pour toujours bénéficier des meilleures fonctionnalités pour des coûts optimisés.

L’expression des besoins, les spécifications fonctionnelles et la définition de l’architecture générale du système sont déjà majoritairement réalisées dans les instances de normalisation en partenariat avec les autres gouvernements et tous les industriels concernés.

Le dialogue avec les utilisateurs se basera sur des cas d’usage opérationnels concrets.

Une démarche prospective continue et au long court est mise en place en partenariat avec les opérationnels. Cette démarche est d’ores et déjà mise en œuvre pour les services vidéo : pour des raisons de coûts et d’efficacité, les transmissions de vidéo devront être intelligentes : les données volumineuses pertinentes devront vraisemblablement être détectées, analysées, rassemblées en un point de décision opérationnelle et rediffusées aux acteurs concernés directement. La gestion de l’information pour être efficace devra être faite numériquement et non plus par l’homme. De nouvelles applications devront être conçues et normalisées pour gérer les informations protéger et assister l’acteur de terrain en temps réel. Les équipes françaises étudient avec attention le cas d’arrestations multiples et coordonnées. Les équipes disposent de plusieurs vidéos pour bénéficier des différents angles, les tops départ doivent être fiabilisés et la couverture de réseau opérateur doit être étendue par des bulles tactiques très haut débit. Ce cas d’usage encore à développer a permis d’identifier de multiples verrous techniques : la gestion des ressources radio sur réseaux opérés, l’extension de couverture haut débit temporaire, l’extension de la capacité radio des bulles tactiques, ou encore l’intelligence artificielle basée sur de la vidéo en temps réel.  

 

Le RRF, structure de mutualisation

La gestion du RRF sera ainsi assurée par une structure porteuse dédiée, qui proposera aux diverses directions et services utilisateurs éligibles de bénéficier de l’offre de service que représente le RRF en contrepartie d’une contribution financière. La structure porteuse, certainement sous la forme d’un établissement public administratif (EPA), sera une structure de mutualisation permettant ainsi d’adopter une stratégie achat plus efficiente engendrant des économies d’échelle indéniables. L’EPA passera les marchés publics avec les industriels et les opérateurs en fonction des besoins déterminés par les utilisateurs, au cas particulier des directions métiers. 

La mise en commun des services de communications qui se développeront dans les prochaines années permettront à chaque utilisateur de disposer des ressources quand il en a besoin. Les directions utilisatrices resteront cependant responsables de la configuration opérationnelle du réseau (organisation des groupes, priorité opérationnelle des flux) ainsi que de leurs logiciels métiers. L’arrivée du multimédia et de la vidéo ainsi que la mise à disposition accélérée de nouveaux services (e.g. 5G) nécessiteront une réflexion commune et approfondie sur les processus métiers présents et à venir de manière à coopérer et utiliser les ressources dans l’intérêt de tous en fonction de la mission.

Les défis technologiques avant la généralisation

Pour une généralisation sans risque du RRF qui répond aux besoins actuels des utilisateurs, une concertation amont avec les industriels et les gouvernements est en cours sur les 5 sujets suivants : 

  • Les communications air/sol sur la base de dispositifs LTE et d’achat de services : il est nécessaire de disposer, à l’intérieur d’aéronefs, des services de communications critiques d’une qualité de service analogue à celle des communications au sol (accès aux applications et à la vidéo)
  • La sécurisation des ressources radio pour les bulles tactiques est nécessaire afin d’assurer, d’une part, l’évolutivité vers la 5G et, d’autre part, la disponibilité de ressources radio du spectre sur tous les terminaux du marché. Le ministère de l’intérieur cible un dispositif de location ou mise à disposition de spectre opérateur pour des bulles tactiques pour ne pas se limiter dans l’achat des terminaux.
  • Le dispositif de gestion des transmissions de vidéos massives : l’utilisation massive de la vidéo fait l’objet d’études approfondies.  Le ministère de l’Intérieur souhaite que le système, en cas de saturation des ressources utilisables par les forces, continue à fonctionner correctement tant pour les utilisateurs étatiques que pour les clients commerciaux de l’opérateur qui ne devront pas être pénalisés.
  • Les salles de commandement : Le RRF devra fournir des services de base pour les salles de commandement. Celles-ci devront s’adapter à de nouvelles versions de réseaux tous les 18 mois et faire l’objet de mise en concurrence fréquentes comme le RRF. Une standardisation de niveau équivalent à celle du 3GPP doit être organisée au niveau mondial.