Du renseignement à la sécurité des acteurs économiques

Du renseignement à la sécurité des acteurs économiques

L’intelligence économique, soit l’application de la démarche de renseignement au monde des affaires, s’impose progressivement comme pratique opérationnelle.

Deux ouvrages récents permettent de faire le point sur l’état de cette discipline. Le Manuel d’intelligence économique, sous la direction de Christian Harbulot, qui fait l’objet d’une réédition aux Presses universitaires de France (Puf). Et L’intelligence économique pour les nuls, dans la célèbre collection des éditions First, par Eric Delbecque, ancien chef du Département sécurité économique de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ). Des écrits qui convergent dans l’analyse de la place que doivent prendre la collecte et le traitement de l’information dans l’évolution de nos organisations. Mais aussi, très prosaïquement, dans la sécurité des acteurs économiques.

Pratiquer l’intelligence économique (IE), c’est faire preuve de réalisme. Il s’agit de reconnaître l’importance prise par l’information, qu’il faille l’acquérir et la traiter (veille), la protéger (sécurité économique) ou encore l’utiliser à des fins offensives (influence et contre-influence), dans le processus de création de richesse. Il s’agit également de reconnaître que le traitement de l’information est source de com­pétitivité pour toute organisation, entreprise ou territoire. Non seulement parce que, dans une société de l’information, l’intelligence économique permet de « voir mieux, plus vite et plus loin » ; mais aussi parce qu’elle induit une posture plus agile de la part de l’organisation, une collégialité et une transversalité nécessaires au « management des connaissances » ainsi produites. Il s’agit enfin, en recourant à l’IE, d’accepter la complexité, la diversité et la conflictualité potentielle d’une économie mondialisée et polycentrique. Ce qui conduit à réhabiliter la notion de « recherche de puissance » dans le cadre d’une « guerre économique » aux théâtres d’opération multiples et mouvants, du fait même de la diversité des acteurs et de leurs relations (États, entreprises, organisations internationales, ONG…). Le terme de « guerre économique » peut être discuté. Ce qu’il recoupe, à savoir « l’expression majeure des rapports de force non militaires » (Christian Harbulot), est bien réel. La recherche, la préservation et l’accroissement de puissance, qui ne saurait se concevoir sans puissance économique, déterminent la survie d’un pays ou d’un peuple. L’IE contribue ainsi à diffuser une posture de combat, une « culture de l’action » qui prolongent ses lointaines origines militaires.

Identifier les menaces

Comme le rappelle Frédéric Le Roy en conclusion du Manuel de l’intelligence économique, celle-ci repose sur un triptyque qui se résume ainsi : « Chercher et analyser l’information sur l’environnement concurrentiel, protéger l’entreprise des fuites d’informations, déstabiliser les concurrents par des guerres de l’informa­tion ». Ces fonctions peuvent certes évoluer en fonction des objectifs de l’entre­prise, notamment dans une relation de « coopétition » (rivalité et coopération) avec un autre acteur. Le triptyque initial évolue dès lors comme suit : « Identifier des partenaires et établir des alliances, protéger le savoir-faire de l’entreprise dans les alliances, accéder au savoir-faire des alliés ». Dans tous les cas, le fondement reste la recherche du renseignement. Laquelle nécessite d’agir dans la profondeur, au-delà de l’écume des faits, des bruits de fond souvent trompeurs, et de mobiliser une gamme étendue de sources et donc de capteurs. L’analogie avec la méthodologie militaire est ici évidente. Ainsi lorsque les unités de la brigade de renseignement dé­ployées sur un théâtre d’opération permettent, par le croisement et le traitement en temps réel des flux d’informations de toutes natures (humaine, image, électromagné­tique, géographique), l’analyse des flux logistiques de l’ennemi, son organisation et ses points de coordination, les circuits de financement de ses actions… De mêmes ressorts ne président-ils pas, notamment, à la due diligence ?

Défendre l’organisation et ses intérêts vitaux

La mission première de l’IE, comme du renseignement dans le domaine militaire et plus généralement régalien, reste la préservation de la sécurité de l’organisation. Si la notion de « protection du patrimoine informationnel » tend à remplacer celle de « sé­curité économique », l’idée est la même. Elle nécessite une forte capacité de réaction, d’adaptation aux nouvelles menaces. Le maillon faible de tout dispositif de sécurité restant le facteur humain, la contre ingérence s’est étendue au champ économique à partir du modèle constitué par l’expertise de la DPSD. Tandis que l’essor du nu­mérique a conduit à celui des « opérations civiles d’information », observe Christian Harbulot. « La société de l’information est une nouvelle aire conflictuelle qui génère ses propres formes d’affrontement (rumeurs, désinformation, polémiques). Dans le traitement des sources humaines, le monde du renseignement s’appuie sur la ma­trice MICE (Money, Ideology, Compromise et Ego). Les opérations d’information qui touchent l’entreprise ont amené à formuler une matrice équivalente en guerre de l’in­formation : la matrice DITE (Deontology, Integrity, Transparency, Ethic) » – constituant les angles d’attaques privilégiés par les détracteurs des entreprises.

Face à la multiplication des menaces, y compris la résurgence du terrorisme sur le territoire national, qui pourrait nier aujourd’hui l’importance vitale de la sécurité col­lective ? Si nous avons besoin de critères de compréhension des enjeux, c’est « pour les affronter », rappelle Claude Revel, Délégué interministérielle à l’intelligence écono­mique (2013-2015). « Car il s’agit à la fin d’affronter la réalité et non pas de demeurer dans la pensée en chambre. »

Extrait 

De quoi l’IE est-elle le nom ? « L’intelligence économique (IE) n’a rien à voir avec les « barbouzeries » dont les excès illustrent régulièrement les unes des journaux ou enflamment la blogosphère ! [Elle] est une culture du combat économique et une politique publique, en plus d’être un métier. Elle doit contribuer à l’élaboration de la stratégie de l’entreprise. En résumé, s’adapter à l’âge de la guerre économique, marqué par la montée en puissance des pays émergents, anticiper et agir vite dans un univers complexe et conflictuel, c’est l’objet même de cette discipline qui est d’abord un dispositif opérationnel au service du business, et aussi une coopération public/privé en faveur de l’emploi, de la dynamisation de nos territoires et de la préservation du périmètre industriel stratégique d’une nation. »

Eric Delbecque, L’intelligence économique pour les nuls, op. Cit.

Aller plus loin : Manuel d’intelligence économique, sous la direction de Christian Harbulot, 2e édition mise à jour, Puf, 08/2015, 480 p., 29 € ; L’intelligence économique pour les nuls, par Eric Delbecque, Editions First, 10/2015, 528 p., 22,95 €.