La cyber et les femmes : une histoire à écrire

Les opportunités du numérique ne sont plus à prouver. Secteur en pleine expansion, il affiche des offres de carrière aussi stimulantes que nombreuses.
170 000 à 212 000, voici le nombre de postes à pourvoir dans le numérique en France en 2022 selon France Stratégies et la Dare. A l’échelle européenne, ce serait plus 750 000 professionnels du numérique manquant en 2020 !
Malgré cela, c’est un domaine qui peine à recruter et plus encore des femmes. Un phénomène qui se reproduit par extension sur le secteur de la cybersécurité.
Alors malgré les opportunités existantes et les compétences dont elles disposent, pourquoi cette désertification ? Quelles réponses apporter à une problématique économique et sociétale ?

Un constat chiffré
 
Le domaine du numérique est dominé par les hommes et celui de la cybersécurité aussi : selon l’étude Women in Cybersecurity, 93% des postes dans ce domaine sont occupés par des hommes en Europe. Seulement 27% des femmes dans le digital en France et moins de 10% sont des développeuses. Dans les écoles d’ingénieurs, seulement 5% des professeurs sont des femmes. Au sein de la Grande Ecole du Numérique, seulement 20% des apprenants sont des femmes. Et la liste des statistiques abreuvant en ce sens est encore longue.
 
Selon le rapport du (ISC)² Foundation « Global Information Security Workforce Study » publié en 2017, le déficit de professionnels dans la cybersécurité est estimé à 1,8 million à l’horizon 2020.
Mais il semble que les choses évoluent favorablement dans certaines divisions de la cybersécurité. 20% des femmes détiendraient par exemple des rôles dans la Gouvernance, Risk and Compliance (GRC), un secteur qui dispose d’une croissance solide et d’une importance considérable. Les femmes se positionnent donc stratégiquement, petit à petit, dans la profession SI.

Des conséquences économiques et sociétales
 
Les conséquences du trop faible nombre de femmes dans les métiers du numérique sont tout à la fois économiques et sociétales. « Economiques dans la mesure où l’ensemble des secteurs d’activité éprouve de plus en plus de difficultés à recruter en nombre suffisant, mais aussi en qualité, les talents dont ils ont besoin pour mener les transformations numériques indispensables à leur compétitivité. Sociétales car il n’est pas admissible que la société numérique, dont les impacts sur notre quotidien sont croissants, ne soit pensée, développée et gouvernée que par des hommes. » explique Henri D’Agrain, délégué général du CIGREF.
Une étude européenne démontre en effet, que l’entréedes femmes dans l’univers numérique pourrait créer une augmentation du PIB de l’ordre de 16 milliards d’Euros annuels pour l’économie européenne ! De quoi se pencher sur la question !

Des stéréotypes bien ancrés
 
Cette problématique trouve racine dans notre culture et nos traditions, nos discours ancestraux, et notre éducation. « Dès le plus jeune âge, dans la famille ou à l’école, on ne valorise pas les mêmes qualités chez les filles et chez les garçons. Rapidement les premiers effets des inégalités femmes/hommes en matière de choix d’orientation se font sentir. » explique Nacira Salvan, présidente du CEFCYS. Dès l’entrée au lycée, les statistiques fournies par l’éducation nationale sont sans équivoque : 46 % des élèves de seconde qui suivent des options scientifiques ou technologiques sont des filles, contre 70 % dans les enseignements au profil littéraire.
En terminale, en filière scientifique, les filles représentent à peine la moitié des élèves. « L’école a donc un grand rôle à jouer en matière de sensibilisation et d’orientation des jeunes filles vers les filières scientifiques, puis du numérique et de la cyber. » constate Coralie Héritier, directrice générale d’IDnomic et de poursuivre « il faut donner une image plus dynamique et du sens à nos métiers. Ces derniers font partie intégrante de la transformation numérique de notre société. En effet, grâce à la cybersécurité, nous apportons la brique de confiance nécessaire à l’adoption de nouveaux usages. Travailler dans la cybersécurité c’est aussi participer à cet essor, à l’avènement de la voiture connectée, de l’industrie et de la maison connectée et ce en toute sécurité pour nos concitoyens. Ce sont des éléments qui ne sont pas suffisamment valorisés y compris auprès des garçons car le problème de recrutement touche tous les genres. »
 
Le CEFCYS  « Cercle des femmes de la cybersécurité » est une association avec pour objectif de promouvoir et faire progresser la présence et le leadership des femmes dans les métiers relatifs à la sécurité des systèmes d’information. L’association s’attache à promouvoir le rôle des femmes et leurs compétences, à développer des programmes d’éducation et de sensibilisation, sensibiliser les recruteurs, proposer des programmes de mentorat, mais aussi sensibiliser le grand public aux enjeux de la sécurité des systèmes d’information.

Quelques pistes à creuser
« Pour combler ce manque de talents en cybersécurité, il faut miser sur l’inclusion et la participation de ce vivier de talents féminins si peu exploité. » recommandent tour à tour Coralie Héritier et Isabelle Eilam-Tedgui, Directrice des Ventes France et Belux chez Skybox Security. Oui mais comment ? « En profitant d’une conjoncture propice » répond Isabelle Eilam-Tedgui. Cybersecurity Ventures prédit qu’un billion de dollars sera dépensé dans le monde pour la cybersécurité entre 2017 et 2021.
« Il y a là une opportunité considérable pour les femmes à la recherche d’un emploi stable dans un secteur qui enregistre une croissance constante et des salaires importants.» précisent-elles.
Par ailleurs, résoudre les problèmes de cybersécurité requiert de multiples compétences. « Un savoir technique, un esprit critique, la compréhension des produits et des comportements organisationnels. L’organisation et la communication sont essentiels. Mais à l’heure où les réseaux et le paysage des menaces sont en changement constant, les entreprises doivent aller vers de nouvelles perspectives et concevoir des approches créatives pour relever ces nouveaux défis. Recruter des femmes, ce n’est pas seulement répondre à une exigence de diversité, c’est aussi gagner en pluralité de réflexion pour créer des équipes plus agiles et innovantes. » souligne Isabelle Eilam-Tedgui. « La diversité est un facteur de performances. Elle apporte une richesse supplémentaire au sein de l’entreprise, mixant des méthodes de travail, des approches de management favorisant l’émergence de nouvelles idées, de concepts innovants… » ajoute Coralie Héritier.
 
Il faut également augmenter la visibilité des femmes dans la cybersécurité et inciter de jeunes diplômées encore hésitantes sur le choix de leur carrière à fran chir le pas et rejoindre cette communauté. « Donner la parole aux femmes de la cyber est important mais ces dernières sont encore trop souvent solliciter pour évoquer (seulement) ces opportunités de carrière et leur ressenti dans un secteur encore très masculin. Ne serait-il pas plus utile pour toutes d’écouter des femmes évoquer leur travail plutôt que leur carrière ? » souligne Isabelle Eilam-Tedgui. Un sentiment partagé par Coralie Héritier, qui comme elle se plait à dire avec le sourire « femme et dirigeante dans la cyber, c’est presque une double peine ! Au départ c’est effectivement parce que j’étais une femme que l’on m’a appelée. Même si cela ne me plaisait qu’à moitié, j’ai saisi cette opportunité pour faire publiquement mes preuves dans les instances de gouvernance. Car la place des femmes dans la cyber peut être stratégique. Il n’y a pas que des postes techniques. L’écosystème est large et les postes variés. »
 
Reste enfin et toujours l’absurde et révoltante, mais traditionnelle, question de l’écart de salaires entre hommes et femmes qui dépasse le seul cadre du numérique et de la cyber. « Il faut réduire les écarts de salaires entre hommes et femmes car c’est encore, malheureusement, une trop large réalité. » souligne Nacira Salvan.
 
Mais encore faudrait-il l’appliquer… Rappelons que la loi du 22 décembre 1972 inscrit dans le Code du Travail le principe de l’égale rémunération des femmes et des hommes… Une bataille initiée par Louise Michel, enseignante à la fin du 19siècle dans des écoles « libres », qui réclamait déjà une égalité salariale entre les instituteurs et institutrices… Une question toujours d’actualité 2 siècles plus tard !

Femmes@numérique
C’est le nom de la fondation lancée fin juin en France. Cette initiative menée par 45 associations et 42 entreprises sera financée à hauteur d’un million d’euros… sur cinq ans et devrait couvrir près de 8 grandes actions annoncées. « Le but de la fondation est de faire caisse de résonance, d’identifier les actions porteuses et de les faire rayonner », explique Emmanuelle Laroque, administratrice de la fondation et Présidente de Cognify.fr et d’ajouter « c’est un montant inédit pour le lancement d’une fondation. Nous espérons bien entendu faire croitre ce dernier avec de nouveaux acteurs qui rejoindront, à n’en pas douter, cette action stratégique et cette dynamique nationale. »
 
Parmi les axes privilégiés figurent en premier lieu la sensibilisation de la jeune génération féminine aux métiers du numérique et ce dès l’école primaire, la mise en place d’une communication auprès du grand public sur les métiers du numérique, le soutien des entreprises dans leur démarche pour féminiser ces domaines, la création d’un annuaire des « 10 000 femmes du numérique »… et le développement de la formation professionnelle.
 
Social Builder, membre du comité de pilotage de la fondation, est une startup sociale qui développe massivement des parcours de formation pour les femmes de talent en reconversion vers les métiers du numérique. Parmi ses projets, elle développe un parcours vers des métiers liés à la sécurité des systèmes d’information. « Le projet réalisé en partenariat avec Telecom Evolution, consiste à lancer un référentiel de formation aux métiers de la cybersécurité. Nous souhaitons proposer une passerelle de reconversion vers ce domaine à des femmes qui n’ont pas forcement une formation initiale d’ingénieure. Cette formation devrait proposer un parcours d’accompagnement et de formation par pallier permettant d’acquérir un socle de connaissances métier pour suivre par la suite, des formations experts. L’objectif est de flécher vers des métiers de Consultant.e en sécurité, d’Architecte en cybersécurité ou encore Data Protection Officer » explique Audrey Landon, Directrice des formations de Social Builder. Parmi les modules envisagés, figurent en priorité les bases des systèmes d’information, les bases du réseau et les bases de la sécurité informatique. Une formation qui devrait être à terme certifiante.