L’Intelligence artificielle (IA) au service de la circulation routière – Véhicule autonome : enjeux et perspectives

Par Myriam Quéméner, avocat général près la Cour d’appel de Paris, docteur en droit

L’intelligence artificielle se développe dans de nombreux secteurs d’activités dont l’automobile et la voiture autonome apparaît comme une application du domaine de la robotique mobile. Cette démarche vers ce type de véhicules est intéressante et porte la promesse d’une réduction des accidents dans la mesure où beaucoup d’entre eux sont dus à une défaillance humaine

Cependant, les véhicules autonomes posent de nouveaux défis à la fois techniques et juridiques qu’il convient d’examiner. Ils sont au coeur de nombreux débats y compris dans les enceintes judiciaires ainsi qu’en témoigne, un procès fictif réalisé à la cour d’appel de Paris1 à l’occasion de l’évènement la nuit du droit 2018.

Voitures autonomes, risques humains et cyberrisques

L’industrie automobile doit rentabiliser des investissements énormes – 80 milliards de dollars d’après une étude réalisée en 2017 par le Brookings Institute – pour mettre rapidement sur le marché des véhicules autonomes tout en restaurant la confiance des acheteurs.

Cependant, les difficultés ne sont pas encore réglées et si Google, Uber et Apple développent des projets en matière de voiture autonome, des accidents demeurent préoccupants. Par exemple, en mars 2018, aux États-Unis, Uber a suspendu momentanément son programme de développement de voiture autonome après un accident mortel en Arizona, le véhicule ayant percuté une piétonne2.

Kaspersky Lab, société de cybersécurité mondiale3, a testé sept applications de commande à distance de véhicules développées par de grands constructeurs. Le résultat a fait apparaître qu’un cybercriminel peut prendre le contrôle d’un véhicule à distance. En effet, des problèmes de sécurité ont été détectés en l’absence de contrôle d’intégrité du système et de protection contre les techniques permettant de dérober les identifiants des utilisateurs.

Véhicules autonomes : quelles responsabilités ?

En cas d’accident, l’indemnisation incombe au conducteur de la voiture mais si ce dernier n’a plus la maîtrise directe du véhicule ce qui est le cas avec ces engins autonomes. Le problème reste entier.

L’expérimentation sur la voie publique et l’exploitation commerciale des voitures autonomes peuvent être à l’origine de dommages matériels et corporels. Le régime de responsabilité civile pour faute, responsabilité du fait des choses, la responsabilité du commettant du fait de ses préposés et la responsabilité du fait des produits défectueux du constructeur automobile ou du fabricant de la technologie autonome pourraient être retenu.

En outre, le régime d’indemnisation de la loi Badinter de 1985 sur les accidents de la circulation pourrait s’appliquer au conducteur de la voiture autonome si l’accident a eu lieu alors qu’il avait le contrôle du véhicule.

Une réglementation embryonnaire

En France, le décret n° 2018-211 du 28 mars 2018 relatif à l’expérimentation de véhicules à délégation de conduite sur les voies publiques a été pris en application de l’article 1er de l’ordonnance n° 2016-1057 du 3 août 2016 relative à l’expérimentation de véhicules à délégation de conduite sur les voies ouvertes à la circulation publique. Cependant, cette ordonnance ne se prononce nullement sur un régime de responsabilité appropriée. Ce texte prévoit que ces véhicules pourront circuler sur des voies ouvertes à la circulation publique sous couvert d’un titre provisoire de circulation spécifique et impose pour l’instant une présence humaine au volant pour s’assurer qu’un chauffeur puisse reprendre le contrôle en cas d’urgence.

En l’état, les contrats négociés entre les différents acteurs impliqués dans l’expérimentation et l’exploitation des voitures autonomes devront nécessairement répartir entre eux le risque d’indemnisation en cas d’accident et celle de la charge de la dette éventuelle de réparation.

Le rapport de la commission Villani4 rendu public le 28 mars dernier suggère une adaptation du code de la route en vue d’autoriser, à compter de 2022, des fonctions d’autonomie de niveau 3 c’est à dire que le conducteur ne surveille pas le système tout en étant prêt à prendre le contrôle et, à compter de 2028, des fonctions d’autonomie de niveau 4, c’est à dire sans conducteur dans certains cas d’usage.

Les réponses techniques et éthiques

Les constructeurs doivent améliorer grâce à l’IA les capacités de détection d’obstacles et de freinage automatique des véhicules. Pour limiter les risques d’engagement de la responsabilité des sociétés qui testent et/ou exploitent des voitures autonomes, il apparait nécessaire de créer un dispositif de contrôle continu de l’entretien des voitures autonomes, d’un point de vue matériel mais aussi logiciel, via la souscription de contrats de maintenance auprès de sociétés spécialisées. Il est aussi indispensable de conserver les preuves de cet entretien et de prévoir une sorte de boîte noire enregistrant les données qui seront ensuite exploitées comme éléments de preuve pour cerner les responsabilités.

En outre des questions éthiques5 se posent et elles nécessitent une intervention législative pour permettre aux concepteurs de programmer leurs algorithmes afin d’établir une hiérarchie des intérêts à sauvegarder.

En matière de dommages corporels, seule la faute inexcusable de la victime, dans la mesure où elle constitue la cause exclusive de l’accident, permet à l’assurance du conducteur, obligatoire par ailleurs, d’éviter la prise en charge de leur indemnisation. Le relais est alors pris par un fonds de garantie des victimes. S’agissant des dommages matériels, toute faute de la victime est susceptible de limiter ou d’exclure son droit à réparation. Si le conducteur subit un dommage, toute faute qu’il aura commise limitera ou exclura son indemnisation.  

Il pourrait être envisager de mettre en place un partage de responsabilités entre conducteurs, constructeurs de véhicules et concepteurs du système d’autonomie. Une boîte noire ou le GPS permettrait de déterminer qui avait le contrôle de la voiture au moment de l’accident. C’est précisément ce qu’a fait l’Allemagne en modifiant son code de la route par une loi du 16 juin 2017 permettant à des voitures semi-autonomes de circuler sur le territoire.

Perspectives

En France, le gouvernement envisage d’autoriser les voitures autonomes dès 2020 à la condition que la technologie soit suffisamment viable, mais avant cela, le cadre réglementaire devra évoluer6. On constate que les problématiques liées aux véhicules autonomes ne sont pas encore parfaitement réglées et des progrès doivent encore être réalisés pour sécuriser le recours aux voitures intelligentes.

1 https://www.cours-appel.justice.fr/paris/proces-de-lintelligence-artificielle-le-carambolage-du-siecle

2 Grégoire;Loiseau , La voiture qui tuait toute seule – Recueil Dalloz. 2018. 793

3 Véhicules intelligents : sécurité en danger, Bulletin des Transports et de la Logistique, Nº 3638, 3 avril 2017

4 Rapport Villani, « Donner un sens à l’intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne », mars 2018, Documentation. française

5Alexandra Bensamoun — recueil Dalloz 2018. 1022 — 24 mai 2018

6 Marjolaine Monot-Fouletier — Marc Clément — recueil Dalloz 2018. 129 — 25 janvier 2018 : Véhicule autonome : vers une autonomie du régime de responsabilité applicable ?