La sûreté des établissements culturels

par Stéphane Schmoll, consultant en technologies de sécurité et président de la commission stratégique du CICSi

Les sites et évènements de culture et de loisirs, à commencer par les monuments et les musées, sont un élément emblématique dans une ville qui se veut attractive car smart and safe. Après les installations critiques industrielles et les établissements recevant du public tels que les gares et les aéroports, la filière industrielle de sécurité et sa cousine de sécurité privée doivent se pencher sur ce sujet encore peu débattu mais riche en défis spécifiques, doctrines et moyens humains ou technologiques. Premiers regards et témoignages croisés.

Les enjeux

La préparation des jeux olympiques met en exergue les risques liés aux établissements culturels et de loisirs, susceptibles de voir leur fréquentation démultipliée pendant de tels grands événements. Versailles, le Grand-Palais et la Tour Eiffel accueilleront même des épreuves olympiques. Mais cela constitue aussi une opportunité pour renforcer l’attractivité de la France et de Paris de façon durable en incluant les questions de sécurité et de sûreté. Qu’il s’agisse de monuments, de musées, d’évènements publics ou de parcs d’attractions, les enjeux et les défis de sécurité et de sûreté sont considérables et impactent d’autres enjeux majeurs. Elle fait partie des paramètres d’attractivité des sites et de la France, première destination mondiale avec 90 millions de touristes. Avec nos concitoyens, ils représentent un marché considérable qui conditionne l’équilibre économique du système de culture et de loisirs et des autres marchés du tourisme. C’est donc un instrument politique de premier plan pour le pays et pour ses territoires. On peut également mentionner l’éducation des scolaires, la formation des universitaires, la préservation du patrimoine national et mondialii et le rayonnement du pays. Ces enjeux méritent donc une attention particulière de la part des filières de sécurité technologique et humaine.

Typologie des sites

La plupart des sites ont chacun des spécificités qui rendent difficiles les approches par catégorie. Certains sites sont des pure players comprenant tout au plus une boutique tandis que d’autres incluent des espaces commerciaux, des cinémas et théâtres, des restaurants, des parkings et des transports publics. L’espace environnant le site peut être hyper-urbain, y compris avec des habitations, ou en pleine campagne avec des grands rassemblements éphémères de public. La doctrine de prévention des risques et de la gestion de crise ne peut donc être élaborée qu’en coopération entre des acteurs publics de statuts divers et des acteurs privés. Les établissements culturels, monuments et parcs d’attractions sont gérés par le ministère de la Culture, les collectivités territoriales ainsi que des entreprises et fondations privées. Il en résulte des différences réglementaires, statutaires et financières dans le déploiement de moyens et les responsabilités. Depuis Louis XIV, le Château de Versailles, par exemple, possède ses propres moyens de sécurité alors que d’autres sites dépendent plus ou moins largement des services publics de sécurité et surtout de prestataires privés.

Ils ont en commun de recevoir du public, de quelques milliers à plusieurs millions de visiteurs par an de toutes origines géographiques, linguistiques et sociétales et sont donc plus compliqués à protéger que des sites industriels d’importance vitale, le public pouvant difficilement être éduqué à des règles ou comportements.

Des doctrines ou des normes

Du fait de leurs diversités de contraintes et de fréquentation, chaque établissement est libre de définir sa propre doctrine mais des boîtes à outils procédurales et technologiques peuvent être définies pour faire gagner du temps aux responsables. Leurs méthodes d’analyses sont semblables et la consigne donnée aux agents est toujours de tenir la situation en attendant les forces d’intervention. Les questions de pure sécurité comme les risques incendies sont connues, traitées et normalisées depuis bien longtemps tout en évoluant au gré des accidents rencontrés. En revanche, les risques de sûreté, déjà connus avec les colis suspects, connaissent un développement important depuis l’avènement des attentats ; probablement les plus complexes à appréhender du fait de la grande variété des menaces possibles et de la créativité de l’ennemi, terroristes et déséquilibrés compris. Il y a très peu de normes en matière de sûreté, en attendant la norme–cadre ISO sur la sécurité et la résilience, portée par la France et l’Australieiii. Les ministères de l’Intérieur et de la Culture ont élaboré et publié l’an passé avec le SGDSN un guide de référence pour la sécurité et la sûreté des évènements et établissements culturelsiv, avec des fiches techniques pour se préparer, prévenir et réagir.

Les besoins et les défis

En France, les milliers de musées et les dizaines de milliers de monuments historiques attirent plus de 60 millions de visiteurs par anv. Les flux de visiteurs constituent des cibles molles et des moteurs de paniques. Tandis que les établissements sont parfois vulnérables aux inondations et aux pandémies, tous le sont aux risques cyber pesant sur le patrimoine numérique. Concernant les bâtiments, l’intégration de dispositifs techniques peut être contraignante dans le cas des bâtiments historiques et doit être prévue en amont des constructions nouvelles.

L’autre défi est celui de l’emploi et de la formation des agents de sécurité. Plus de 10.000 agents sont des fonctionnaires auxquels les certificats de qualification professionnels ne s’appliquent pas, contrairement aux agents de sécurité privés mis en œuvre par certains sites. Une harmonisation des formations faciliterait cependant les partenariats et la mobilité. Certains responsables prônent la spécialisation, d’autres la polyvalence pour renforcer leur motivation et leur efficacité. Dans tous les cas, des exercices réguliers sont indispensables pour évaluer l’effet des solutions en place et générer des réflexes. Enfin, le criblage des agents et des prestataires mériterait d’être élargi.

Les solutions

Elles sont progressivement étudiées, testées et mises en place par des professionnels de bon sens. En Ile-de France, ils y travaillent ensemble et avec les pouvoirs publics, et envisagent d’échanger davantage avec les spécialistes de domaines plus larges : clubs de directeurs de sécurité, syndicats de sécurité privée et seraient intéressés à participer aux travaux du CoFISvi.

Les technologies de sécurité, encore trop souvent étrangères, sont multiples : marquage des objets de valeur, dispositifs anti-incendie, portiques ou cabines de détection, video avec analyse comportementale pour aider au ciblage, barres palpeuses, bandeaux infra-rouge, dispositifs d’alerte, systèmes de badge pour les personnels et intervenants, applications de gestion de files d’attente, etc. D’autres idées font leur chemin, comme celle d’une plateforme mutualisée de billetterie prête à accueillir les identités numériques ou d’autres titres et gérant les attentes et parcours de visiteurs.

Et maintenant ?

Les musées, monuments et autres établissements culturels recherchent de subtils équilibres. D’une part entre les impératifs de fréquentation et de rayonnement et d’autre part la sûreté des personnes et du patrimoine mais aussi entre les facteurs humains, technologiques et procéduraux. C’est un nouvel exemple de l’indispensable coopération entre les acteurs publics et privés de la sécurité. Face à la complexité et la diversité des cas de figure, les nouvelles technologies peuvent apporter des briques de solutions y compris dans des domaines encore inexploités tels que l’intelligence artificielle. Ce savoir-faire en plein développement peut alimenter de nombreuses synergies avec les problématiques d’autres ERPvii tels que les gares, les stades, les écoles….

Avec le patrimoine et son exploitation, il renforce à la fois l’attractivité de notre pays et celle de son offre à l’exportation. Pour toutes ces raisons, il serait judicieux que le ministère de la Culture devienne membre de droit du CoFIS créé il y a 5 ans.

Sujet passionnant et en pleine évolution, nous aurons donc l’occasion de l’approfondir dans les prochains numéros de S&D avec notamment le témoignage du Centre Pompidou, des Musées de Paris, et bien d’autres…

iConseil des industries de la confiance et de la sécurité

iicf le triste cas du musée national de Rio de Janeiro

iiiISO 22340 du TC 292/WG6

ivdisponible sur le site du ministère de l’intérieur

vsource : étude Patrimostat

viComité de la filière industrielle de sécurité

viiEtablissements Recevant du Public