Quels défis sécuritaires au Moyen-Orient ? 

Par Fadia Leturcq, Membre du comité directeur et Responsable du comité Moyen-Orient de l’ANAJ-IHEDN

Qu’on la nomme Y ou Millennial, notre génération a grandi dans une insécurité croissante et mondialisée, les yeux tournés vers une région du monde où le moindre bouleversement peut avoir des effets qui dépassent de loin les frontières et les Etats. 

Observer avec effroi les deux tours new-yorkaises s’effondrer à travers un écran de télévision. Suivre à la radio le bombardement du quartier général de Saddam Hussein à l’aide de missiles Tomahawk. Découvrir que des voitures piégées déciment un quartier de Bagdad dans un quotidien. Saluer les « Printemps » arabes de Tunis à Damas via des vidéos postées sur YouTube. S’indigner face à la répression subie par les manifestants sur Twitter. Tenter de comprendre la radicalisation et le djihadisme à travers des infographies sommaires. Activer le Safety check de Facebook un 14 juillet à Nice… Pas une journée ne passe sans que nos sources d’information ne nous rappellent les crises qui ont lieu au Maghreb, au Levant et dans les pays du Golfe, ou qui y naissent pour ensuite se projeter sur le territoire national et en Europe. 

Alors qu’on la pensait individualiste et allergique à l’engagement, notre jeunesse porte une attention particulière à son environnement et aux événements qui l’ébranlent de près ou de loin. Il est donc naturel que les jeunes de l’IHEDN aient constaté un regain d’intérêt pour les problématiques de défense et de sécurité liées au Moyen-Orient ces dernières années. Espace d’échanges et de réflexions, le comité Moyen-Orient de l’ANAJ-IHEDN éveille la matière grise de 200 jeunes de tous horizons, afin de s’interroger sur la politique sécuritaire à l’égard de cette région et d’aborder avec conviction des problématiques encore trop peu explorées.

L’une des premières convictions est que la compréhension du Moyen-Orient participe à la sécurité intérieure. Depuis les attentats de 2015, la lutte contre le terrorisme djihadiste est présentée comme indissociable de l’action militaire et diplomatique de la France au Moyen-Orient. Pourtant, nous avons rarement pris le temps de porter notre attention sur les modes d’action et de réaction des États en première ligne face à cette menace : 94% des morts liées au terrorisme ont lieu hors des pays de l’OCDE et concernent principalement les pays du Moyen-Orient. 

Les fusillades de masse en 2015 ou les récentes attaques à la voiture bélier et au couteau ont révélé des modes opératoires inédits et rarement employés en France et en Europe, mais expérimentés par les pays du Moyen-Orient depuis plusieurs années. Afin d’appréhender la menace sur le territoire national, il est indispensable de se pencher sur les réponses données par des États fréquemment exposés à la menace terroriste et qui ont parfois su la contenir. 

S’il n’existe pas de modèle optimal, certains pays du Moyen-Orient ont développé des techniques et un savoir-faire qui permettent d’obtenir des résultats concrets et qui s’établissent dans la durée. Le modèle de lutte antiterroriste israélien par exemple – qui s’articule autour de trois axes : la prévention à travers des dispositifs de surveillance multiples, le développement de la technologie sécuritaire avec une excellence marquée en matière de cybersécurité et enfin la diversification des modes de renseignement, semble efficient sur le plan opérationnel bien qu’il pose un véritable débat en matière de libertés publiques. De même, le Maroc mène une démarche préventive et offensive, incluant un volet idéologique fort – encadrement du religieux par exemple, afin d’endiguer la propagation de l’idéologie djihadiste. Il est classé aujourd’hui parmi les pays les moins touchés par des attentats terroristes. Dans ce même sillage, les autorités marocaines ne négligent pas la coopération à l’international en partageant des renseignements. En ce sens, le Maroc devrait bientôt signer un accord de coopération avec Europol. 

Promouvoir la synergie des acteurs et l’échange de bonnes pratiques, solliciter les retours d’expériences de nos homologues maghrébins et orientaux qui sont les premiers concernés par la lutte antiterroriste, comprendre leurs méthodes : voici de premiers efforts vers la construction d’une sécurité intérieure et mondiale durable. Paris accueillait en avril dernier, à l’initiative du Président de la République, la conférence internationale sur le financement du terrorisme : une première édition propice au partage d’expérience et aux regards croisés entre acteurs engagés contre le terrorisme. Face à une menace globale, la réponse doit être internationale. 

Nous devons sortir de la Big Picture et approfondir notre connaissance de la région. C’est la seconde conviction portée par nos réflexions. En effet, certaines représentations orientalistes ou occidentalistes nous ont longtemps conduit à analyser les évolutions du Moyen-Orient sans prendre en compte sa complexité. Aussi, il est commun d’associer les guerres civiles au terrorisme, les manifestations des peuples à la seule et impérieuse volonté de renverser des régimes et de libérer les mœurs, ou de résumer les conflits à la rivalité entre chiite et sunnites. De même, la tendance à ne pas entrer en profondeur dans l’étude de la région freine notre capacité à l’anticiper et à la prévoir. 

Sur le plan géopolitique par exemple, nous ne pouvons pas aborder notre engagement dans la région sans prendre en considération les jeux d’influence internes ou les crises sous-médiatisées et qui nous paraissent ainsi négligeables. Les origines du conflit yéménite, par exemple, relèvent bien plus que du simple facteur confessionnel et combinent des paramètres politiques et territoriaux. La question houthie, qui a pendant des années été sous médiatisée, n’est pas récente : à l’aube de la guerre du Saada en 2004, nous pouvions pressentir le jeu d’influence entre les deux grandes puissances orientales, l’Iran et de l’Arabie saoudite, incarné aujourd’hui par la guerre par procuration qu’elles se mènent sur plusieurs terrains de la région. L’escalade de violence et le désastre humanitaire dans le pays le plus pauvre du Moyen-Orient, ainsi que la régionalisation des affrontements, semblaient donc prévisibles. 

Il est donc indispensable de développer une connaissance du Moyen-Orient dans sa diversité, dans une logique d’anticipation et de prévention. Une approche sécuritaire ne doit pas se limiter à l’action militaire mais elle doit intégrer de nombreux éléments : nous devons nous engager dans une compréhension plus fine et plus profonde des dynamiques politiques, culturelles, démographiques et économiques dans lesquelles s’inscrivent les pays de la région, afin d’activer tous les leviers soutenant une sécurité globale. 

La sécurité économique au Moyen-Orient s’est révélée, à travers nos travaux, comme étant l’une des clefs pour parvenir à une paix durable dans la région et au-delà. Les « Printemps » arabes ont commencé en Tunisie par l’auto-immolation d’un vendeur ambulant comme acte de protestation face à la pauvreté et à la corruption dans son pays. Cet événement a démontré que la condition sociale et économique difficile des populations constituait le terreau de la colère populaire, au-delà de la simple mais importante question de la démocratie. La moitié de la population du Moyen-Orient a moins de 25 ans et est touchée par le chômage à hauteur de 40% : il devient donc difficile de parvenir à une stabilité sans offrir de perspectives à cette jeunesse. 

Les prévisions à horizon 2022 anticipent une accélération de la croissance des pays du Maghreb et du Moyen-Orient et l’entrepreneuriat, vu comme un vivier de solutions face aux crises, se développe dans la zone : il faut donc encourager les investisseurs à soutenir cette croissance à long terme afin de faire entrer la région dans un développement économique durable. Pour cela, la France dispose d’une influence ancienne et d’une expertise reconnue dans certains secteurs : le numérique, les énergies, l’industrie… sur lesquelles ses entreprises peuvent capitaliser. 

Le développement du Moyen-Orient passe également par un accompagnement des pays en sortie de crise dans leur stabilisation puis leur reconstruction. En impliquant la France dans les mécanismes de justice transitionnelle d’abord, et en attachant de l’importance à ce long processus qui permet de limiter la résurgence de conflits et de refonder les Etats sur des bases solides. En encourageant les investissements ensuite, afin d’accroître la résilience économique de ces pays. Pour cela, il s’agit de s’appuyer sur les grands groupes et de lever les réticences des PME et ETI à s’aventurer dans une région à risques et a priori peu attractive. De même, il faut renforcer les structures susceptibles de les accompagner dans leur intégration.

Osons donc ouvrir notre approche sécuritaire à l’égard du Moyen-Orient à de nouvelles grilles d’analyses et initiatives, en soutenant le développement économique et social au Moyen-Orient dans une perspective de stabilisation. 

La démarche sécuritaire à l’égard de la zone est donc bien plus qu’une simple question d’intervention armée. Elle est surtout dépendante de la coopération avec les pays du Moyen-Orient liés à la France sur la question sécuritaire, de l’attention particulière que nous devons donner aux signaux faibles que révèlent les crises et aux configurations sociales et culturelles qui échappent parfois à notre attention. Aussi, une sécurité globale n’est possible qu’à travers le développement économique de la région. Longtemps spectateurs de la guerre, pourquoi ne pas devenir acteurs de la paix : Millenials, et si nous allions faire du business au Moyen-Orient ?