Sécurité : la Blockchain peut-elle tenir ses promesses ?

Par Nathalie Jouet

« La Blockchain apporte de la transparence à l’écosystème. Sa gestion entièrement décentralisée et partagée de données, sans passer par des GAFA, point central ni supérieur, profite aux particuliers et entreprises. Mais surtout, les Blockchains peuvent porter dans leur système des crypto-monnaies, pouvant être partagées par tous sans être émises par un État ou une banque centrale, ce qui créé une réelle révolution », affirme Laurent Leloup, fondateur et dirigeant de Chaineum, président de France Blocktechs et auteur du Livre Blockchain. La révolution de la confiance (éd. Eyrolles).

Popularisée par le Bitcoin, la Blockchain représente une innovation majeure dont les conséquences et les possibilités restent encore difficiles à appréhender. Cette technologie permet à différentes parties contractantes au sein d’un réseau d’échanger des données sans passer par des intermédiaires. Dès lors, la question de la sécurité de la Blockchain est inévitable.

Premier pas pour la création d’un cadre juridique en France

« Jusqu’à maintenant, la communauté s’est montrée très attentive au respect des règles entre les différents utilisateurs grâce à la communication instantanée sur les réseaux sociaux. Les bons et mauvais acteurs sont donc rapidement identifiés. Il faut laisser le temps aux acteurs de cet écosystème de mettre en place les bonnes règles afin que le législateur et éventuellement le juge puissent les compléter ». En effet, actuellement, le droit ne dispose pas des outils nécessaires pour appréhender efficacement les nouveaux enjeux soulevés par la Blockchain. De toute évidence, il n’est pas préférable d’appliquer les règles de droit traditionnelles à cette technologie. Quant à la question de la régulation, il convient de déterminer quelle sera la position adoptée par le gouvernement.

« Le cadre juridique de la Blockchain est malheureusement incomplet. La loi PACTE apporte une première réponse à l’insécurité juridique liée au développement de cette technologie en France. Le 28 septembre 2018, l’Assemblée nationale a voté l’article 26 concernant l’encadrement des ICO (Initial coin offering) ou tokens. Une ICO est une méthode de levée de fonds basée sur l’émission d’actifs échangeables contre des crypto-monnaies lors de la phase de démarrage d’un projet. A travers le vote de cette loi, le législateur a validé la création d’un visa optionnel délivré par l’AMF aux acteurs souhaitant émettre des jetons. Ce régime plus souple doit permettre de sécuriser les souscripteurs qui sauront alors qui émet le jeton et auront la garantie que les actifs sont toujours disponibles. Ce visa, gage de qualité, devrait attirer les ICO les plus sérieuses. Toutefois, la Blockchain est un marché mondial qui nécessite l’instauration de règles européennes et internationales. Pour le moment, l’impact du cadre réglementaire français sera donc limité », précise Fabien Drey, Avocat Fondateur du Cabinet RecLex Avocats.

Des limites qui prêtent à réflexion

« La technologie Blockchain est sécurisée car en principe infaillible. Cependant, le risque de piratage informatique existe, même s’il reste extrêmement faible. La plupart des plateformes d’échange de crypto-monnaies ne garantissent pas les dépôts à leurs utilisateurs. Si celles-ci venaient un jour à être piratées ou à mettre un terme à leur activité, les clients ne pourraient pas récupérer leurs fonds. Plusieurs exemples existent de personnes ayant investi des centaines de milliers d’euros sur des plateformes pirates, avant de tout perdre », poursuit Fabien Drey. La Blockchain n’étant régulée par aucune autorité étatique, les escroqueries se sont multipliées ces dernières années, allant des ICO trompeuses aux fausses plateformes d’échange, en passant par le minage factice. L’Autorité des marchés financiers (AMF) a mis en garde les investisseurs particuliers à plusieurs reprises les incitant à la plus grande prudence. Ce phénomène a d’ailleurs poussé certains pays comme la Chine à adopter une attitude particulièrement sévère envers les crypto-monnaies. Une des principales limites de la Blockchain réside donc dans l’impossibilité de s’assurer de l’identité réelle de l’auteur de l’infraction qui est anonyme initialement. Cette technologie représente effectivement une infrastructure unique pour préserver la confidentialité de nos données. Dès lors, des doutes peuvent également être émis quant à la faculté des juridictions à la reconnaître. Pour le moment, en cas de litige, ces dernières se réfèrent ainsi à la stricte définition de la Blockchain. « Le cadre juridique progressivement mis en place par la France permettra probablement de mieux informer le public sur ce marché. Une solution pourrait être de réglementer les plateformes d’échange de crypto-monnaies qui représentent les principaux intermédiaires entre les utilisateurs », souligne Fabien Drey, précisant que certaines plateformes bénéficient déjà du statut de « conseil en investissement financier ». Toutefois, le marché étant international et facilement accessible, « la seule réglementation française n’aura que peu d’impact, c’est pourquoi la France se doit de créer un environnement stable et favorable afin d’attirer et de conserver sur son sol les acteurs de ce marché. Dans ce cadre, l’obligation faite aux établissements bancaires de permettre l’ouverture d’un compte en banque aux acteurs de ce secteur est une grande avancée, de nombreuses entreprises étant dans l’obligation de s’expatrier afin de créer ce type d’activité ».

En outre, la Blockchain utilise des outils cryptographiques sécurisés tels que le chiffrement asymétrique et la fonction de hachage visant à vérifier, authentifier, certifier l’intégrité et à garantir la non-répudiation des informations. Le principe fondamental de décentralisation sur lequel elle repose semble ainsi incompatible avec le Règlement Général sur la Protection des Données personnelles (RGPD) entré en application le 25 mai 2018 dans les pays de l’Espace Economique Européen. « Blockchain est par essence inaltérable, ce qui fait son intérêt mais pose aussi de nombreuses questions. Chaque (co)responsable de traitement doit donc s’interroger en amont sur la véritable nécessité d’utiliser Blockchain, par rapport aux risques, afin de stocker des données à caractère personnel et devrait se limiter à l’utilisation de Blockchains privées. De même, l’exercice du droit à l’effacement des donnés reste encore en suspens, les outils actuellement proposés ne permettant qu’une simple dissimulation de la donnée, et non sa suppression définitive. A mon sens, Blockchain doit aujourd’hui être manié avec précaution et pour un usage limité dès lors qu’il s’agit de conserver des données à caractère personnel, mais les choses évoluent très vite », ajoute Fabien Drey.

Blockchain, avant tout une révolution technologique

Parallèlement aux risques qu’elle induit, la Blockchain s’annonce comme une innovation de rupture pour de nombreux secteurs. Cette technologie repose sur trois piliers : le protocole de transaction, le registre distribué et le smart contract. « On distingue deux types de Blockchain. Les Blockchains publiques telles que Bitcoin ou Ethereum par nature sécurisées car même si l’accès est public et le code est open source, le consensus mis en place et la partie confidentialité sont totalement verrouillés, avec une cryptographie serrée. De fait, il est quasiment impossible de pénétrer dans ces Blockchains. Dans les Blockchains privées, la sécurité dépend du niveau d’accès donné à chaque participant à travers l’attribution de mots de passe ou la mise en place de sites sécurisés par exemple », précise Laurent Leloup.

« La Blockchain est la suite logique d’une révolution technologique. Elle n’est que l’outil d’un monde déjà en constante évolution. Les réseaux sociaux, le web, l’informatique distribué vont être complètement transformés grâce à cette technologie. La Blockchain repose sur des principes conceptuels forts à savoir : l’architecture décentralisée s’appuyant sur le principe de consensus, la transparence des algorithmes, des technologies sous-jacentes sûres. L’absence de tiers de confiance bénéficie directement aux communautés sociales et commerciales. La Blockchain devrait donner naissance à un monde davantage basé sur une valeur humaine forte, la confiance », conclut Laurent Leloup.

Si la Blockchain comporte des risques souvent mal évalués, il y a fort à parier que le système financier utilisera de plus en plus ces solutions à l’avenir. L’incertitude actuelle repose davantage sur l’évolution du rapport entre centralisation et décentralisation.