Les enjeux du maintien en condition opérationnelle et de l’autonomie stratégique européenne en matière de Défense

Le maintien en condition opérationnelle (MCO) dans le domaine de la défense et la volonté politique du Président de la République de renforcer l’autonomie stratégique européenne constituent deux mutations fondamentales pour la Base industrielle et technologique de défense et de sécurité (BITDS).

Vers une remontée en puissance des Armées

Il y a près d’un an, la Ministre des Armées, Florence Parly portait un message clair : « il faut que ça vole » ! Ce message n’a pas changé mais les modes de pensée et de travail, eux, ont changé.

Les chiffres alarmants des quinze dernières années, l’augmentation des moyens des Armées et la remontée en puissance de celles-ci ont donné lieu à une réelle prise de conscience quand à la réalité du MCO aéronautique au coeur des Armées Françaises. Dès lors, la ministre des Armées en a fait une priorité assortie d’exigences fortes. Elle appelle « des résultats rapides et visibles » pour ce qu’elle qualifie de « véritable talon d’Achille des armées. »

Depuis 2013, la disponibilité globale des appareils militaires a en effet baissé de 10 points tandis que les coûts de maintenance ont augmenté de 40% ! Une situation alarmante allant jusqu’à « troubler l’entraînement des pilotes et pouvant produire des conséquences, potentiellement désastreuses, jusque sur nos théâtres d’opérations. » a t-elle ajouté en septembre dernier.

Vers une réorganisation et une répartition des responsabilités

Dès lors, il y a 11 mois, elle a engagé une transformation ambitieuse au profit de toutes les Armées pour répondre au problème « d’organisation, de gouvernance, de structures » du MCO aéronautique mais aussi de partage de la responsabilité sur chacun des acteurs et d’une meilleure coordination entre Etat et industriels.

L’objectif est clair : responsabiliser les prestataires à travers des contrats globaux. Créée en avril dernier, la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) rattachée au chef d’Etat major des armées exige désormais de n’avoir qu’une seule tête, un unique industriel responsable de la disponibilité d’une flotte et auquel la DMAé pourra réclamer des comptes. « Sur le Rafale, l’objectif est de passer de 25 contrats aujourd’hui à 2 contrats principaux dès 2019. Sur l’Atlantique 2, (…), nous passerons de 24 à 3 contrats. (…) Le Cougar, très employé par nos forces spéciales et en opérations extérieures, passera de 21 à 4 contrats, tout comme le Caracal », a précisé la ministre.

Les assureurs dans la partie

C’est donc dans un nouveau contexte que les industriels de la Défense doivent évoluer « Chacun doit faire son métier : quand l’Etat a des besoins, il en fait part et c’est à l’industriel, au constructeur ou au réparateur de nous les fournir, c’est sa mission. »

Pour répondre à cette nouvelle donne et mieux gérer les risques inhérents à celle-ci, les assureurs se mobilisent et s’appuient sur des pratiques initiées il y a déjà plusieurs années, au début des années 2000, lorsque le gouvernement de l’époque avait décidé d’augmenter la disponibilité des matériels de la marine compte tenu de la réduction de son format… « Dans cette optique, il avait confié des contrats globaux – contrats MCO – à des industriels pour garantir une disponibilité des navires. Lindustriel était donc redevable non plus de prestations mais d’une disponibilité globale assortie de pénalités en cas de non-atteinte des objectifs fixés. » explique Frédéric Jousse, Responsable du pôle Maritime Logistique Défense au sein de Bessé, société de conseil en assurances.

Vers une stratégie proactive de gestion des risques

Dans ce paysage du MCO profondément renouvelé, l’exigence des décideurs militaires porte sur des travaux ou des approvisionnements réalisés le plus rapidement possible et efficacement possible, « ce qui implique un processus assurantiel parfaitement fluide. Nous recommandons donc aux industriels de définir une nouvelle stratégie proactive de gestion des risques pour assurer le succès de leurs nouvelles missions. » détaille Bruno Edelin en charge des questions de Défense chez Bessé.

Le premier enjeu est bien évidemment d’être en capacité de répondre à ce client spécifique dont les besoins sont uniques. La problématique ne relève pas d’une finalité commerciale et ne se résout donc pas en perte d’exploitation. Les armées attendent de la disponibilité pour remplir la mission régalienne qui leur est confiée. « Les modèles de polices de responsabilité civile produit classiques ne sont plus adaptés. Il est essentiel de mettre en place des contrats de pré-financement des sinistres. »

Plus besoin d’attendre des mois, de subir les recherches de responsabilité tierce ou les expertises… avant que les industriels ne soient en capacité de réagir. « Cette offre unique sur le marché permet d’adresser ces exigences de réactivité et de disponibilité. Elle permet également aux industriels de protéger leurs marges. Sur cette typologie de contrat, il existe une très forte part d’autoassurance. En fonctions des événements, leur marge d’exploitation peut être altérée de manière très significative. Nos solutions assurancielles permettent donc de garantir une certaine lisibilité et sécurité bilancielle. » souligne Frédéric Jousse.

Chiffres à l’appui, les deux experts en assurance affirment qu’au sein de la Marine nationale, la disponibilité est passée de 50 % à 80 – 90 % depuis la mise en place des contrats de prestation de disponibilité globale pour les navires de premier rang.

Et bien que les problématiques soient différentes selon les Armées tout comme les volumes adressés, la démarche semble transposable. « Alors que nous parlons d’environ 80 équipements pour la Marine pour qui les enjeux de prévention sont majeurs compte tenu du faible nombre d’équipements et de moyens spécifiques qui n’existent pas sur étagère, nous sommes au millier pour les moyens aériens dédiés aux 3 armées et à contrario à plus de 25000 unités pour l’armée de terre ! Dès lors, la problématique pour cette dernière se situe plus au niveau de la logistique et du stockage » détaille Bruno Edelin.

Un sujet épineux et très couteux également souligné par la Ministre des Armées « Les stocks représentent un montant de 13 milliards d’euros, loin de correspondre au besoin réel des armées. Nous allons rendre systématique le fonctionnement en plateau entre l’Etat et l’industrie et avoir recours à des guichets uniques logistiques sur les bases ».

Des objectifs ambitieux

Les premiers résultats de la transformation sont attendus d’ici à la fin de l’année. La ministre a annoncé une augmentation de 15% de la disponibilité du Caracal, le doublement du nombre d’A400M disponibles de 3 à 6 et un passage de 6 à 7 Atlantique 2 disponibles. Des objectifs associés aux systèmes d’information du MCO aéronautique, à la gestion du maintien de la navigabilité et au maintien en condition de sécurité des systèmes sont également fixés. « En 2019, nous devrons continuer sur cette voie, amplifier le mouvement. » a t-elle ajouté.

Des industriels qui vont donc devoir s’engager sur une meilleure disponibilité et une meilleure coopération avec les équipes du ministère. Ces derniers pourraient alors espérer des contrats plus lucratifs sur le long terme. Le budget dédié au MCO de défense augmentera de 8% à 4,2 milliards d’euros pour 2019. « Les autorisations d’engagements budgétaires ont été mises en place pour permettre les contrats de longue durée. » a précisé la Ministre des Armées.

Une dimension européenne essentielle

La volonté politique d’avancer vers une industrie de défense européenne et les derniers rapprochements opérés entre Les chantiers de l’Atlantique et Fincantieri, ou Nexter et Krauss-Maffei Wegmann, obligent les parties à définir une stratégie commune de gestion des risques et à partager des informations classées secret-défense et/ou relevant du secret industriel. C’est pourquoi le choix du courtier en assurance doit faire l’objet d’une attention particulière de la part des dirigeants industriels. « En retour, la connaissance pointue des matériels militaires et des processus de production des industriels, permettent de mettre au point des stratégies assurantielles qui garantiront de véritables avantages compétitifs, dans la mesure où elles seront totalement adaptées aux caractéristiques du MCO et aux exigences de disponibilité opérationnelle du monde de la défense. » explique Frédéric Jousse.

Une dimension européenne qui implique des alliances stratégiques « Nous avons scellé des alliances fortes et exclusives avec de grands courtiers européens pour apporter une solution européenne à ces problèmes de transfert de risques bien souvent frappés d’enjeux stratégiques liés à la confidentialité. » A ce titre, la DGSE a attiré l’attention des industriels sur le fait que l’assurance est souvent source de « fuites » compte tenu de la nature fine des informations transmises lors des analyses des risques et des processus industriels.

Fervents défenseur d’une industrie de défense qui inclura un « servicing » européen « nous sommes certains que cet outil clé pourra contribuer à la souveraineté de nos États, à la confidentialité des informations relevant du secret industriel et à la construction d’une industrie de défense européenne stratégiquement autonome. »