AMLO peut-il mettre fin à l’escalade de la violence au Mexique ?

L’élection d’Andrés Manuel López Obrador – AMLO – à la présidence du Mexique le 1er juillet dernier arrive à un moment particulièrement critique de l’histoire contemporaine du pays. Après douze ans d’un conflit contre le crime organisé qui a causé la mort de près de 120 000 personnes et 37 000 disparitions, le pays a connu en 2017 son année la plus meurtrière depuis 1997, date de la mise en place des statistiques criminelles, avec près de 26 000 homicides.

Par Thibault Dehais

La guerre contre la drogue 

Afin de saisir les enjeux qui secouent actuellement la société mexicaine, il est nécessaire de revenir quelques années en arrière, au moment où l’ancien président Felipe Calderón (2006-2012) décide d’étendre et d’amplifier la militarisation de la lutte contre les narcotrafiquants entamée sous son prédécesseur, Vicente Fox.

Le 12 décembre 2006, Felipe Calderón décrète la mobilisation de 6 500 soldats dans l’État du Michoacán dans le but de reprendre aux cartels les territoires qu’ils contrôlent et d’en neutraliser les principaux chefs. L’opération « Conjunto Michoácan » inaugure alors l’implication systématique de l’armée mexicaine aux côtés des forces de polices locales et fédérales dans la « guerre contre la drogue » : entre 2006 et 2009, le nombre de soldats et de marines déployés sur l’ensemble du territoire mexicain passe de 41,355 à 56,704.

À la fin du mandat de Calderón, les forces de sécurité ont largement remplis les objectifs qui leur ont été fixés : 25 des 37 criminels les plus recherchés du pays ont été arrêtés ou tués.

Une spirale de violence

Cette politique a également contribué à entraîner le pays dans une spirale de violence. Entre 2007 et 2011, le nombre de meurtres au premier degré a augmenté de plus de 50%.

L’explosion de ce chiffre s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, la stratégie de l’Etat mexicain conduit à une escalade des affrontements entre les forces sécuritaires et les cartels et par une généralisation du conflit à l’ensemble du pays. Ensuite, les nombreuses arrestations de figures majeures du crime organisé créent un vide à la tête des principaux cartels et donnent lieu à des luttes internes pour le leadership, contribuant ainsi à la division de ces organisations. Ainsi, les six principaux cartels qui dominaient le paysage criminel au Mexique il y a encore douze ans, se sont fragmentés en des dizaines de groupes plus ou moins puissants et importants.

Le morcellement des cartels ainsi que les arrestations ou les exécutions de leurs principaux leaders les ont donc conduits à se transformer. De fait, l’absence de leadership et les luttes internes ont largement entravé les capacités des groupes criminels à assurer la logistique du transport de cocaïne de la Colombie vers les États-Unis les conduisant donc à diversifier leurs activités dans les domaines de l’extorsion, du kidnapping, du vol de pétrole et de cargos notamment.

L’éclatement des structures criminelles a également exacerbé la lutte pour le contrôle territorial, le trafic d’influence et la corruption. Au cours des vingt dernières années, le Mexique est passé d’un État dominé de fait par le Parti révolutionnaire institutionnel – PRI – à un système pluraliste. Cette évolution a mis à mal les liens établis entre le crime organisé et les fonctionnaires locaux corrompus, augmentant ainsi les conflits et la violence entre l’État et les groupes criminels. Cet enjeu est devenu d’autant plus important à mesure que la pluralisation amena une décentralisation du pouvoir au profit des collectivités locales. Les dernières élections fédérales ont d’ailleurs été les plus violentes qu’a connu le pays et reflètent bien cet état de fait : au cours de la campagne, plus de cent trente élus, candidats et militants ont été assassinés.

De nombreuses promesses

Dans cette conjoncture délicate, AMLO s’apprête à être investi avec la promesse d’endiguer la corruption et de mettre fin à la militarisation de la lutte contre les cartels par une nouvelle approche. Il souhaite en effet désengager progressivement l’armée des opérations de police en créant une « garde nationale » dédiée de 300 000 hommes comprenant des militaires et des policiers. Il envisage d’amnistier des personnes condamnées pour des faits mineurs liés à la drogue et de légaliser certains stupéfiants. Néanmoins, il considère qu’une amélioration de la situation à long terme passe par une croissance économique plus équitable, un système éducatif viable ainsi que davantage d’emplois pour les jeunes qui constituent le principal vivier de recrutement pour les cartels.

Les propositions d’AMLO peuvent-elles faire évoluer la situation au Mexique ?

Beaucoup en doutent. De fait, le périmètre envisagé de l’amnistie est peu à même d’inciter les figures clés du crime organisé à se désarmer ou se démobiliser, d’autant plus que nombre d’entre elles seraient toujours sous la menace d’un mandat d’arrêt américain. De même, un retrait prématuré des forces armées des opérations de police risquerait d’apporter davantage d’instabilité. Il est également indéniable que les cartels tireront profit de la légalisation éventuelle de certains narcotiques et de la faiblesse des institutions afin d’exporter davantage de drogue aux États-Unis.

Malgré le fait que la coopération sécuritaire entre les États-Unis et le Mexique constitue un point de satisfaction majeur entre les deux pays depuis le lancement de l’initiative de Mérida en 2007, celle-ci pourrait pâtir des projets de la nouvelle administration mexicaine : les intentions d’AMLO vont à l’encontre de la vision de Washington pour qui l’interdiction des drogues et la lutte contre le trafic constituent les deux piliers de la collaboration avec Mexico. Il n’est pas exclu que l’administration Trump hausse le ton vis-à-vis de son voisin face à une politique qu’elle juge trop permissive. Cette coopération semble néanmoins trop importante pour les deux pays pour qu’une rupture sécuritaire majeure ait lieu.

Les ambitions d’AMLO sont à la mesure de l’espoir que sa candidature a suscitée dans l’électorat mexicain. Elles ne sont cependant pas assorties d’une vision précise détaillant les moyens pour les atteindre : il s’est simplement engagé à éradiquer la corruption et à mettre fin au conflit qui secoue le pays en seulement trois ans. Ces aspirations novatrices doivent désormais être tempérées par un examen réfléchi et pragmatique sur la profondeur de la crise qui secoue le pays afin que le Mexique puisse commencer à envisager un autre avenir.