Le numérique, moteur du développement en Afrique Par Chrysostome Nkoumbi-Samba

Dès 2012, l’Organisation International de la Francophonie qui regroupe parmi ses Etats membres 27 Etats Africains, adopte à Kinshasa en République Démocratique du Congo, sa stratégie Horizon 2020i prenant en compte les nouvelles évolutions technologiques qui touche désormais tous les secteurs de l’activité humaine. Pour le Secrétaire Géneral, le président Abdou DIOUF « Cette nouvelle stratégie apporte des innovations importantes dans l’action de la Francophonie afin que le numérique soit un des moteurs du développement et renforce la participation citoyenne, l’expression des libertés démocratiques et la place de la langue française sur la toile en devenant un axe prioritaire de la solidarité francophone ».

Une transformation structurelle

Un an plus tard, lors du jubilé d’or de l’Union Africaine, l’agenda 2063 est adopté. Il s’agit d’un plan pour la transformation structurelle de l’Afrique, par le biais d’un processus axé sur les populations avec la nécessité d’une croissance forte, durable et inclusive, qui créera des emplois décents et renforcera la cohésion sociale grâce à la maîtrise des inégalités.

En 2014, après quatre années de négociation, l’Union Africaine adopte sa convention sur la cybersécurité et la protection des données personnelles : le traité de Malabo. La convention fournit aux Etats signataires (à ce jour 10 pays sur 55 ; Bénin, Tchad, Comores, Congo, Ghana, Guinée-Bissau, Mauritanie, Sierra Leone, Sao Tomé et Principe, Zambie, deux pays Sénégal et île Maurice l’ont ratifiée pour une entrée en vigueur sur leur territoire) un cadre légal commun de régulation des activités sur internet.

Smart Africa

Autre fait marquant, la mise en place du projet Smart Africa, une alliance de 22 Etats Africains dont l’objectif est l’interconnexion à internet des pays signataires dans la perspective de l’avènement du marché unique du numérique. Le 1er janvier 2016 est entré en vigueur le Programme des Nations Unies pour le développement durable à l’horizon 2030.

Le 21 mars 2018, l’ouverture de la Zone de libre-échange continentale (ZLEC), un grand marché pour le développement des échanges commerciaux entre les 54 États-membres de l’Union Africaine est actée. Avec l’entrée en vigueur le 25 mai 2018 du Règlement sur la protection des données à caractère personnel pour les citoyens européens, les 11 pays européens membre de la Francophonie se sont dotés d’un texte majeur dont l’enjeu est de permettre les nouveaux usages de la donnée tout en protégeant les libertés fondamentales qui s’y attachent. A cela, les américains ripostent avec le Cloud Act, une loi qui facilite l’accès pour les autorités américaines aux données stockées à l’étranger par des entreprises américaines dans le cadre exclusif d’une procédure judiciaire.

En octobre 2018, alors que le Conseil de l’Union européenne achève la procédure de l’appel d’offre en vue de la fourniture d’expertise, de produits, de services et de solutions de cybersécurité destinés à protéger les systèmes informatiques de 17 institutions, services et agences européennes, les Etats francophones décident du lancement des activités du réseau des ministres francophone de l’économie numérique, un cadre de concertation qui témoignera de l’harmonie de leurs positions quant au numérique et de leurs engagements à une intégration réelle des populations francophones grâce au numérique. Un vœu pieux en l’absence d’une stratégie globale africaine ou Francophone en matière de cybersécurité.

La cybersécurité, un enjeu majeur pour les politiques de développement

Ainsi donc, de l’avis de tous les analystes et des organisations de coopération internationale, « face aux défis auxquels le monde et plus particulièrement l’Afrique se trouve confronté, les privations, les inégalités, l’extrémisme violent… il s’agit plus que jamais de penser développement, entendu comme amélioration des capacités de l’homme ou des conditions sociales, économiques, politiques, culturelles, au regard de ce que le numérique peut apporter. Or, celui-ci laisse encore beaucoup de zones d’ombre. Elles concernent les conditions optimales de son utilisation, les facteurs favorisant son adoption… »iidéclare notamment l’OCDE. Pour l’OIFiii « le numérique, sous l’impulsion de l’hyper connectivité des territoires et des nouvelles applications apportées par un flot incessant d’innovations, offre des opportunités inestimables pour les sociétés et les individus. Il génère également des risques et des menaces qu’on ne saurait occulter ».

La frénésie autour des atouts du numérique est à nuancer à la lueur des déclarations d’Eric Schmidt, patron de Google « Les Etats sont inefficients. Nous sommes efficaces, nous avons vocation à les remplacer ». Les deux grandes attaques informatiques de 2017, WannaCry et NotPetya, suivies de l’utilisation abusive avec l’avènement du Brexit, de l’élection présidentielle américaine, de l’élection présidentielle française et de l’Affaire Cambridge Analytica entrent aussi au cœur de l’équation. En Afrique, les élections générales en République Démocratique du Congo pour lesquelles les autorités ont prévu le recours à des machines à voter au regard des délais impartis, de l’étendu du territoire, du nombre d’électeurs, du nombre de candidats et de la polémique apparue, confirme l’émergence de la nouvelle société africaine qui ne pourra plus se passer du digital… De ce fait, un accompagnement vers une transformation en profondeur s’avère être nécessaire. Car, à s’y m’éprendre, en l’absence d’un arsenal juridique approprié tant pour la préservation des intérêts vitaux que pour les intérêts de ses citoyens, les pays africains laissent courir le risque d’une perte de leur souveraineté nationale aux profits des géants du numérique qui eux amassent presque impunément les données utiles à la prise de décision comme à l’époque de la courses aux armements entre les Etats.

Au regard des liens historiques, sociologiques et linguistique entre la France, l’Europe, la Francophonie et le continent Africain, tous coincés entre la stratégie isolationniste américaine et celle de façonner une mondialisation à la chinoise, une alliance basée sur le partage des connaissances, la mutualisation des ressources et des dispositifs, l’harmonisation des outils, permettrait de favoriser et renforcer une utilisation efficiente de la transformation digitale au profit du développement.

ihttps://www.francophonie.org/IMG/pdf/horizon_2020_-_strategie_de_la_francophonie_numerique.pdf

iiCUA/OCDE (2018), Dynamiques du développement en Afrique 2018 : Croissance, emploi et inégalités, Éditions OCDE, Paris/CUA, Addis Ababa, https://doi.org/10.1787/9789264302525-fr

iiihttps://www.francophonie.org/Rapport-francophonie-numerique-2018-49218.html