L’agilité comme fondement de la résilience des organisations

Par Nicolas Sabben, Président du CESED

Alors que de nombreux pays occidentaux ont entrepris des démarches globales en matière de simplification et de modernisation, la France semble encore à la peine dans un contexte contraint au niveau économique et renforcé sur le plan sécuritaire à travers des besoins et menaces qui évoluent, portées par la révolution informationnelle caractéristique de l’ère digitale. On peut s’interroger sur la capacité des organisations à proposer des dispositifs de régulation et de sécurisation efficaces et réactifs.

En conséquence, la mise en œuvre de méthodes agiles apparaît comme une alternative judicieuse mais demeure un phénomène encore nouveau, notamment sa déclinaison dans toutes les fonctions de l’entreprise et pas seulement dans le domaine du développement logiciel.

En outre, s’il est vrai que des innovations sur les techniques de management sont conduites dans différents domaines, il demeure que celles-ci le sont encore souvent au sein d’organisations elles-mêmes ancrées dans un conservatisme structurel révélateur d’une culture encore rigide. Pour permettre la pleine mise en application du concept d’agilité, c’est-à-dire adapter un dispositif en fonction d’un besoin à un instant précis, il est nécessaire que l’organisation elle-même soit agile et embrasser en conséquence les principes qui lui sont associés.

Fondement idéologique de l’agilité

Initialement porté par la volonté de s’affranchir de la notion d’individualisme, les méthodes de management agile s’inscrivent dans une dimension collaborative forte en cohérence avec l’évolution vers l’ouverture de l’espace de travail et l’émergence des réseaux sociaux (Mintzberg, Ahlstrand et Lampel, 2005).

Avec l’avènement de la pensée auto-expérientielle, composante de l’agile, il n’existe plus d’espace de travail mais des espaces de partage, plus de collègues de travail mais des communautés, plus de communication ascendante et descendante mais de la proximité, de l’alternatif et de la transparence.

La survie pour une organisation réside dans sa capacité à faire preuve d’agilité (Alberts, 2011) ou à développer une aptitude à faire face aux changements quelques soient les circonstances.

L’organisation cognitive pour un haut degré de résilience et de fiabilité

Les récentes expériences en entreprises ont démontré les limites des structures hiérarchiques et la faiblesse du fonctionnement majoritaire. Le concept de organized cognition (Weick, 1979) permet de faire le lien entre le modèle structurel d’une organisation et les interactions sociales entre les individus. Le comportement des individus au sein d’une organisation définit la nature de ces interactions sociales et donc le degré de flexibilité de l’organisation considérée. Pour un individu, le fait de comprendre son existence et sa mission au sein d’une organisation est le facteur décisif vers l’organizational reliability (Weick, 1979).

Concilier la maîtrise des comportements des individus et le maintien d’un modèle structurel stable est la clé pour pérenniser l’organisation et parvenir ainsi à un haut degré de résilience et de fiabilité (Hollnagel, Journé & Laroche, 2009).

De nouveaux profils de leaders sont nécessaires, orientés davantage comme des représentants au service de la gestion de l’organisation (Bédard, 2008) et tournés vers plus d’efficience et de satisfaction. Une manœuvre intéressante consiste à associer les facteurs humains avec les facteurs de croissance dans l’explication de la réussite de l’organisation. L’intérêt est de parvenir à prédire ou sélectionner les types de personnalités correspondant aux besoins et à la culture de l’organisation tout autant que de favoriser le travail d’équipe et la productivité (Allport & Odbert, 1936).

Le collective mind, source de performance résiliente (Weick, 1993)

Les nouvelles formes d’organisation, telles que les réseaux ou les structures cognitives nativement, ont une capacité plus importante d’intégrer le collective mind que des structures matricielles plus traditionnelles. Toutefois le prérequis pour l’implémentation du collective mind demeure qu’une attention particulière et équivalente doit être accordée aux processus sociaux et aux principes de micro dynamiques (ou dynamiques des individus) qu’aux indicateurs de structure, de stratégie et de population. Cela met en avant la notion de performance attentive ou de performance résiliente à la différence d’une performance inconsidérée ou d’une performance évaluée dans sa dimension purement économico-productive.

Un autre argument en faveur de l’intégration de la résilience à l’évaluation de l’efficience d’une entité est qu’il est plus aisé de perdre son degré d’attention que d’en faire preuve, et c’est dans ce cadre que le concept de coopération constitue un élément clé du développement du collective mind. En effet, une culture qui encourage l’individualisme et les réactions uniquement à court-terme vont le plus souvent négliger la pratique du degré d’attention et de la représentation et de la subordination, en plus de la contribution.

La confiance créative favorise le développement d’une culture de la résilience

La confiance créative est une manière d’expérimenter le monde qui génère des approches et des solutions novatrices, et en cela le design thinking peut être qualifié de méthode agile dans ses dimensions expérientielle et itérative propre au processus d’idéation et de prototypage du design thinking. Lorsque des individus transcendent les peurs qui bloquent leur énergie créative, toutes sortes de nouvelles possibilités s’offrent à eux. Au lieu d’être paralysés par l’échec, ils considèrent chaque expérience comme une occasion d’apprentissage. Certaines restent au stade de la planification de projet parce qu’ils ont besoin de tout contrôler.

Associer à cette fonction de confiance créative la notion de réflexion créative (Buzan, 1971) permet de structurer les idées et une meilleure appropriation commune de la structure des liens et de la sémantique entre plusieurs concepts sans avoir recours à l’abstraction et l’étendue d’une explication écrite.

Grace à la confiance créative, ils acceptent plus facilement l’incertitude et sont alors capables de passer à l’action (Weick, 1993). Plutôt que de se résigner au statu quo, ils se sentent libres d’exprimer ce qu’ils pensent et de remettre en question la manière dont les choses sont faites. Ils sont plus courageux et plus persévérants face aux obstacles.

Bibliographie

Alberts, 2011. « The agility advantage : a survival guide for complex enterprises and endeavors », Center for Advanced Concepts and Technologies.

Allport & Odbert, 1936. « Trait-Names : A psycho-lexical Study ». Harvard Psychological Laboratory. Psychological Review Company.

Bédard, 2008. « Quel est mon type de leadership ? ». Revue Gestion 2008/3 (Vol. 33), pages 68 à 73.

Buzan, 1971. « An Encyclopedia of the Brain and Its Use ».

Hollnagel, Journé et Laroche 2009. « Fiabilité et résilience comme dimensions de la performance organisationnelle », 12(4), 224-229.

Kelley, 2014. « La confiance créative, tous innovateurs avec le design thinking ».

Mintzberg, Ahlstrand et Lampel, 2005. « Safari en pays stratégie ».

Weick, 1979. « The social psychology of organizing », Addison-Wesley.

Weick, 1993. « Collective mind in organizations: Heedful interrelating on flight decks », Administrative Science, Quarterly, vol 38, pp. 357-38.