Les groupes extrémistes de Daesh ont laissé derrière eux, les traces indélébiles d’une guerre. Aux traumatismes physiques et psychologiques des populations, s’ajoute la destruction du patrimoine, de leur histoire, de leur identité.
Crime contre la culture
Détruire un monument revient à faire disparaître une partie de l’identité des peuples. C’est pourquoi Irina Bokova, Directrice générale de l’UNESCO de 2009 à 2017, a qualifié les destructions d’oeuvres d’art de « crime contre la culture ».
Dès 2014, Daesh procède à la destruction organisée et au vol d’objets appartenant au patrimoine culturel des territoires qu’il contrôle alors en Irak, en Syrie et en Libye. L’organisation terroriste a notamment ciblé des sites religieux (mosquées, sanctuaires, églises) ainsi que des sites archéologiques et antiques. Des destructions réalisées à l’aide d’engins explosifs, à la masse ou au bulldozer…
Les œuvres et objets d’art dérobés sont généralement conservés pour être revendus au profit de l’organisation terroriste dont on sait que les revenus générés par le trafic des antiquités volées en Irak et en Syrie, sont une source-clé de financement.
Les sites archéologiques de Palmyre, Ninive et Hatra, ainsi que les villes de Mossoul et de Racca, sont alors les principales cibles des destructions orchestrées par l’unité spéciale de Daesh (la Kata’ib Taswiya) chargée de la destruction du patrimoine culturel.
Tragédie culturelle et sécurité
Dès 2015, face au désastre qui agite toute la communauté internationale, Irina Bokova lance une réunion de crise du conseil de Sécurité des Nations unies après les destructions par les djihadistes de Daesh de sculptures pré-islamiques au musée de Mossoul dans le nord de l’Irak. « Bien plus qu’une tragédie culturelle, c’est également une question de sécurité parce qu’elle alimente le sectarisme, l’extrémisme violent et le conflit en Irak. » avait elle dénoncé dans un communiqué après la diffusion d’une vidéo mise en ligne par Daesh et d’ajouter « la protection du patrimoine irakien est un élément faisant partie intégrante de la sécurité du pays ».
En mars 2015, c’est aux côtés de l’ancien Président de la République Française, François Hollande et sa ministre de la culture, qu’Irina Bokova se rend au département des antiquités orientales du musée du Louvre à Paris pour la sauvegarde du patrimoine culturel mis en danger par Daesh.
La coopération de la France
Des actions sont alors annoncées par François Hollande. Des actions placées sous le sceau de la coopération. Une mission d’expertise pilotée par le Louvre à Bagdad est demandée pour évaluer les moyens nécessaires à la préservation des trésors qui y sont conservés. Sont également présenté des actions sur le plan de la coopération scientifique, du financement de plusieurs missions archéologiques dans le Kurdistan irakien par la France ou encore de l’accueil de doctorants irakiens. Avec l’Unesco, la France travaille également à recenser les objets archéologiques présents en Irak. Une liste rouge d’urgence des antiquités irakiennes parue en 2003 est alors mise à jour et publiée afin que les services des douanes puissent renforcer leurs moyens de contrôle et ainsi renforcer la lutte contre le trafic de trésors archéologiques qui finance le terrorisme.
Héritage et Civilisation
Dès 2016, c’est une autre femme qui s’engage en faveur de la protection du patrimoine sur les terres irakiennes et syriennes où tout est à reconstruire.
Lara-Scarlett Gervais, Présidente d’Héritage et Civilisation, sillonnera pendant plus de six mois la Syrie, l’Irak, le Kurdistan irakien (Bagdad, Homs, Damas, Tartous, Mar Mussa, Qaraqosh, Palmyre, etc.), immergée dans un milieu inconnu pour celle qui a suivi des études en archéologie à la Sorbonne et à l’Ecole du Louvre, celui de la guerre. Au contact des populations locales avec qui elle a vécu, aussi bien des sunnites, des chiites, des ismaéliens, des kurdes, des chrétiens, des alaouites, des yezidis, etc. elle se passionne pour l’ethnologie et la photographie.
Une passion qu’elle partage aujourd’hui dans le monde entier pour sensibiliser le grand public aux dangers auxquels se trouve exposé le patrimoine culturel mondial. « Héritage et Civilisation contribue également à restaurer et reconstruire les sites et édifices en péril appartenant au patrimoine culturel mondial, à la demande communautés et autorités locales. » explique Lara-Scarlett Gervais.
Incompréhension
Lara-Scarlett Gervais explore dans son travail de photographe, les thèmes de la solitude de la mémoire, de l’oubli. Elle nous interroge sur la réappropriation du patrimoine par les populations, sur les difficultés d’exister dans les décombres de la guerre. C’est une sensation de vide profond, d’abandon qui règne dans ces scènes de chaos immortalisées. On peut alors ressentir l’incompréhension face à un tel acharnement… « Face aux dégâts commis par Daesh, c’est en effet beaucoup d’incompréhension ressentie… Se retrouver devant un tas de cendres de livres brûlés est un souvenir très violent. » témoigne Lara-Scarlett Gervais.
ÂLATHAR, Seul(e) après Daesh, son exposition qui connait un succès international, est
donc consacrée à la thématique de la destruction et de la reconstruction, montrant des images fortes de l’évacuation des œuvres du Musée de Palmyre ou encore des destructions du site de Nimroud. « A travers ces photos, je montre les ravages destructeurs opérés par les troupes de Daesh mais je rends aussi hommage à ceux qui oeuvrent pour la reconstruction. Notamment les archéologues syriens venus faire l’inventaire et récupérer ce qu’il restait dans le musée de la cité antique de Palmyre. Un travail de fourmi dans le dénuement le plus complet. » souligne t-elle et d’ajouter « Ces photos montrent ainsi tout le travail et les efforts courageux, quotidiens des Syriens et des Irakiens qui refusent de voir leur passé pillé, leur héritage oublié, et leur futur nié. »
L’envie d’agir
Au travers d’Héritage et Civilisation, l’objectif est de mettre l’expertise française au service de la sauvegarde du patrimoine culturel mondial. Ses équipes de spécialistes, composées de chercheurs, d’archéologues, de techniciens, d’architectes, d’artisans prennent en charge la formation de professionnels locaux afin d’assurer la pérennisation de ces savoirs et de favoriser l’instauration d’une dynamique de dialogue interculturel durable.
Car il s’agit là d’un besoin majeur : former les Irakiens et les syriens aux techniques de restauration. Autre enjeu, celui de l’éducation des populations, l’envoi de matériaux anciens pour procéder aux reconstructions, l’envoi d’experts et de fonds internationaux pour conduire des projets d’envergure. C’est notamment l’objet de l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (ALIPH) basée à Genève. En 2018, l’Institut français de recherche à l’étranger (IFRE) a conduit plusieurs opérations de numérisation et de conservation sur des sites irakiens, dans le cadre du fonds de l’ALIPH.
L’association qui entend transmettre le patrimoine de manière vivante et pédagogique s’implique dans le programme éducatif ODYSSEE, dans le but d’éduquer les jeunes générations à connaître et apprécier leur patrimoine culturel et naturel leur permettant ainsi de porter un nouveau regard ouvert et positif sur la globalité de leur environnement socio-culturel.
Elle porte aussi le projet Renaissance en faveur de la Revitalisation de l’identité culturelle de la ville de Mossoul.
Une dimension humaine essentielle
« Nous souhaitons au travers d’Heritage & Civilisation créer un pont culturel entre le Moyen-Orient et l’Occident. Le dialogue des cultures permettra la construction d’un monde plus serein, un enjeu majeur pour les peuples. » souligne Lara-Scarlett Gervais. La dimension humaine de la préservation du patrimoine est essentielle. Le patrimoine, fruit d’une histoire collective, est un facteur de cohésion sociale. La restauration des monuments accompagne la reconstruction du lien entre les populations. « En recentrant les populations sur ce qu’elles partagent comme histoire et traditions artistiques, il sera possible de trouver un chemin de pacification pour les pays en conflit. » ajoute cette aventurière idéaliste des temps moderne.
Irremplaçable, fragile, le patrimoine culturel est le garant de l’identité et de la mémoire des peuples. Sa sauvegarde est l’un des éléments cruciaux inhérents au processus de pacification et de reconstruction d’une société en sortie de conflit. « Je suis intimement persuadée que le patrimoine peut constituer le fondement de la paix si les acteurs internationaux lui laissent jouer son rôle de médiateur. Le patrimoine doit rassembler les populations. Ce sera un élément de paix dans l’avenir. Nous pouvons faire de la diplomatie avec la culture. » conclut Lara-Scarlett Gervais.
Encadré
ÂLATHAR, Seul(e) après Daesh, est une exposition soutenue par les Nations Unies et le bureau de liaison UNESCO Genève.
Mairie du 7ème arrondissement de Paris du 4 au 19 avril
Porte des Allemands à Metz du 30 avril au 10 juin 2019
Mairie du 4ème Arrondissement de Paris juin 2019
Partenariat avec Sciences Po Mars 2019