Les technologies innovantes et de rupture dans la protection des biens culturels et œuvres d’art

ŒOeuvres d'art

Les biens culturels et les œuvres d’art sont des éléments fondamentaux de la civilisation et de la culture des peuples. Leur valeur réelle ne peut être établie que si leur origine, leur histoire et leur environnement sont déterminés avec précision. Aujourd’hui, le pillage et la destruction des antiquités sont au cœur des actions terroristes menées dans les zones de conflit comme l’Irak et la Syrie. Face à ces menaces portées au patrimoine, les États et notamment la France adaptent et renforcent leur politique de lutte contre le trafic illicite d’œuvres d’art et de biens culturels. Parallèlement, de nouvelles solutions innovantes se développent pour tenter de mettre un frein à ce fléau.

Le marché des œuvres d’art volées représente le troisième plus grand trafic mondial, après celui des stupéfiants et des armes. « L’étendue du trafic illicite de biens culturels et d’œuvres d’art est difficile à mesurer car d’une part, le vol n’est pas découvert avant que les objets volés ne fassent leur apparition sur le marché officiel, d’autre part, les États communiquent très peu sur cette forme de criminalité. Toutefois, les vols sont de plus en plus importants. Paris, qui figure parmi les principales places du marché de l’art international, est une zone d’écoulement d’œuvres provenant des zones de conflit. La recrudescence des modes de vente, plus particulièrement les vide-greniers et les ventes en ligne, ainsi que l’important volume de transactions facilitent le blanchiment des œuvres d’art. La trace de la source frauduleuse est rapidement perdue », affirme Laure Chevalier, Historienne d’art, Expert technique et scientifique des arts de l’Europe et Méditerranée, entrepreneur et enseignante universitaire. Le point sur les principales solutions innovantes dans la protection des biens culturels et œuvres d’art.

Des plateformes et projets collaboratifs

Aujourd’hui, l’engagement d’un dialogue entre les professionnels du patrimoine culturel et les forces de l’ordre est nécessaire pour lutter contre le trafic illicite de biens culturels et d’œuvres d’art. En France, le programme « POLAR » propose de partager les connaissances des professions confrontées au pillage et au trafic de biens culturels notamment dans les zones de conflit. Le projet POLAR est porté par des laboratoires de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux, le centre de recherche de l’École nationale supérieure de la Police (ENSP) et l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC). C’est l’un des 53 projets « Attentats Recherche » soutenus par le CNRS. « Ce projet auquel j’ai participé a pris beaucoup d’importance puisqu’il a donné naissance, le 1er janvier 2019, au programme collaboratif européen « NETCHER » financé par Horizon 2020 dont la première réunion s’est tenue en janvier », précise Laure Chevalier.

À l’échelle internationale, un projet conjoint Union européenne – UNESCO intitulé « Engager le marché européen de l’art dans la lutte contre le trafic illicite des biens culturels »a été lancé afin de sensibiliser les parties concernées aux différentes implications de ce trafic illicite concernant le financement du terrorisme, le crime organisé et le blanchiment d’argent. Il comporte deux éléments centraux : une conférence de renforcement des capacités et une plateforme en ligne de mise en commun des connaissances.

Une sensibilisation de tous les acteurs

De nombreux acteurs sont impliqués dans la protection du patrimoine mais leurs missions sont loin d’être aisées tant la criminalité évolue dans le domaine. Ceux-ci agissent en matière de prévention et de répression, à l’échelle nationale comme internationale. Les actions menées par l’UNESCO, l’International Council of Museums et les Ministères de la Culture sont principalement normatives. Celles d’INTERPOL, d’EUROPOL et de l’Organisation mondiale des douanes (OMD) s’inscrivent dans une phase répressive en ciblant des atteintes spécifiques et en recherchant les auteurs des infractions. Leurs actions comportent également un certain nombre de mesures préventives comme la mise en place de la base de données des biens culturels volés d’INTERPOL ou encore la publication de listes de patrimoine mondial protégé par l’UNESCO. Les différents acteurs nationaux et internationaux jouent un rôle essentiel pour la protection des biens culturels. Parmi eux, il ne faut pas oublier les touristes, les acheteurs occasionnels et les autres acquéreurs qui doivent être mieux informés en raison de leur manque d’expérience dans l’achat d’œuvres d’art et d’antiquités et de leur méconnaissance de la loi.

« Les grands acteurs du marché de l’art semblent avoir pris conscience de l’importance de la lutte contre ce trafic. Ils fournissent désormais un plus grand nombre d’éléments de preuve comme les certificats d’authenticité anciens ou encore des bons d’achat. Les grandes maisons de vente s’impliquent davantage. Christie’s a par exemple créé un poste dédié à l’imagerie scientifique et à la recherche de provenance. Les autorités policières sont de plus en plus mobilisées. Une première ébauche de modules de formation notamment destinée aux forces de l’ordre et de sécurité mais aussi aux professionnels des musées a été développée par l’UNESCO dans le cadre de son mandat », indique Laure Chevalier.

Une base de données internationale

Pour les officiers de police et les douanes, le registre informatique des biens culturels volés a une importance capitale compte tenu des nombreux moyens permettant une circulation rapide des informations. En effet, il suffit de quelques heures à un objet volé pour passer d’un pays à un autre.

L’Organisation Mondiale des Douanes (OMD) encourage une coopération et des partenariats efficaces avec les autres organisations internationales et les organismes de lutte contre la fraude tels que le Conseil international des musées (ICOM), l’UNESCO et INTERPOL. « La création d’une base de données internationale baptisée ARCHEO et gérée par l’OMD représente un exemple de ces efforts de coopération. Cette application du CENcomm et outil de communication en temps réel permet l’échange d’informations entre les administrations des douanes, les services de prévention et de répression, les autorités nationales compétentes, les organisations internationales, experts d’universités et d’organisations non gouvernementales (ONG) pour lutter contre le trafic de biens culturels. Il existe de nombreuses autres bases de données dont certaines sont privées mais qui posent le problème de la transparence, notamment sur les questions de la provenance des œuvres. Cette base de données internationale mise en place par la Douane devrait donc s’avérer efficiente », poursuit Laure Chevalier.

La Blockchain, pour favoriser la transparence des transactions

La Blockchain, système informatique qui historise et sécurise des transactions peer-to-peer via une base de données publique ou privée, partagée et anonyme, peut être appliquée au marché de l’art. Cette technologie pourrait effectivement donner de manière infalsifiable des informations sur la provenance d’une œuvre, ses propriétaires et différents prix d’achat. Si l’authenticité et la traçabilité sont garanties une fois l’œuvre enregistrée dans la Blockchain, il faut impérativement que cet enregistrement soit préalablement certifié et expertisé. Pour l’instant, seules quelques startups se sont lancées sur le marché. « La Blockchain peut convenir pour s’assurer de la transparence des transactions. Mais la plupart des maisons de vente multiplient les ventes directes privées de gré à gré. À l’avenir, il pourrait y avoir un marché visible soumis à la Blockchain, et un second marché plus gris qui ne sera pas répertorié de la même manière ni soumis aux mêmes règles de transparence. La Blockchain peut également être utile pour les certifications particulières car elle laisse une trace pérenne », ajoute Laure Chevalier.

De nouvelles règles relatives aux certificats d’exportation

Prise en application de la loi du 7 juillet 2016, l’ordonnance du 5 juillet 2017 réforme de nombreuses dispositions relatives à la circulation des biens culturels. Elle précise et élargit les motifs d’irrecevabilité des demandes de certificats d’exportation pour des biens culturels. L’instruction de la demande peut notamment être suspendue « s’il existe des présomptions graves et concordantes que le bien appartient au domaine public, a été illicitement importé, constitue une contrefaçon ou provient d’un autre crime ou délit », précise le texte. Celui-ci impose alors à l’autorité administrative d’informer le demandeur de la procédure de suspension et de lui demander les justificatifs nécessaires permettant de renverser ses présomptions. Qu’il soit possédé au terme d’un vol ou d’un recel, le bien culturel ne pourra plus circuler aussi facilement qu’auparavant.

« Le principal problème reste l’absence d’harmonisation des législations européennes relatives au recel des œuvres d’art. En effet, en Belgique, la législation est plus souple qu’en France. De même, le droit de propriété diffère selon les pays. Il n’y a pas non plus d’harmonisation des procédures d’exportation. Seules les autorités nationales compétentes désignées peuvent délivrer des certificats d’exportation et permettre le mouvement des biens culturels. L’UNESCO milite en faveur de cette harmonisation avec l’utilisation de l’anglais. Mais dans certains pays, ces certificats sont les mêmes pour n’importe quel produit manufacturé », affirme l’experte.

Un diagnostic physique reste indispensable

« Les réseaux criminels sont extrêmement structurés car ils viennent souvent se greffer sur des réseaux déjà existants de vente d’armes ou de drogue. Ils supposent des personnes qui connaissent parfaitement le terrain et toute une organisation avec un cercle de passeurs. Il y a toujours un temps de décalage de plusieurs années entre les pratiques employées par ces réseaux et les méthodes de lutte contre cette forme de criminalité. Les technologies utilisées sont souvent obsolètes et leur efficacité moindre. De plus en plus d’objets sont maquillés, toute la preuve reposant sur les photographies. Même si celles-ci représentent le principal outil utilisé à l’heure actuelle en raison de l’important volume d’œuvres à contrôler, elles sont trompeuses, notamment lorsqu’elles sont mal éclairées. L’imagerie scientifique est donc indispensable », conclut Laure Chevalier.

Le trafic de biens culturels et d’œuvres d’art est un phénomène persistant responsable de la dispersion du patrimoine culturel de nombreux pays. La communauté mondiale, par le biais de ces solutions innovantes et les techniques d’expertise physiques déjà existantes s’organise pour lutter efficacement contre cette forme de criminalité en perpétuelle évolution. Toutefois, un des obstacles pour réussir ce combat est le manque de statistiques précises. Cette limite montre la nécessité pour la Communauté internationale de coopérer et dresser un bilan exact des activités entreprises.