L’innovation dans la défense, une mission collaborative entre industries, secteur public, startups et société civile

Par Lola BRETON

L’Agence de l’Innovation de Défense en est un acteur central depuis sa création en septembre 2018. L’innovation inonde aujourd’hui les rangs et les bureaux du ministère des Armées, sous l’impulsion de Florence Parly. « La défense est en effervescence », assure-t-elle. C’est bien pour faire vivre ce bouillonnement que la Chaire Economie de défense a organisé, le 20 mars 2019, sa conférence annuelle autour des questions de « recherche, innovation et défense ». L’objectif, réunir dans une même salle de l’Assemblée Nationale les acteurs de l’innovation dans la défense pour y échanger sur le futur des armes et du secteur armé français.

La nécessité de collaborer pour mieux innover

Un constat, partagé par le secteur public et la branche privée, s’impose : la collaboration est indispensable pour innover. Emmanuel Chiva, directeur de l’Agence de l’Innovation de Défense souhaiterait dépasser « l’émergence d’un culte, d’une religion de l’innovation avec des gourous et un novlangue qui divise au lieu de fédérer ». Pour cela, il faudrait s’appuyer sur les startups, bien sûr, mais pas seulement. L’innovation dans la défense permet de revoir la dualité intrinsèque au secteur. Or, pour faire vivre les bonnes idées, il faut pouvoir les détecter et créer des passerelles entre acteurs publics et industriels. Pour l’IGA François Mestre, chef du service Affaires Industrielles et de l’Intelligence Economique à la DGA, l’innovation est l’ADN de la DGA, mais c’est toute la base industrielle et technologique de défense (BITD) qui compte pour faire vivre l’écosystème de défense français, « orienter et susciter l’innovation ». Surtout, ne pas négliger non plus les apports de l’innovation civile, qu’il faut savoir détecter et transposer. Éric Papin, Directeur technique et de l’innovation de Naval Group voit d’ailleurs l’industrie comme « une traductrice qui permet de convertir ce que propose l’écosystème en valeur ajoutée militaire ».

Cette valeur ajoutée, la France ne peut pas la chercher seule. L’innovation dans la défense se conçoit aujourd’hui dans une dynamique européenne. Pour endiguer la fuite des startups innovantes et prospères vers les Etats-Unis, l’Union européenne dispose déjà de plusieurs instruments censés cultiver l’innovation. Le Fonds Européen de la Défense constitue sa nouvelle ambition pour la recherche et le développement. La Commission européenne espère qu’il aura un effet de levier pour favoriser l’innovation.

Renouveler le financement des innovations de défense

C’est bien là une question centrale du renouvellement des technologies de défense : leur financement. Les fonds existent. Ils semblent insuffisants. Là encore, la coopération entre acteurs est nécessaire. Les financements européens – bientôt agrémentés du système ESCALAR (European Scale-Up Action for Risk Capital) qui permettra aux investisseurs d’injecter plus d’argent dans les entreprises en expansion – côtoient les dispositifs français comme le Definvest, et les incubateurs de startups. François Chopard, fondateur et Directeur général de Starbust, incubateur et accélérateur de startups de défense, veut « identifier les pépites » qui ont une technologie à apporter aux grands groupes. Encore faudrait-il s’accorder sur ce que sont les startups de défense. Financements provenant d’acteurs de la défense ou technologies à usage militaire exclusivement ; à l’heure où l’innovation civile s’empare massivement des nouvelles technologies utilisées dans l’industrie de la défense – l’IA notamment – la question reste entière.

Un changement de culture s’impose dans les ressources humaines

Enfin, l’innovation ne pourra être portée par les acteurs multiples de la défense, que si les ressources humaines suivent. Les industriels constatent depuis quelques années la nécessité pour les entreprises de valoriser la prise de risques chez les employés. En France, un changement de culture est donc à mettre en marche pour maîtriser les risques, et non plus les éviter. François Mestre considère que « l’une des grandes réformes à faire, c’est d’accepter l’échec ». Une idée partagée par la plupart des acteurs du secteur, l’Union européenne mise à part. Pour Pierre Delseaux – directeur général adjoint au marché intérieur, à l’industrie, entrepreneuriat et PME de l’Union – « l’échec n’est pas une solution ». Il faut dire que pour rivaliser avec l’innovation américaine et contre les technologies chinoises, l’Europe doit redoubler d’efforts. Pour cela, une place plus importante est peut-être à donner à la recherche académique, à l’image de François-Xavier Meunier, lauréat du Prix économie de défense 2019 pour sa thèse portant sur l’innovation technologique duale.