Conception, simulation, surveillance, optimisation, planification, maintenance prédictive, représentation 3D d’un objet physique… le chemin des possibles ouvert par les jumeaux numériques – autrement dit la représentation virtuelle d’un objet ou d’un système couvrant son cycle de vie grâce à l’exploitation des données collectées en temps réel sur celui-ci – est prometteur. Zoom sur une technologie encore très innovante.
Par Sarah Pineau
Quelques clés de compréhension
L’histoire des jumeaux numériques, « digital twins » en anglais, a des origines plus anciennes que ne le laisse croire sa récurrence dans la littérature scientifique et les entreprises qui, elle, remonte seulement aux années 2000. En réalité, le point de départ des jumeaux numériques se situe dans les années 1960 : bien que la technologie ne permette pas encore la représentation numérique d’un objet ou d’un système physique, le concept est bel et bien présent dans les travaux de la NASA ; outre faire avancer les travaux de programmation spatiale, il sauve l’équipage de la mission Apollo 13 grâce à la représentation physique de la navette et de ses composants sur laquelle sont joués les scénarios envisagés. Déjà, l’histoire était prometteuse.
Les technologies appliquées aux jumeaux numériques sont aujourd’hui bien plus avancées : elles intègrent l’intelligence artificielle, l’apprentissage automatique, l’analyse des données… L’objectif ? Créer des modèles de simulation numérique qui se mettent à jour et changent à mesure que les contreparties de l’objet physique qu’elles dupliquent évoluent.
Une technologie aux multiples avantages
Le recours aux jumeaux numériques permet, en premier lieu, l’optimisation des procédés industriels. Avant, une entreprise créait physiquement un objet pour lui faire subir un ensemble de tests, y apporter des modifications, etc. Avec le jumeau numérique qui associe vision en continu d’un objet et indicateurs de contrôle de la performance, la création physique n’est plus nécessaire. Les industriels peuvent détecter les faiblesses à venir et gérer au mieux les coûts de maintenabilité tout en améliorant, en permanence, la performance de leurs systèmes. Une étude1 réalisée par Capgemini en mai dernier montre ainsi qu’en moyenne, les organisations utilisant les jumeaux numériques ont vu une amélioration de 15% de leurs métriques commerciales et opérationnelles et une amélioration de plus de 25% des performances de leur système.
L’utilisation des jumeaux numériques s’avère également très utile dans le domaine de la santé : elle permet d’expérimenter des traitements avant leur administration au patient réel, de simuler des opérations délicates, d’améliorer la qualité des dispositifs médicaux (prothèses…), ou encore d’évaluer l’efficacité d’une molécule sur l’organisme. Comme l’explique la start-up française Exactcure qui utilise cette technologie « notre jumeau numérique simule l’efficacité et les interactions des médicaments dans l’organisme du patient en fonction de ses caractéristiques personnelles telles que l’âge et le sexe, son état hépatique et son génotype, s’il est fumeur ou non ou tout autre paramètre individuel ayant une influence avérée sur un médicament spécifique. Nous aidons le patient à éviter les sous-doses, les surdoses et les interactions médicamenteuses ».
Par ailleurs, en matière décisionnelle, l’accès à une représentation numérique partagée intégrant les idées de chacun et modélisant ce qui résulterait de leur facilite un consensus construit sur la base de données objectives, mesurées et mesurables. L’Institut de recherche technologique (IRT) SystemX, créé en 2012 dans le cadre des investissements d’aveniret dédié à l’ingénierie numérique des systèmes ne dit pas autre chose : le recours aux jumeaux numériques permet de « concilier les intérêts concurrents en créant de la valeur pour toutes les parties prenantes ». Chargé de coordonner des projets de recherche partenariale, réunissant académiques et industriels dans une perspective multidisciplinaire et inter-filière, l’IRT s’appuie sur les jumeaux numériques pour accélérer simultanément et harmonieusement la transformation numérique des industries, services et territoires. Le projet Decarbonized City qui réunit les compétences et expertises de l’agglomération Paris-Saclay, de l’IRT et de Cosmo Tech, leader mondial des jumeaux numériques, en est un bel exemple. Concrètement, les 27 communes qui composent l’agglomération de Paris-Saclay ont été répliquées virtuellement à partir des données réelles : configuration du territoire, données cadastrales, bâtiments, réseaux énergétiques… « A partir des données disponibles, nous avons modélisé le territoire et simulé des scénarios pour aider la prise de décision autour de futurs projets d’aménagements et déterminer par la même occasion, leurs conséquences écologique et économique » indique l’IRT SystemX. Les élus peuvent ainsi mesurer l’impact énergétique exact des futurs projets d’aménagement du territoire et opérer les choix les plus pertinents. L’une des simulations a par exemple permis de déterminer qu’une commune pourrait réduire de 75 % les émissions de CO2 d’un quartier sur 20 ans en privilégiant la géothermie par rapport aux énergies fossiles, tout en préservant un tarif de l’énergie attractif. « Seul le jumeau numérique simulable est en mesure d’apporter aux décideurs politiques autant de visibilité sur l’avenir » note Cosmo Tech.
Construire demain
Tant d’atouts dans des domaines d’application aussi variés expliquent la multiplicité des projets portés par l’IRT SystemX, désormais intégré à France 2030 : création de la chaire Anthropolis (2015) autour des défis de la mobilité urbaine de demain, création de l’initiative BART (Blockchain Advanced Research & Technologies 2018), plus important collectif de recherche académique dédié à la blockchain en France ; rayonnement international de la plateforme MOSAR (Méthode et Outils pour l’évaluation de la Sûreté de fonctionnement et l’Analyse de la Robustesse des véhicules Autonomes), dédiée à la validation de la sécurité du véhicule autonome ; pilotage du programme Confiance.ai, plus gros programme de recherche technologique du plan AIForHumanity, lancé en 2021 qui vise à concevoir et industrialiser des systèmes critiques à base d’intelligence artificielle de confiance, lancement de la chaire CRITiCal avec l’Ecole polytechnique de Montréal sur la cyber-résilience des infrastructures, des systèmes de transport et des chaînes logistiques… Depuis sa création en 2012, l’IRT a lancé pas moins de 62 projets de recherche impliquant plus de 100 partenaires industriels et 55 laboratoires académiques principalement autour de 4 thématiques : Mobilité et Transport autonome, Industrie du futur, Défense et Sécurité, Environnement et Développement durable.
A l’heure où les problématiques environnementales constituent autant un défi qu’un enjeu, les jumeaux numériques ont une carte supplémentaire à jouer sur ce dernier item. Une étude2 menée par Dassault Systèmes et Accenture en 2021 a démontré que 7,5 gigatonnes d’émissions de CO² pourraient être évitées en seulement cinq cas d’usage : la construction et les villes, les produits de grande consommation de la distribution, les transports et la mobilité, la santé et l’électronique grand public.
Le chemin est balisé, suivons-le !
1Capgemini « Jumeaux numériques : ajouter de l’intelligence au monde réel », mai 2022, [Disponible], [URL : https://www.capgemini.com/fr-fr/etudes/jumeaux-numeriques/]
2Accenture et Dassault Systèmes, « The critical roleof virtual twins in accelerating sustainability », 2021, [Disponible] [URL : https://www.3ds.com/sites/default/files/2021-01/dassault-systemes-and-accenture-virtual-twin-and-sustainability.pdf]