Le futur de la guerre électronique se dessine à l’est

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Champ de conflictualité longtemps négligé, les opérations de brouillage des ondes et de modification du spectre électromagnétique sont aujourd’hui au cœur des enjeux de la guerre en Ukraine où la guerre électronique règne en maître. Pour faire face, les industriels européens se mettent en ordre de bataille pour développer des innovations toujours plus performantes.

Par Diane Cassain

La guerre en Ukraine : un laboratoire à ciel ouvert

En matière de guerre électronique, le conflit russo-ukrainien reste un cas d’école.Dès le début des hostilités, la doctrine russe dans le domaine a été adaptée. Placés à 7 km du front et tous les 20 km, les capteurs russes sont aujourd’hui utilisés pour détecter les ondes de communication adverses, intercepter le contenu des messages, brouiller des réceptions, encombrer des capteurs et dissimuler des cibles. Le résultat est sans appel : sur le front ukrainien, 70 % des drones sont neutralisés grâce aux capacités de guerre électronique.1 Des usages dont Moscou est fier. Le Kremlin investit depuis quinze ans dans le domaine. Grâce au Tobol, un capteur identifiant les ondes émises depuis le sol qui rebondissent sur la troposphère et entraînent une saturation des récepteurs, les soldats russes ont ainsi tenté de priver les Ukrainiens des informations émises par les satellites de Starlink. L’opération fut un échec. L’entreprise américaine a mis à jour son logiciel et empêché l’attaque. Pour autant, les capacités russes font aujourd’hui leurs preuves sur le champ de bataille. Le brouillage des signaux GPS empêche les Ukrainiens d’être totalement précis car les obus Excalibur, fournis par les alliés utilisent le système de positionnement par GPS pour frapper leurs cibles. Les kits de guidage américains JDAM-ER ont, eux aussi, été brouillés et leur ciblage perturbé. Ce qui n’était pas gagné, puisqu’au début de la guerre le Kremlin n’avait pas réussi à exploiter ses capacités. « Une guerre de mouvement offensive n’était pas adaptée à lutilisation de moyens de brouillage »2 explique Yves Pagot, chargé de mission au Centre interdisciplinaire d’études pour la défense, et expert du domaine électromagnétique. Plus de deux ans après le début de la guerre, l’heure est aujourd’hui à la défensive.

La menace plane à lest

Cela fait plusieurs mois que la géolocalisation par satellite est perturbée dans la région de la Baltique. Il y a quelques semaines à peine, les brouillages GPS affectaient les avions civils, entraînant l’arrêt, fin avril, pour un mois, des vols opérés par la compagnie finlandaise Finnair entre Helsinki et l’aéroport estonien de Tartu, situé à 50 kilomètres de la frontière russe de la compagnie finlandaise Finnair. « Nous ne savons vraiment pas sils [les Russes] veulent tenter quelque chose ou simplement sentraîner et tester leur équipement. […] Mais personne ne devrait se comporter de la sorte, surtout lorsque vous êtes en guerre avec un pays voisin »3 soutenait le général Martin Harem, le commandant des forces de défense estoniennes. Maintenant que tous les Etats qui bordent la mer Baltique font partie de l’OTAN, le moindre faux pas en matière de démonstration de force, notamment de guerre électronique, de la part des Russes pourrait bien mettre le feu aux poudres. Un avis qui n’est pas partagé de tous. Certains spécialistes, dont Nico Lange, un chercheur allemand, soupçonnent que les capacités de guerre électronique de l’OTAN ne soient, en réalité, pas aussi bonnes que celles de la Russie. Quand bien même le seraient elles, ce dernier pense que les Américains pourraient être réticents à montrer leurs capacités technologiques au Kremlin, leur donnant accès des informations précieuses sur les fréquences ou encore les techniques de saut de canal utilisées…4

Linnovation au coeur de la guerre électronique

L’adhésion de la Suède à l’OTAN a quelque peu changé la donne en matière de guerre électronique, notamment au vu du niveau de tension entre les Etats de la région et la Russie. L’innovation s’invite donc à la table des décideurs qui doivent pouvoir s’assurer de prendre l’ascendant sur l’adversaire potentiel et s’appuyer sur des technologies innovantes et performantes. « Ceux qui peuvent collecter discrètement autant de données que possible et les classer ou les analyser en très peu de temps auront une longueur d’avance sur l’ennemi » soutient Mathew Willmot, directeur des ventes pour Sirius Compact au sein de l’entreprise de défense suédoise Saab. Fort de sa longue expertise dans le domaine de la guerre électronique, l’industriel ne cesse d’innover en la matière. Dernière en date : le Sirius Compact, un capteur passif de surveillance. Il n’émet pas de signaux propres, mais peut détecter des émissions électromagnétiques en assurant une couverture instantanée à 360° des émissions des radars et des liaisons de données dans la gamme de fréquences 1-18 GHz. Autre avantage : Sirius Compact peut fonctionner sans connexion réseau. La plateforme (typiquement un drone ou une autre plateforme sans pilote) sur laquelle le capteur est intégré permet de collecter des informations sur les émetteurs sans risques d’être détecté, le capteur stocke temporairement les données et ces signaux seront analysés et classifiés selon une bibliothèque de menaces appartenant aux forces armées. « Même si la donnée recueillie par le capteur est découverte, cette dernière sera inutilisable sans le logiciel adapté et la bibliothèque de menace associés. » précise l’industriel. Pouvant être intégré à de nombreux équipements dont des drones, des véhicules, des navires militaires et civils, Sirius Compact peut également être déployé en version portable pour les soldats. « Sa capacité à fournir une alerte précoce soutient la défense aérienne au sol et intervient en complément de systèmes militaires plus complexes. Dans le cadre des opérations de mesures de soutien électronique en coopération, les informations obtenues peuvent être partagées au profit de tous les partenaires dune coalition. » ajoute Mathew Willmot. Last but not least, il est particulièrement simple d’utilisation. Nullement besoin donc d’être un spécialiste de la guerre électronique pour l’utiliser. « L’évolution vers des systèmes portables dont l’utilisation est intuitive et qui ne nécessitent pas des années de formation spécialisée est une réponse au besoin de capacités mobiles et flexibles de collecte de renseignements en temps réel et de nouvelles possibilités en matière de guerre électronique tactique », confirme Matthew Willmot.

Guerre électronique et IA

Airbus, pour sa part, vient de passer commande pour équiper 15 Eurofighter du système Arexis, un système de guerre électronique également développé par l’industriel suédois. « Combinant du matériel de pointe et des logiciels basés sur l’IA, notre suite de capteurs Arexis renforcera la défense allemande grâce à une capacité de guerre électronique à l’épreuve du temps pour les décennies à venir » explique Micael Johansson, PDG de Saab. Des innovations à l’écoute des besoins des forces européennes déployées sur le terrain qui trouvent déjà leur marché notamment du côté de l’Allemagne. Les coopérations à l’œuvre avec les industriels européens renforcent la posture de la construction d’une industrie de défense européenne appelée des vœux de la Commission européenne. Un signal positif dans un contexte géopolitique tendu.

1https://www.francetvinfo.fr/internet/drones/reportage-ca-tient-dans-la-poche-des-soldats-francais-ont-mis-au-point-un-systeme-anti-drones-individuel_6466379.html

2https://www.lefigaro.fr/international/brouillages-et-interceptions-le-front-invisible-de-la-guerre-electronique-russo-ukrainienne-20230904

3https://www.opex360.com/2024/04/10/brouillage-des-signaux-gps-par-la-russie-la-suede-voudrait-une-presence-accrue-de-lotan-en-mer-baltique/

4https://www.capital.fr/economie-politique/la-russie-prend-une-avance-decivise-dans-la-guerre-electronique-1487280