Par Maya Wall
La France attire les investisseurs étrangers. Son entrée dans le « top 5 » du cabinet américain A.T Kearney en 2019 en témoigne. Nos technologies de sécurité et de défense bénéficient grandement de ce rayonnement à l’international. En 2018, les exportations d’armement françaises ont rapporté près de 9 milliards d’euros au pays. Si les ventes ont augmenté de 30 % en un an, il convient de saluer la BITD française, ses grands groupes, ses start-up et ses quelque 26 000 PME ; qui ne demandent qu’à se déployer davantage vers l’étranger.
Mettre le pied des PME à l’étrier global
Pour qu’elles entrent plus aisément sur les marchés internationaux tout en jouissant de la crédibilité française, le ministère des Armées lançait il y a un an le « plan Action PME ». Ce plan a su insuffler un engagement fort de la part de grands groupes français envers les PME et ETI du secteur. Thales, Safran, MBDA ou encore Dassault ont déjà signé des conventions bilatérales avec le ministère, réitérant ainsi leur volonté de porter leurs partenaires vers l’international. « Nous avons remarqué un réel effort de la part de la part du ministère des Armées depuis le lancement du Plan l’année dernière », confie Georges Kanterakis, Directeur Recherche et Innovation chez GMI Aero, PME spécialisée dans la fabrication et réparation des matériaux composites. « Nous avons désormais davantage de contacts avec les attachés de Défense étrangers, ce qui nous permet d’avancer avec plus de sûreté dans nos projets à l’export », ajoute-t-il. Cependant, l’Etat ne peut pas tout ; pour ouvrir les portes des marchés globaux aux PME les maîtres d’œuvres sont aussi attendus. « Pour vendre à d’autres clients que les industriels français, nous avons besoin que ces derniers listent nos solutions dans leurs manuels, lorsque, eux, vendent. Cela nous permet d’avoir des références. Les grands groupes ont intégré cette pratique, mais elle pourrait être améliorée », explique Georges Kanterakis.
En signant de grands contrats de défense internationaux, les grands groupes donnent également des opportunités aux PME françaises. Dassault Aviations a signé en 2016 une commande de 36 Rafales avec l’Inde, l’obligeant à acheter au moins 50 % de la valeur de l’avion dans le pays. C’est ainsi qu’Ametra, spécialisée dans l’ingénierie et l’intégration de systèmes électronique et mécanique, a pu sauter le pas et créer une joint-venture en Inde avec l’entreprise locale NUCON. « Pour répondre aux enjeux industriels mondiaux, nous avons choisi une stratégie de développement progressive et cohérente, explique Anne-Charlotte Fredenucci, PDG d’AMETRA. Ce projet en Inde constitue un nouveau tournant stratégique après notre implantation en Tunisie en 2005 et notre partenariat avec l’ingénieriste allemand CTWe l’an dernier. »
Construire une coopération durable
L’Europe pourrait également présenter de belles opportunités pour les PME et ETI françaises, tant économiques que stratégiques. En effet, l’un des vingt-et-un points clés du Plan « Action PME » consiste à faciliter l’accès au Fonds Européen de Défense par un accompagnement ministériel. Or, la visibilité européenne qu’un accès au fonds assure n’est pas négligeable.
De plus, le financement des technologies de défense par ce fonds pourrait participer à créer une coopération solide entre les pays membres. Le Fonds Européen de Défense et la PESCO sont des outils susceptibles de mener vers une Europe de la Défense qui dépasse le cadre de coopérations bilatérales. Avec une base d’entreprises bénéficiant de l’appui européen, un écosystème industriel et technologique communautaire fort pourrait voir le jour et ainsi mener à des réactions politiques. « Le futur ne sera complètement européen que si l’UE fait la promotion des technologies qu’elle produit, souligne Georges Kanterakis. Prévoir un financement européen comme le FED est une première étape, mais elle doit être accompagnée de politiques pour promouvoir les technologies européennes sur le marché mondial. Sinon, nous perdrons systématiquement les marchés face à des solutions extra-communautaires, moins chères. » Pour cela, l’Europe devra peut-être compter sur les piliers que sont les industriels de Défense européens.
Exporter le savoir-faire dual français
Faire vivre le savoir-faire français à l’étranger n’est pas l’apanage des technologies de défense. Depuis quelques années, la France mise donc également sur l’exportation des biens à double usage. Pour cela, le programme RAPID de la DGA apporte l’aide financière nécessaire aux PME duales. GMI Aero aspire à intégrer ce programme, poussé par les relations clés qu’elle entretient déjà avec la DGA. « La première commande d’équipement de GMI Aero venait de la DGA, il y a 30 ans. De plus, grâce à la DGA, nos équipements ont pu être inclus dans le système OTAN de codification (SOC), ce qui nous donne des opportunités de vente intéressantes avec les membres de l’Alliance », explique Georges Kanterakis.
Les CCI régionales œuvrent à faire connaître ces aides publiques dans leur écosystème. « Dans le secteur de la Défense, la question des débouchés possibles au-delà des frontières françaises est centrale. L’augmentation du budget de Défense créé une compétition intense entre les entreprises du secteur, ce qui peut être difficile pour les PME et ETI. Ces dernières doivent donc s’assurer une certaine indépendance vis-à-vis du ministère des Armées, grâce à la dualité. », souligne Oxana Dolzhikova, conseillère en développement des entreprises, filière Sécurité et Défense à la CCI Paris Ile-de-France. Un travail d’accompagnement est donc employé à travers les engagements de la Team France Export, qui réunit la CCI France, BPI France et Business France. « Nous aidons les entreprises à définir leurs besoins avant qu’elles ne se lancent dans leurs projets internationaux. Ensuite, nous leur proposons des formations autour de la manière de négocier avec les donneurs d’ordres en fonction des pays. Nous proposons également un accompagnement juridique sur les documents à remplir pour l’exportation ou sur la fiscalité », explique Oxana Dolzhikova.
L’accompagnement juridique et la prospection sont justement les sujets pour lesquels CerbAir s’est vue aidée par la CCI. « Nous envisageons d’ouvrir un bureau dans une des zones que nous couvrons à l’international. Sur la prospection, la CCI et Business France nous ont permis de rencontrer des délégations et de considérer plusieurs options plus ou moins stratégiques pour ce nouveau bureau », dévoile Lucas Le Bell, PDG de la TPE accélérée par GENERATE du GICAT, qui propose des solutions anti-drones et fait déjà 80 % de son chiffre d’affaires à l’étranger. En revanche, CerbAir n’a pas bénéficié des dispositifs européens dans son travail avec la CCI (informations sur le FED, Europe Entreprise Network et recherches partenariales). « Nous adressons le marché européen, mais il ne va pas assez vite. Il y a des enjeux plus importants dans d’autres endroits du monde, notamment aux Etats-Unis, le premier marché anti-drone, et au Moyen-Orient, pointe Lucas Le Bell et d’ajouter : même si l’Europe se positionnait, les questions de financements et de taille de marché subsisteraient ».
S’organiser en cluster pour être porté à l’étranger
Les clusters et pôles d’innovation français, eux, misent énormément sur l’Europe dans l’accompagnement des PME de sécurité et Défense. L’un des fleurons des pôles de compétitivité digitale se trouve en région parisienne. Systematic Paris Region est divisé en six hubs deep tech et composé de plus de 820 membres, dont près de 600 PME. Pour Rodrigue Germany, responsable du hub Cyber & Security, « Il faut faire naître un écosystème du numérique pour être fort collectivement. Pour accompagner les PME dans leurs projets, il nous faut travailler le business en profondeur : normaliser les solutions, notamment ; débloquer les verrous ». Entre détection des programmes financiers avantageux, des appels à projets intéressants et organisation de rencontres entre PME et grands groupes, le pôle se veut être une plateforme clé. « Notre service Europe est très bien organisé. Il identifie les appels à projets Horizon 2020, a des contacts et des partenariats avec les clusters européens du numérique et met actuellement en place une cartographie européenne des acteurs de l’écosystème cyber au niveau européen, pour que tous puissent mieux s’identifier », souligne Rodrigue Germany.
En plus de miser sur les grands groupes pour leur carnet d’adresses, leurs ressources et leur vision large, « Systematic aspire à créer un écosystème européen. Nous sommes peut-être l’un des meilleurs hubs de cyber en France. Pour nous imposer davantage, nous aurions besoin d’attirer plus de membres en sécurité physique, et non uniquement ciblés sur la cyber ». C’est le vœu du responsable du hub Cyber & Security, comme un appel lancé aux PME de sécurité.
Confiance et vigilance : règles d’or d’une exportation réussie
Avec un bureau au Sénégal et deux adresses en Espagne notamment, Deveryware est désormais expérimenté sur les risques et vecteurs de succès de l’exportation ; y compris autour des spécificités européennes. Le projet NEXES, NG-112, inscrit dans Horizon 2020, a été fortement affecté par la réalité européenne. « L’export de la solution NG-112 a été dimensionné par le cadre européen autour du roaming data », explique Delphine Arias-Buffard, directrice de la communication et des relations institutionnelles de l’entreprise. Cet outil permettant l’interopérabilité des plateformes d’appels d’urgence passés par le réseau numérique, est en passe d’être testé dans la région espagnole de Murcia et du Pays-Basque.
Pour les projets d’export dans des zones où elle n’a pas encore de bureau, Deveryware s’appuie sur son écosystème de partenaires : « Grâce au Medef International et aux missions Business France personnalisées, nous avons pu détecter un marché d’intérêt en Amérique du Sud », confie Delphine Arias-Buffard.
A ceux effectuant leur premier pas vers l’international, Deveryware conseille d’être vigilant. « Certains pays ont des accords privilégiés avec d’autres, rejettent tous ceux dont ils ne veulent pas tout en utilisant leurs réponses aux appels d’offres. Pour éviter cela, il faut absolument avoir des partenaires locaux capables de nous aiguiller. Aussi, il ne faut pas hésiter à faire appel aux services de conseils en intelligence économique. Avant de s’engager avec une entreprise à l’international, vérifier son intégrité bancaire, sa réputation, est essentiel ; surtout dans le monde de la sécurité. »