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Coordonner la coopération judiciaire internationale : enjeu crucial

Menace croissante à la sécurité internationale, la criminalité organisée transnationale se sophistique et se structure. Face à cette évolution, la coopération judiciaire et policière se renforce. De la lutte contre la cybercriminalité à la traque des criminels financiers, en passant par la collecte de preuves liées à la guerre en Ukraine et la lutte contre le trafic de drogue, Eurojust, agence européenne pour la coopération en matière de justice pénale est en première ligne. L’objectif ? Accélérer les enquêtes et coordonner les poursuites.

Rencontre avec Michael Schmid, Président d’Eurojust.


© Eurojust
© Eurojust

Criminalité transnationale, réponse internationale 


Plusieurs milliards de dollars sont générés par l’industrie de la criminalité transnationale. « Les chiffres montrent que ces cas ont augmenté récemment. Le crime organisé est une menace grandissante pour nos sociétés et les réseaux impliqués dans le crime organisé s’internationalisent et se structurent de plus en plus » observe Michael Schmid, Président d’Eurojust. « En matière de criminalité organisée, les discussions sur la sécurité et la lutte contre ce phénomène se focalisent souvent sur le travail de la police et les enquêtes seulement... Mais, de notre point de vue, le pouvoir judiciaire et la coopération judiciaire jouent un rôle important. Nous sommes un maillon de la chaîne de sécurité. Pour rendre nos sociétés plus sûres et pour passer des interpellations et des arrestations aux condamnations devant les tribunaux, le suivi judiciaire est indispensable », poursuit-il. La criminalité nourrit les conflits et vice-versa. Le cycle est infernal. « En tant qu’autorité judiciaire et chargée de l'application de la loi, nous devons travailler aux côtés de tous les acteurs engagés de la chaîne, dans le monde entier. Cette coopération est l’une de nos priorités. » ajoute Michael Schmid. Les réseaux criminels sont de plus en plus organisés et les conséquences de leurs activités de plus en plus graves ? « Soit, mais sachez que nous coopérons plus encore pour s’assurer qu’ils soient condamnés. » prévient Michael Schmid. L’agence agit et fait évoluer son organisation. Face à la lenteur et la lourdeur de la coopération judiciaire en matière pénale, Eurojust s'est dotée d'un bureau national où des juges et des procureurs de tous les États membres de l'UE sont détachés au siège de La Haye. Ils ont des échanges réguliers, formels et informels, qui leur permettent de répondre plus rapidement aux besoins sur le terrain. Et cela porte ses fruits. Le nombre de dossiers traités en 2023 par Eurojust a bondi de 14 % par rapport à l’année précédente, soit un total de près de 13 000 dossiers. Les enquêtes sont, elles, de plus en plus complexes. 53 % des dossiers concernent la criminalité financière dont 30 % de cas de fraudes. « La quasi-totalité des cas se produisent soit en ligne ou y sont liés d’une manière ou d’une autre. Les arnaques aux investissements en crypto-monnaies sont de plus en plus courantes. La nature même de ces crimes est internationale. Souvent les suspects sont dans un pays, les victimes dans un autre, le compte bancaire qui collecte l’argent dans un troisième. Notre rôle est de servir de plateforme et de facilitateur pour que les procureurs et les juges d'instruction puissent coordonner leur travail sur les affaires internationales. L'objectif est qu'ils aient des dossiers plus solides dans leurs procédures judiciaires, afin que la justice puisse être rendue indépendamment des frontières » En matière de lutte contre le terrorisme l’agence est aussi très mobilisée. En 2024, 9 individus radicalisés ont été arrêté et des serveurs répartis dans le monde entier servant à diffuser la propagande djihadiste ont été mis hors service. Le tout grâce à une coalition mondiale réunissant les autorités espagnoles, allemandes, néerlandaises, américaines et islandaises, Europol et Eurojust qui a notamment coordonné la saisie de plusieurs serveurs informatiques en Allemagne, aux Pays-Bas, aux Etats-Unis et en Islande.

Aujourd’hui, les procureurs des États membres de l’Union européenne peuvent s’appuyer sur un réseau de plus de 70 juridictions dans lesquelles des points de contact sont identifiés. Dans 13 autres pays dont les États-Unis, la Norvège, la Suisse ou encore l’Ukraine la coopération est plus poussée. La proximité est plus importante et ces pays ont détaché un procureur de liaison au siège.


Le tournant de la guerre en Ukraine 


« Nous sommes confrontés à une problématique importante avec la guerre en Ukraine. Le conflit étant toujours en cours, la collecte de preuves et la coopération sont plus difficiles à mener au quotidien. Pour autant, ce conflit est bien documenté, les preuves électroniques sont nombreuses. Notre défi est de s’assurer que cette masse de preuves parvienne aux personnes qui seront alors les plus qualifiées pour les traiter » souligne Michael Schmid. Une équipe commune d’enquête, composée de procureurs et d’enquêteurs de plusieurs pays, a pour objectif de faciliter les enquêtes, d’élaborer des stratégies, d’échanger les preuves, etc. Les preuves recueillies et la collaboration au sein de cette équipe peuvent servir à la fois aux poursuites menées par la CPI et aux poursuites nationales engagées par les États membres de l'équipe (Slovaquie, Pologne, Lituanie, Lettonie, Estonie, Ukraine, Roumanie). En juillet 2023, le Centre international pour la poursuite du crime d'agression a été créé pour ouvrir un nouvel espace destiné à l'échange de preuves. « Nous souhaitons assister l’Ukraine pour que justice soit faite un jour » note le Président d’Eurojust. 


Zoom sur le projet SIRIUS


Que ce soit la nouvelle législation européenne e-evidence qui entrera en vigueur mi-2026 ou le Protocole additionnel de la Convention de Budapest, le paysage juridique qui entoure les preuves électroniques est en pleine mutation. « Avec la place toujours plus prégnante que prend le numérique dans la criminalité, les services de police et judiciaire ont dû s'adapter, notamment pour le recueil de preuves. SIRIUS est un projet que nous menons en collaboration avec Europol, offrant aux forces de l’ordre, aux procureurs et aux juges un accès privilégié aux fournisseurs de services. En janvier dernier, la 3e phase du projet a été lancée dans laquelle nous souhaitons développer le recueil de preuves dans un contexte transfrontalier. De nouveaux outils d’investigations ont été développés et les capacités renforcées. » explique Michael Schmid. SIRIUS soutient le travail de plus de 8500 personnes à travers le monde et favorise la collaboration avec 220 fournisseurs de service.  


Accentuer les efforts 


Face au défi de la criminalité, les coopérations doivent être sans cesse renforcées. « Avec les États d’Amérique latine par exemple, la coopération est très importante au regard de l'augmentation significative du trafic de drogue au niveau international. Principaux producteurs, les autorités judiciaires des différents États se doivent de travailler en bonne intelligence. L’année dernière, nous avons signé des accords de travail avec six pays de la zone. Un premier pas encourageant vers un accord international et une coopération à un niveau stratégique. J’espère que dans un avenir proche nous pourrons accueillir des procureurs de liaison de certains pays d'Amérique du Sud. Des accords internationaux avec l'Arménie et la Bosnie-Herzégovine ont été signés en 2024, et nous attendons l’arrivée du procureur de liaison pour l'Arménie à Eurojust dans les prochains mois. Cela porterait alors à 40 le nombre de juridictions représentées en permanence à Eurojust, incluant les États membres de l'UE ainsi que des pays partenaires. » L'augmentation du réseau de points de contact contribue à cette dynamique de renforcement global de la coopération judiciaire internationale et « doit être poursuivie en 2025 ». Dernier défi pour Eurojust : « La communication entre les réseaux criminels se fait, le plus souvent, à l’aide d’applications cryptées. Il s’agirait de pouvoir légiférer, au niveau européen, sur cette question afin que les enquêteurs et nous-mêmes puissions accéder à ces communications » conclut le Président de l’agence.

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