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La Pologne : nouveau modèle européen de défense ?

Au début de l’année 2022, quelques semaines après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les députés polonais votent une loi, dite de Défense de la nation. Parmi les mesures phares de ce projet figurent l’inscription de dépenser 3% du PIB dans la défense et l’augmentation des effectifs de l’armée à 300 000 hommes (dont 250 000 professionnels et 50 000 territoriaux). 


Par Dr Amélie Zima, Ifri


© Pexel
© Pexel

Une modification profonde de la politique de défense polonaise

Ces annonces ont entraîné des interrogations, voire du scepticisme, en raison de leur ampleur. Cependant, l’armée polonaise poursuit une transformation et une montée en puissance qui a débuté avec l’entrée dans l’OTAN en 1999, véritable révolution copernicienne pour une armée qui moins de dix auparavant était encore membre du pacte de Varsovie, s’est poursuivie avec la participation à des opérations extérieures comme l’Irak et l’Afghanistan et culmine désormais avec le réarmement et la défense territoriale comme priorité. 


L’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 entraîne une modification de la politique de défense polonaise. Alors que nombre d’États ne modifient pas leur relation à la Russie, voire amorcent des politiques de « reset », Varsovie la considère désormais comme une menace pour la sécurité européenne car elle bafoue les principes du droit international comme la souveraineté et l’intégrité territoriale. La réponse à cette menace ne consiste pas à effectuer des investissements majeurs dans la défense mais à demander réassurance et soutien de la part de l’OTAN. Cela se concrétise lors du sommet de l’Alliance à Varsovie en 2016 avec la mise en place de la présence avancée renforcée en Pologne et dans les trois pays baltes, des bataillons multinationaux symbolisant l’unité et la solidarité de l’Alliance. 


Un réarmement massif

A l’automne 2021, les menaces russes et les craintes autour de l’Ukraine conduisent le gouvernement polonais à réviser cette option en décidant d’un réarmement massif. Ce projet se concrétise au printemps 2022 avec le vote de la loi sur la Défense de la Nation. Adoptée à la quasi-unanimité, cette loi est un cas unique où les deux frères ennemis de la politique polonaise, le parti libéral PO et le nationaliste-conservateur PiS, sont parvenus à s’entendre. Il s’agit aussi d’un exercice démocratique salutaire permettant de faire exister et nourrir le débat sur les questions de défense. Enfin, cette loi est rendue possible par une croissance économique forte depuis le début des années 2000. 

Les programmes d’achat qui découlent de ce vote visent à compenser les dons faits à l’Ukraine et ensuite monter en puissance. La formule retenue est d’acheter à la fois du matériel basique et haut de gamme (hi-lo mix), l’objectif final étant la mise en œuvre de la dissuasion conventionnelle. En effet, la Pologne n’étant pas un État doté, elle doit garantir sa protection par d’autres moyens. Des chiffres colossaux pour la période d’après-guerre froide ont ainsi été dévoilés (500 modules Himars, 1000 tanks, 32 F35 et 48 FA-50). 

Ces contrats consistent à acheter sur étagère principalement aux industries américaines et coréennes. A cela plusieurs raisons : d’une part, et avant tout, le sentiment d’urgence. Face à une Russie soupçonnée de vouloir se tourner vers les États-baltes et la Pologne si les conditions de la paix en Ukraine lui sont trop favorables, il y a une nécessité de se réarmer sans attendre. Or développer des programmes prend de nombreuses années. D’autre part, l’industrie coréenne dispose de capacités de production et de stock qui la rend apte à livrer pour la seule Pologne plus que ce la BITDE produit annuellement (plus de 92 chars K2 doivent être livrés en 2025 là où la production annuelle de Leopard est de 50 unités). Enfin, certaines classes d’armes, non produites par le BITDE comme les avions furtifs ou les lance-roquettes multiples, nécessitent de se fournir hors d’Europe. Les contrats avec les Etats-Unis visent à acquérir ces capacités tout en permettant de garder le lien avec un allié fortement présent militairement sur le territoire polonais. Les Etats-Unis sont nation-cadre de l’OTAN en Pologne, ont positionné depuis 2019 le QG de la 5e armée et viennent d’inaugurer l’installation d’un magasin de stockage de matériel militaire et de la base anti-missile Aegis Ashore. 


Renforcer la culture de défense de la population

Ces achats massifs vont de pair avec le développement d’une culture de défense au sein de la population. Depuis plusieurs années, il existe des programmes de formations à la défense passive allant de quelques heures à un mois visant à apprendre les rudiments du maniement d’armes, des premiers secours et des attitudes en cas d’alerte. Ces formations durent de quelques heures à quelques semaines et peuvent être rémunérées. Elles sont dispensées dès le plus jeune âge, puisqu’un partenariat existe entre les Ministères de la Défense nationale et de l’Éducation nationale, et ont déjà été suivies par des dizaines de milliers de Polonais. Cependant, si ces formations participent à la diffusion d’une culture militaire et de connaissances au sein de la population, dans la droite ligne de l’expérience finlandaise, elles ne peuvent écarter les interrogations concernant l’accroissement des effectifs de l’armée à 250 000 hommes (voire 300 000 en comptant les territoriaux) en raison d’une démographie en berne. 


Le « Bouclier Est » : rupture avec l’OTAN

Enfin, cette réorientation de la politique de défense polonaise s’incarne dans la construction du « Bouclier Est », projet de militarisation de la frontière orientale, le long du Bélarus et de l’oblast de Kaliningrad où l’usage combiné de capteurs, d’ouvrages défensifs et de la topographie particulière de la région doivent interdire l’entrée sur le territoire à tout agresseur. Ce projet acte le passage au principe de défense en avant en rupture avec la logique de l’OTAN et témoigne de la fermeté de la position polonaise suite aux exactions commises par les troupes russes en Ukraine. Il constitue aussi pour la Pologne un projet d’européanisation des enjeux de sécurité puisque sa frontière orientale étant aussi la frontière orientale de l’UE, Varsovie souhaite que des outils financiers européens soient utilisés pour mener à bien la construction du Bouclier. 


Ainsi, le programme de réarmement polonais ne doit pas être considéré sous le seul angle des contrats d’armement. C’est un projet cohérent et complexe qui modifie les orientations de la politique de défense et associe de larges segments de la population. Au niveau européen, il est relayé par la présidence polonaise du premier semestre 2025.  Placée sous le signe de la sécurité, celle-ci a pour objectif de faire prendre conscience aux Européens du danger que représente la Russie pour l’architecture de sécurité, d’augmenter leurs dépenses de défense, et de les retirer du calcul du déficit, ainsi que de donner une perspective claire d’adhésion à l’Ukraine. De fait, si des interrogations peuvent subsister sur les ambitions polonaises, principalement la capacité à atteindre 300 000 hommes, force est de constater que vingt-cinq ans après son entrée dans l’OTAN, la Pologne s’impose comme une puissance politique et militaire incontournable du continent européen.


Pour en savoir plus : 

- "Fortifier la Pologne ? Le projet de bouclier est polonais", Briefing de l’Ifri, juin 2024,https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ifri_zima_fortifier_la_pologne_2024.pdf.

-"Pologne, première armée d'Europe en 2035? Perspectives et limites du réarmement polonais" (avec Léo Péria-Peigné), Etudes de l'Ifri, février 2025,https://www.ifri.org/fr/etudes/pologne-premiere-armee-deurope-en-2035-perspectives-et-limites-dun-rearmement.

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