En septembre dernier, le président de la plateforme de mise en relation de parieurs et de pronostiqueurs sportifs PronoClub a été mis en examen pour une affaire d’escroquerie aux paris sportifs. Alors que des centaines de victimes ont porté plainte et que le préjudice total pourrait s’élevé à 50 millions d’euros, le tipster français pourrait être à l’origine de la plus grosse affaire nationale de fraude aux paris sportifs en ligne. Dans un contexte d’explosion de ces derniers, comment empêcher les réseaux criminels de s’immiscer dans les grandes compétitions sportives qui feront rayonner, demain, la France sur la scène internationale ?
Par Philipine COLLE
Des pratiques qui ont la cote
Le domaine des jeux d’argent et de hasard ne fait pas exception au phénomène de numérisation croissante des activités quotidiennes résultant de la crise sanitaire. Ainsi, les paris sportifs et hippiques comme le poker en ligne ont enregistré des performances historiques. Les mises s’envolent au premier trimestre de 2021, atteignant le montant record de 2,2 milliards d’euros. Selon les dernières données publiées par l’Autorité nationale des jeux, le nombre de parieurs a bondi de 29% avec 2,5 millions de comptes de joueurs actifs en France.
Parallèlement, l’EURO de football et les Jeux Olympiques de Tokyo, en mettant le sport à l’agenda du monde, ont inspiré les entrepreneurs peu scrupuleux et provoqué une explosion du nombre de « tipsters ». Ces plateformes qui prodiguent, à première vue, des conseils sur les pronostiques les plus rentables ou les plus sûrs, s’avèrent être de redoutables outils de manipulation des parieurs truquant les cotes et par conséquent les gains des paris sportifs.Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de l’Autorité nationale des jeux alertait sur la croissance et la médiatisation des tipsters « Ils se sont développés car personne ne les a sanctionnés. Offrir un service payant sur un pronostic de jeu d’argent en faisant croire que cela augmente sa sécurité est illégal »1. L’article L121-4 du code de la consommation, précise, en effet, qu’il est trompeur « d’affirmer d’un produit ou d’un service qu’il augmente les chances de gagner aux jeux d’argent et de hasard ». Autant de pratiques frauduleuses dont les premières victimes sont les jeunes de plus en plus précarisés qui voient dans les paris sportifs un moyen rapide de gagner de l’argent.
Une mobilisation générale
En vertu de l’article 445-2-1 du code pénal, le fait d’altérer, de façon directe ou indirecte, « le déroulement équitable » d’une manifestation sportive servant de support à des paris, est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 euros, « dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction ». Si les outils juridiques existent, leur mise en œuvre encore limitée fait l’objet de tentatives de renforcement.
« Dans un contexte d’affaiblissement généralisé de l’économie des acteurs sportifs qui deviennent des cibles privilégiées pour la criminalité organisée, il nous appartient collectivement de rester mobilisés » déclarait la Ministre des Sports et présidente de la plateforme nationale de lutte contre la manipulation des compétitions sportives, Roxana Maracineanu. Une mobilisation et une vigilance dont les premiers acteurs sont les sportifs eux-mêmes. S’ils refusent dans l’écrasante majorité des cas de truquer des matchs ou des compétitions lorsqu’ils sont contactés par des escrocs, ils sont encore trop peu à signaler aux autorités les tentatives de manipulation de bookmakeurs malveillants. Face à ce constat de faiblesse et conformément aux recommandations de la Convention de Macolin sur la manipulation des compétitions, les coordinateurs des plateformes française, bulgare, chypriote, géorgienne, grecque, polonaise, portugaise et les syndicats de joueurs EU Athletes et FIFpro, ont lancé MotivAction. Premier projet Erasmus+ porté par des autorités publiques réunies au sein de plateformes nationales dans le but de prendre des mesures concrètes contre la manipulation des compétitions sportives, le projet MotivAction s’attache à identifier les moyens d’encourager les athlètes à alerter les tentatives de fraude.
Dans le prolongement de ces objectifs, le système français SIGNALE !, permettant à toute personne de signaler des faits de manipulation de compétitions sportives de façon anonyme, a été rendu opérationnel à l’occasion des Jeux de Tokyo. « Alors que le recueil et la circulation d’information sont des enjeux cruciaux dans la lutte contre les fraudes sportives, cet outil piloté par le parquet national financier est et sera un véritable atout » confirme le commissaire divisionnaire Stéphane Piallat, chef du Service central des courses et jeux (SCCJ). A moyen terme, Signale ! sera complété pour recevoir d’autres signalements en matière d’atteinte à l’intégrité du sport ou des sportifs. Le ministère chargé des Sports travaille en ce sens avec les partenaires de la Plateforme nationale, dont le SCCJ, ainsi qu’avec l’Agence française de lutte contre le dopage pour les alertes concernant la consommation de stimulants et avec la Défenseure des Droits pour les situations de discriminations.
Un dispositif judiciaire en pleine adaptation
« Les paris illégaux ont pris une dimension internationale via les plateformes de paris en ligne, souvent situées dans des pays où les paris sportifs sont peu réglementés, ce qui complique considérablement la tâche des autorités de police » alerte la section de lutte contre la criminalité financière d’Interpol. La coopération internationale est alors indispensable. Le récent succès de l’opération SOGA VIII (acronyme issu de Soccer Gambling) ciblant les paris illégaux et les activités associées de blanchiment d’argent organisées lors des grandes compétitions de football a permis l’arrestation, en septembre, de quelque 1 400 suspects en Asie et en Europe. Les autorités ont également saisi 7,9 millions de dollars en espèces, ainsi que des ordinateurs et des téléphones portables connectés à près de 465 millions de dollars de paris. « Cette opération illustre un glissement des méfaits vers des activités en ligne, les criminels tirant pleinement parti de la technologie financière, de l’utilisation de sites Web internationaux de jeux d’argent et de comptes bancaires en ligne » constate Wong Wai, chef du Bureau du crime organisé de la police de Hong Kong et président du Groupe d’experts sur le crime organisé Asie-Pacifique d’INTERPOL. La France qui participe aux opérations menées par INTERPOL, s’est dotée d’uneunité dédiée à la lutte contre la fraude interne au SCCJ composée de spécialistes notamment chargés de la surveillance des paris sportifs et des fraudes internationales. « Nous traitons déjà les affaires de fraudes sportives mais la création de cette unité s’inscrit dans une dynamique de montée en puissance des capacités judiciaires et d’adaptation de la réponse policière à des fraudes difficilement détectables. La nature même des paris sportifs dont les mises se font sur des résultats précis, facilite la fraude. Il est, en effet, assez aisé de perdre un set ou de laisser passer un but sans que cela ne semble anormal. La corruption, le blanchiment et les paris faussés sont autant d’actions contre lesquelles nous luttons. » conclut le commissaire divisionnaire Piallat.
1Dans l’Equipe 2020