En juillet 2024, des incendies de forêt sans précédent dévoraient le Canada et la Californie. Quelques mois plus tard, en octobre, des inondations massives en Espagne faisaient des centaines des victimes. Face à des crises de plus en plus nombreuses et violentes, la notion d'urgence fait aujourd’hui partie du quotidien des forces de sécurité civile. Une situation de « permacrise » qui nécessite de repenser les stratégies, capacités et modes d’action, mais qui appelle aussi à sortir des cadres et schémas établis pour se préparer à la survenance de crises inédites, d’un genre nouveau.
De nouveaux modèles pour de nouvelles crises
« Nous sommes témoins aujourd’hui de l’accélération du nombre de crises et de leur intensification. En France, avec les territoires ultra-marins, nous sommes confrontés à l’ensemble du panel : inondations, ouragans, tremblements de terre, tsunamis… avec à chaque crise des épisodes records » expose le colonel Alexandre Jouassard, Adjoint Chef du Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC). Une nouvelle donne qui appelle de nouvelles réponses, aussi bien en termes de formation que de moyens opérationnels. « Nous devons, encore plus qu’avant, pouvoir pré-dispositionner des moyens. Nous sommes dans un nouveau mode de fonctionnement, dans lequel en cas d’alerte 24, 48 ou 72 heures avant, nous pouvons envoyer des moyens en anticipation ». explique le colonel Jouassard et de poursuivre : « il nous faut aussi organiser ces moyens pour pouvoir solliciter, si besoin, les zones qui ne vont pas être impactées par une crise, en renfort des zones en surcharge ou en limite capacitaire. » Une nécessité de s’adapter à des crises d’un genre nouveau dont s’est aussi saisie l’Union européenne. La nouvelle Commissaire à la préparation, la gestion des crises et l’égalité, Hajda Lahbib, s’est vu confier la mission de structurer et solidifier l'approche intersectorielle de la préparation et de la gestion de crise au niveau de la Commission, à l’image d’une cellule interministérielle de préparation et de gestion de crise. « L’enjeu, ce sont les modalités de coordination intersectorielles, à la fois en termes d'anticipation et d'analyse des risques : nous devons être en mesure de mettre les différents services de la Commission autour de la table pour concevoir les priorités de préparation et de planification, en lien avec les États membres, pour préparer les exercices et conduire la planification. » précise Guillaume Saour, Expert national détaché au Centre de coordination de la réaction d’urgence de la Commission européenne et de compléter « Nous ne sommes pas dans une logique disruptive, mais plutôt d’amélioration continue sur la base de ce que l’on a construit ces dernières années, notamment avec le MPCU, le mécanisme européen de protection civile. » Un dispositif déployé sur le territoire européen, comme lors des incendies en Espagne, mais aussi au-delà de nos frontières lors des feux de forêt au Canada ou au Chili.
Sortir des cadres
Si les moyens de réponse à des crises toujours plus intenses s’améliorent, « la crise se caractérise aussi par une destruction des références » rappelle Patrick Lagadec, expert de la prévention et du pilotage des crises majeures. C’est quand la crise sort des cadres et des modèles connus que l’on est le plus démunis. Pour établir un diagnostic permettant de répondre efficacement à une crise complexe ou « hors cadre », l’expert propose d’établir une « force de réflexion rapide » : un petit groupe de personnes qui, aux côtés des décideurs, institutionnalise le questionnement et émet des propositions concrètes pour faire face à des événements inédits et à des crises en mutations constantes. Cette capacité à « sortir des cadres » pour penser une crise autrement, le COGIC la cultive déjà. En 2020, l’établissement d’un pélicandrome à Épinal-Mirecourt pour accueillir les moyens aériens de la sécurité civile, a pour sa part permis de réagir dès 2022 à des feux anticipés pas avant 2040 voire 2050. « Il y a aujourd’hui une volonté d’activer systématiquement une cellule ‘anticipation’ au sein de la cellule interministérielle de crise. Jusqu’il y a encore quelques années, on attendait 4 à 5 jours pour l’activer. Désormais, elle l'est dès que l’on passe en niveau 2 et que l’on est en mode ‘crise’. » souligne le colonel Jouassard. En 2024, la décision – inédite - d'envoyer des sapeurs-sauveteurs aux Antilles 48 heures avant même le passage de l'ouragan Irma, au risque de les mettre en danger, avait suscité de nombreuses et vives interrogations. Mais elle s’est avérée in fine payante. En parallèle des actions gestion immédiate de la crise, la cellule anticipation permet de penser la crise sur le long terme. « Pour Mayotte, la Nouvelle-Calédonie ou encore la Guyane, nous avons déjà mis en place une cellule au sein du COGIC qui réfléchit aux actions qui pourraient être mises en place si la crise dure dans le temps, quels pourraient être les impacts sur la population et quels pourraient être les éléments de sortie de crise. » complète le colonel Jouassard et de préciser : « Il est important de ne rien s’interdire. Nous travaillons avec des profils très différents, des pompiers bien sûr mais aussi des experts météorologiques, des représentants de la justice, de l’éducation nationale, on évoque aussi les moyens technologiques, etc. »
Faire confiance à la technologie
La technologie est aujourd’hui l’alliée indispensable des forces de sécurité civile. Qu’il s’agisse de répondre ou d’anticiper la crise, industriels et forces d’intervention travaillent main dans la main pour développer des solutions répondant au mieux aux besoins et contraintes de terrain. C’est de cette collaboration qu’est né Colossus, le « robot pompier » de Shark Robotics. « Ces robots sont les yeux des sapeurs-pompiers : ils peuvent être utilisés pour des missions d'inspection et de la surveillance en milieu critique. Ils sont capables de détecter les points chauds grâce à des caméras thermiques… et ce, sans les exposer ou les mettre en danger. » explique Manon Vermenouze, Directrice de la communication et des affaires publiques chez Shark Robotics. Engagés lors de l’incendie de Notre Dame de Paris, « au moment où toute intervention humaine était devenue impossible, ils ont permis de détecter les points chauds et de refroidir la température globale à l'intérieur de la cathédrale, avec une vraie plus-value opérationnelle à la fois pour les pompiers mais aussi pour la cathédrale, puisque l’intervention a permis de préserver quelques œuvres d'art. » témoigne Manon Vermenouze. Aux côtés des robots, l’utilisation des drones est elle aussi prometteuse, que ce soit en matière de reconnaissance aérienne ou pour acheminer des moyens sur des zones difficiles ou inaccessibles. « Lors de la tempête Alex dans les Alpes maritimes, les hélicoptères de la sécurité civile ont fait un travail remarquable : sauvetage, acheminement de denrées à la population, etc. Demain, 50 ou 100 drones capables d’exécuter la même mission permettront d’augmenter de façon significative la capacité opérationnelle, la capacité d'aide et d'appui, mais aussi d’accompagner le retour à la normale qui peut durer des semaines voire des mois. » souligne le colonel Jouassard. Le COGIC voit également évoluer son usage de la cartographie, de plus en plus sollicitée aujourd’hui sur la phase tactique : « Elle permet de vérifier notre ressenti et notre visuel terrain avec une vision un peu plus large, mais aussi de travailler dans le temps. A partir de données météorologiques qui prévoient une augmentation des précipitations, une cartographie combinant intelligence artificielle et humaine permet d’identifier les bâtiments qui vont être touchés, et les populations qui devront être évacuées. » souligne le colonel Jouassard. Intelligence artificielle qui fait également ses preuves en matière de veille opérationnelle, notamment sur les réseaux sociaux, pour détecter les signaux faibles. « Il ne faut rien s'interdire : nous observons une vraie progression technologique et des possibilités qui nous sont offertes auxquelles on ne pensait pas avant. » conclut le colonel Jouassard.