Quels programmes en sécurité et défense pour les listes aux élections européennes ?

Alors que la guerre en Ukraine a mis la défense au cœur de l’agenda de l’UE, les listes françaises concourant aux élections européennes se saisissent de ce sujet et des problématiques de sécurité. Celle menée par Marion Maréchal se démarque par la volonté de cesser l’aide militaire à l’Ukraine, couplée à un renforcement des frontières et des mécanismes de sécurité dans le cadre de l’Union.

Par Alban Wilfert

Ne pas « faire la guerre à la place » de l’Ukraine

La tête de liste incite à ne plus livrer d’armes à l’Ukraine, au vu du risque de participer à une « potentielle escalade guerrière ». « On a commencé par déclarer qu’on livrait des armes défensives, puis on a livré des armes offensives, aujourd’hui ce sont des armes qui serviront à frapper le sol russe et on envisage d’envoyer des troupes au sol. Où s’arrêtera-t-on ? Quand la Russie, puissance nucléaire, se considérera en guerre avec la France et enverra des missiles sur le sol français ? En livrant des armes, nous devenons partie prenante de la guerre », détaille Marion Maréchal.¹ Celle-ci s’oppose aussi à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN, qui reviendrait à « déclencher automatiquement la troisième guerre mondiale. »² La tête de liste doute néanmoins de toute invasion potentielle d’un pays de l’OTAN par la Russie, qui « se confronterait ainsi à une riposte d’une alliance deux à trois fois plus puissante que la sienne ».³

Même refus de l’intégration de l’Ukraine dans l’UE, pour laquelle des négociations sont en cours et pour laquelle Kiev mène déjà des réformes, saluées par le Conseil européen fin mars 2024.⁴

La livraison d’équipements serait également préjudiciable à « un stock d’armes et de munitions déjà très insuffisant pour assurer notre propre sécurité en cas de guerre de haute intensité».⁵ Pourtant, si le manque d’armes et de munitions produites en France a déjà été souligné dans un rapport du Sénat en janvier 2024, leur production fait déjà l’objet d’une relance, que Marion Maréchal juge toutefois « insuffisante ».⁶

La sécurité intérieure avant la défense européenne

Pour l’ex-députée FN, il est difficile de parler de la sécurité européenne quand « nous ne sommes même pas capables de faire respecter l’autorité de l’Etat et la sécurité sur le sol français ».⁷ Fustigeant un « laxisme judiciaire » et « une naïveté à l’égard de l’idéologie islamiste », elle entend quitter la CEDH, qui interdirait aux Etats la « fouille au corps des prisonniers »ou« l’expulsion de terroristes ».⁸ Une démarche juridiquement politique pour un Etat, mais pouvant amener à son exclusion du Conseil de l’Europe.⁹ Dans le même temps, il faudrait renforcer l’armée française, en consacrant 3% du PIB français à la défense, et en veillant à des « relocalisations de filières stratégiques sur le territoire national ». Toutefois, l’échelon européen y aurait son rôle à jouer. Rappelant que 80% du matériel militaire acheté en Europe ces deux dernières années était extra-européen – la proportion exacte étant de 78% -,¹⁰ Marion Maréchal juge « impératif, en matière de défense, de produire et d’acheter français et européen ».¹¹ Un « Buy european act » apparaît dans son programme, mais son étendue n’est pas précisée. « C’est d’abord à l’Europe d’assurer sa propre sécurité », assure-t-elle, mais cela passerait par le renforcement individuel des Etats membres.¹²

A ce titre, le programme conteste « la création d’une armée européenne, tout partage de la dissuasion nucléaire française et de notre siège au Conseil de Sécurité de l’ONU, souhaités par Emmanuel Macron ».¹³ Pourtant, celui-ci n’a jamais promu de céder la place française au Conseil de Sécurité¹⁴ et a uniquement parlé d’« ouvrir le débat » sur une défense européenne incluant les armes nucléaires.

Des « causes européennes communes » sécuritaires à défendre

Critiquant un « grand dogme européiste de la “libre circulation des hommes, des capitaux et des biens” », Marion Maréchal promeut des coopérations européennes contre l’immigration et l’« islamisation », mais aussi contre le trafic de drogue.

Une « triple-frontière » serait à établir pour la « défense de notre civilisation ». D’abord, les frontières nationales devraient faire l’objet d’un « rétablissement » ; des contrôles ont pourtant bien lieu aux frontières françaises et sont renouvelés tous les six mois. La libre circulation serait interdite pour les extra-Européens, une mesure que plébisciteraient 66% des Français.¹⁵ Les frontières européennes feraient, elles, l’objet de « barrières physiques » sur terre et d’un « blocus militaire naval en Méditerranée »¹⁶ coordonné entre pays européens et qui pourrait « casser les filières et aller détruire, sur les côtes, les bateaux des trafiquants ».¹⁷ Déplorant l’incapacité juridique et budgétaire de Frontex à « soutenir réellement et efficacement les Etats membres dont les frontières sont franchies illégalement », le programme n’explicite aucune réforme possible de l’Agence. Enfin, il faudrait établir une « frontière au-delà de nos frontières, à travers les accords de coopérations avec les pays du pourtour méditerranéen pour lutter contre l’installation de centres de migrants en-dehors de l’Europe ».¹⁸

Dans cette optique, l’UE cesserait les subventions aux organisations perçues comme « agissant en faveur de l’islamisation de l’Europe ou qui sont soutenus par des pays dominés par cette idéologie », ainsi qu’aux « ONG pro-migrants », que le programme ne désigne pas. Les « ingérences islamistes » de la Turquie et du Qatar en Europe seraient également combattues, sans que la nature de telles ingérences ni les manières de lutter contre elles ne soient précisées. L’échelon européen veillerait à ce que les « islamistes étrangers expulsés d’un pays ne puissent s’installer dans un autre pays européen ».¹⁹

Alors qu’Europol œuvre déjà chaque jour contre le crime organisé, la liste Reconquête ! appelle à « renforcer les coopérations européennes, douanières, policières et judiciaires contre la drogue » afin d’augmenter les contrôles dans les sites de transit ou d’arrivée. Ceux-ci sont pour beaucoup identifiés, comme les routes de la drogue dans leur ensemble. Depuis la mise en place de contrôles systématiques fin 2022, chaque avion reliant la Guyane à la métropole compte en moyenne 8 mules transportant de la cocaïne, contre 50 auparavant, en provenance d’Amérique du Sud.²⁰ Le Maroc compte quant à lui 55000 hectares de plants de cannabis.²¹ Ces substances entrent également sur le continent européen par les grands ports, notamment celui d’Anvers où non moins de 110 tonnes de cocaïne ont été saisies en 2022.²² Ainsi, pour Marion Maréchal, doit être mis en place un « mécanisme de sanctions contre les pays, sociétés et personnalités (avec saisie des biens) qui entretiennent des liens avec les multinationales de la drogue » avec une attention particulière pour « le continent sud-américain et le Maghreb ».²³ Une certaine idée du rôle de l’Union européenne sur laquelle mise le parti d’Eric Zemmour pour passer le seuil de 5% des voix nécessaire à l’entrée au Parlement européen.