Quels programmes en sécurité et défense pour les listes aux élections européennes ?

Alors que la guerre en Ukraine a mis la défense au cœur de l’agenda de l’UE, les listes françaises concourant aux élections européennes se saisissent de ce sujet et des problématiques de sécurité. Au-delà du conflit en cours, celle menée par Raphaël Glucksmann entend faire de l’UE une puissance résiliente et pleinement souveraine sur le plan sécuritaire.

Par Alban Wilfert

Soutenir massivement le front ukrainien

Pour Raphaël Glucksmann, « les soldats ukrainiens sont la première ligne de défense des Européens, c’est notre propre sécurité qui est en jeu »¹ dans la guerre menée par la Russie, dirigée « contre nos démocraties ».²

La première mesure proposée par la liste social-démocrate consiste à saisir en « totalité » les 206 milliards d’avoirs publics russes gelés dans les banques européennes, et non uniquement leurs bénéfices,³ pour « les affecter au soutien à la résistance ukrainienne ». Selon l’eurodéputé sortant, « chaque euro investi dans la résistance ukrainienne, c’est un euro qu’on investit dans notre propre sécurité ».⁴ S’ajouterait à ce soutien financier un renforcement des sanctions contre le régime russe par l’imposition d’un embargo sur le gaz naturel liquéfié, l’uranium et les engrais. Pareille décision pourrait toutefois engendrer de nouvelles rétorsions de la part de la Russie. Cette dernière avait notamment, début 2022, saisi des actifs d’entreprises occidentales sur son sol en représailles aux sanctions occidentales.

Du côté de l’armement, le programme entend « faire pression sur les Etats membres pour qu’ils produisent et fournissent les armes demandées par les Ukrainiens, notamment en renforçant la directive ASAP sur la production et la livraison de munitions, en incitant les acquisitions conjointes permettant des économies d’échelle et une meilleure coordination des livraisons et en priorisant les livraisons à l’Ukraine »⁵ sur les commandes passées de pays tiers. La France est particulièrement concernée, étant selon Raphaël Glucksmann « incapable de livrer à l’Ukraine plus de 5000 obus par mois alors que la Russie en tire 20000 par jour ».⁶ Un chiffre mensuel qui correspond aux prévisions du ministre Sébastien Lecornu pour la fin 2024.⁷ Les modalités de telles pressions sur les Etats membres ne sont néanmoins pas précisées.

S’il ne préconise pas de restriction quant à l’emploi des équipements ainsi livrés pour frapper le sol russe,⁸ une « ligne rouge » persiste : pas de confrontation directe entre une armée d’un Etat membre de l’UE ou de l’OTAN et l’armée russe.⁹

Une « Europe puissance géopolitique » à renforcer

La liste met en garde une Europe décrite comme dépendante sur le plan de la défense. « Consommatrice de sécurité américaine », elle se retrouverait seule si Trump revenait à la Maison-Blanche. Là où beaucoup invoquent la notion d’Europe de la défense, le programme du Parti socialiste et de Place publique préfère parler d’une « Europe puissance géopolitique ».¹⁰ Comme pour marquer une ambition plus globale qu’une simple extension à la défense du champ des compétences de l’UE.

Pierre angulaire de ce dessein, un « fonds européen de défense »,destiné à l’investissement dans les industries de défense et au renforcement de leurs capacités de production. Alors que le fonds préexistant est doté de 7,9 milliards d’euros, celui-ci atteindrait les 100 milliards. Les deux ayant le même nom, reste à savoir s’il s’agit de renforcer le premier ou de s’y ajouter. Dans tous les cas, les investissements qu’il permettrait seraient réservés aux industries européennes. Ce, moyennant un « Buy European Act » instaurant une préférence européenne en matière d’armement. Les industries de défense qui en seront bénéficiaires « devront donc accepter un contrôle européen accru sur les exportations d’armes ». Avec une Commission européenne jouant un rôle de « centrale de commande et d’acquisition auprès de l’industrie, via des contrats cadres européens à long terme »,¹¹ on parviendrait « à la vision et au cap nécessaires pour réorganiser nos organes de production ».¹²

Autre « investissement stratégique dans notre sécurité » envisagé, l’élargissement de l’UE à de nouveaux Etats représenterait une « victoire géopolitique contre des puissances qui mènent sur ces territoires des opérations d’ingérence ».¹³ L’UE ainsi renforcée mènerait une politique étrangère mêlant Moralpolitik et pragmatisme. La nécessité d’unanimité au Conseil, « qui donne par exemple un droit de veto à la Hongrie sur les sanctions visant la Russie », prendrait fin¹⁴ – mais réformer ainsi les traités européens nécessiterait justement l’accord préalable de ce pays, une hypothèse difficile à imaginer en l’état. De là, on pourrait « étendre les capacités communes de la diplomatie européenne et notamment les représentations et les éventuelles coopérations de l’Union européenne avec les pays respectant les principes de démocratie et de transparence ».¹⁵

Vers une « révolution sécuritaire » intégrée

Au-delà de la défense, le programme prévoit de « protéger nos démocraties contre la guerre hybride et les ingérences étrangères », notamment « en renforçant drastiquement nos capacités de cybersécurité, en coordonnant nos investissements dans la protection de nos infrastructures stratégiques et en multipliant par 10 le budget de l’Agence de cyberdéfense européenne ENISA ». Le terrorisme n’est pas oublié, la lutte contre la radicalisation devant être coordonnée au niveau européen au moyen de coopérations et d’un « protocole européen de partage de renseignement dans le cadre de l’agence européenne du renseignement », un partage qui supposerait que les Etats membres y consentent. Le financement du terrorisme, lui, serait combattu « en faisant appliquer le règlement anti-blanchiment et en obtenant une régulation plus stricte des cryptoactifs en Europe, pour garantir la traçabilité des transactions pour mieux lutter contre le financement du terrorisme ».¹⁶ Autant de perspectives assez imprécises quant aux moyens d’arriver à de tels changements.

La sécurité civile est elle aussi mentionnée à plusieurs reprises dans le projet européen de la liste, dans le cadre de l’adaptation au changement climatique qui nécessite de « revoir à la hausse les moyens des politiques publiques » en la matière. Ce, tout en « harmonisant les formations et la doctrine opérationnelle via la construction d’une Stratégie Européenne de Résilience (SER) et un programme d’échange européen de la protection civile, et en développant le dispositif RescUE auquel il faut une nouvelle réserve de sécurité civile européenne ».¹⁷ RescUE, créé en 2020 face au Covid-19, avait apporté de l’aide matérielle et humaine aux systèmes de santé submergés des Etats membres. Sur ce plan comme sur d’autres, pour Raphaël Glucksmann, « ce que l’Europe a fait face à la pandémie, elle doit pouvoir le faire face à la guerre ».¹⁸

1https://www.rtl.fr/actu/politique/invite-rtl-guerre-en-ukraine-c-est-notre-propre-securite-qui-est-en-jeu-martele-raphael-glucksmann-7900371503

2https://assets.nationbuilder.com/reveillerleurope/pages/176/attachments/original/1715873030/Programme_V6.pdf?1715873030

3https://www.lefigaro.fr/flash-eco/l-ue-prete-a-utiliser-les-avoirs-russes-geles-pour-armer-l-ukraine-20240508

4https://www.rtl.fr/actu/politique/invite-rtl-guerre-en-ukraine-c-est-notre-propre-securite-qui-est-en-jeu-martele-raphael-glucksmann-7900371503

5https://www.glucksmann2024.eu/programme

6https://www.youtube.com/watch?v=bqD5Z0IM4fs&ab_channel=BFMTV

7https://www.laprovence.com/article/france-monde/99751187024463/guerre-en-ukraine-paris-table-sur-une-production-de-4-a-5-000-obus-par-mois-a-fin-2024

8https://www.mediapart.fr/journal/international/290524/frappes-sur-le-sol-russe-le-debat-s-invite-dans-la-campagne-des-europeennes

9https://www.facebook.com/watch/?v=253718863858834

10https://assets.nationbuilder.com/reveillerleurope/pages/176/attachments/original/1715873030/Programme_V6.pdf?1715873030

11Ibid.

12https://www.youtube.com/watch?v=bqD5Z0IM4fs&ab_channel=BFMTV