La France et l’espace : parée au décollage ?

Le 14 juillet dernier, le Président de la République a saisi l’occasion de la Fête Nationale pour présenter ses ambitions en matière de politique spatiale : « L’espace est […] un véritable enjeu de sécurité nationale. C’est pourquoi je veux que nous définissions, au cours de la prochaine année, une stratégie spatiale de défense »1. Dix mois plus tard où en est-on ?

Par Sarah Pineau

La puissance spatiale française : une base technique et industrielle solide…

Derrière le trio de tête composé des Etats-Unis, de la Chine et de la Russie, la France est une puissance spatiale qui compte, comme le rappelle le rapport des députés S. Trompille et O. Becht publié en janvier et consacré au secteur spatial de défense2. En effet, son effort d’investissement public dans le secteur spatial est conséquent : si l’on rapporte les budgets spatiaux civils au nombre d’habitants, avec 35 euros de dépenses par an et par habitant, elle est le second investisseur mondial, derrière les États-Unis ‒ 50 euros ‒ mais devant l’Allemagne ‒ 20 euros ‒ et le Royaume-Uni ‒ 8 euros. Non sans succès, puisqu’en matière spatiale la France est « une base industrielle et technologique de défense reconnue pour son excellence »3. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2017, la filière spatiale française a produit un chiffre d’affaires de 4,6 milliards d’euros et compte 16 000 emplois directs, soit  un peu plus de la moitié du secteur spatial européen, et 35 % de ses emplois4. En outre, pour ce qui est de la recherche, l’ONERA comme le CNES sont connus dans le monde entier, notamment car ils contribuent depuis des années à toutes les grandes réussites spatiales voire les initient, tel que nous l’avons vu dernièrement avec la mise en service de la sonde InSight sur Mars. Enfin, le fait que l’Europe ait une position de premier plan pour ce qui concerne les lanceurs (programme Ariane) bénéficie doublement à la France puisque Kourou, site de lancement de ces fusées, est sur son territoire.

Consciente de la puissance de ses acquis, la France entend poursuivre ses efforts d’investissement dans les prochaines années. La Loi de Programmation Militaire 2019-2025 prévoit par exemple de consacrer 3,6 milliards d’euros au renouvellement des satellites.

mais une vision stratégique à consolider

Si nul n’entend remettre en question la place historique de la France en matière spatiale et ses réussites actuelles, cette assise semble néanmoins vaciller, et ce, pour deux raisons principales.

Tout d’abord l’émergence du New Space5 qui s’accompagne de celle de nouveaux acteurs privés comme SpaceX et Blue Origin aux capacités financières redoutables souvent supérieures à celles des Etats ce qui a pour effet de remettre en cause la gestion régalienne de ce champ.

Ensuite, une accélération de son arsenalisation qui oblige à une révision stratégique en profondeur de notre doctrine spatiale si notre pays entend encore peser à l’avenir. En effet, quoiqu’elle ait été dans les années 1960 la première puissance européenne à se doter d’une agence spatiale lui permettant de conduire des projets ambitieux, jusqu’ici la France a surtout misé sur l’excellence scientifique au détriment de l’excellence stratégique. Or, l’espace n’est pas un terrain neutre mais bien « un champ de confrontation à part entière »6, en témoigne l’espionnage en 2017 du satellite franco-italien Athena-Fidus par un satellite russe. Aussi, alors qu’elle a longtemps plaidé pour une régulation collective de l’espace, la France a désormais compris qu’il lui fallait développer sa propre stratégie. Les chantiers sont nombreux, tant sur la forme – par exemple en terme de gouvernance spatiale : plus de 20 acteurs cohabitent à l’heure actuelle avec une coordination toute relative – que sur le fond, de plus en plus de pays se dotant d’équipements offensifs, que l’on pense au programme chinois Shenlong ou au X 37B américain. C’est sur ces questions que planche actuellement un groupe de travail au sein du ministère des Armées ; ses conclusions sont attendues pour novembre.

Comme le note M. Cabirol « Emmanuel Macron a entre ses mains un changement de doctrine : la France restera-t-elle défensive ou bien deviendra-t-elle une nation offensive dans l’espace à l’image de ce qu’elle a déjà fait dans la cyber?»7. Réponse dans quelques mois.

1Discours du Président de la République à l’occasion de la fête nationale, elysee.fr, 14.07.2018, [En ligne], https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/07/17/discours-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron-a-l-hotel-de-brienne

2BECHT O. et TROMPILLE S., Mission d’information sur le secteur spatial de défense, 15.01.2019, [En ligne], http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1574.asp#P262_20908

3Ibidem.

4 Chiffres issus du GIFAS, Groupement des Industries Françaises de l’Aéronautique et du Spatial.

5Selon le site futura-sciences.com, le New Space désigne «l’ouverture de l’espace à de nouveaux acteurs et une extension du champ d’application des technologies spatiales. Elle se traduit dans les faits par la privatisation de l’accès à l’espace et l’arrivée dans l’économie spatiale d’acteurs de la Silicon Valley et des Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon). Ces nouveaux entrants dans un secteur d’activité qui était jusqu’alors réservé aux États et Institutions publiques font bénéficier au spatial traditionnel des innovations et des technologies issues d’autres sections comme celles du numérique, du Big Data ou de l’aéronautique », [En ligne], https://www.futura-sciences.com/sciences/definitions/new-space-new-space-16591/

6Audition de Jean-Pascal Breton ex-commandant interarmées de l’espace (CIE) devant l’Assemblée nationale en décembre 2017, compte-rendu disponible en ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i0996.asp#P847_215171. Créé en 2010, le commandement interarmées de l’espace (CIE) représente l’état-major des armées pour toute question relative à l’espace et relevant du domaine de compétence des armées. Organisme interarmées sous l’autorité du chef d’état-major des armées, le CIE élabore et met en œuvre la politique spatiale militaire de la France

7CABIROL M. «  La France va-t-elle se lancer dans une stratégie spatiale offensive », 28.11.2018, latribune.fr, [En ligne], https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/la-france-va-t-elle-se-lancer-elle-aussi-dans-une-strategie-spatiale-offensive-3-3-798643.html,