Violences sexuelles dans l’espace numérique: les mineurs en première ligne

De plus en plus connectés, les mineurs sont aussi de plus en plus vulnérables en ligne. « Nos enfants sont victimes en ligne d’atteintes brutales à leur innocence et à leur intimité »1 rappelait en février le ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, Jean-Noël Barrot. Parmi elles, la diffusion non consentie d’images intimes et l’exposition à des contenus pornographiques, deux phénomènes en nette augmentation érigés en priorités nationales.

Par Marie Rollet

Les mineurs de plus en plus exposés

Selon l’Association E-enfance, 82% des mineurs ont déjà été exposés à des contenus pornographiques en ligne. Point de Contact constatait, elle, pour 2021, une nette augmentation des signalements de contenus à caractère sexuel auto-produits par des mineurs, et des signalements concernant des violences sexuelles sur mineurs en ligne (+78% d’URL qualifiées d’exploitation sexuelle de mineurs par rapport à 2020.)

Des tendances qui se sont accélérées avec la crise sanitaire et l’évolution des usages numériques des internautes. « (…) Avec internet et les nouveaux médias, on peut considérer que la pornographie est partout et accessible même par des enfants, en quelques clics. » précise un rapport de l’Académie nationale de Médecine de janvier 2023.2 « Il est difficile d’affirmer si elle est plus violente ou extrême aujourd’hui. Néanmoins, sa diffusion plus grande et plus facile inquiète. »Car les conséquences sur les plus jeunes sont tant comportementales que psychologiques. « Les plus vulnérables vont être imprégnés de ces images. Cela peut provoquer en eux un enfermement dans une vision caricaturale de la sexualité. Ils vont avoir tendance à considérer comme acquis un système extrêmement normé et violent, où la notion de consentement n’existe pas et où la femme est sans cesse méprisée. » précise Béatrice Copper-Royer, psychologue clinicienne spécialisée dans l’enfance et l’adolescence.3 De même, la diffusion non consentie d’images intimes « est en quelque sorte une effraction psychique, une forme de violation de son intimité. C’est très destructeur, un véritable traumatisme. » alerte Justine Atlan, directrice générale de l’Association e-Enfance et du numéro national 3018 – violences numériques.

Une mobilisation globale

La société civile s’est depuis longtemps saisie de ces questions, notamment les associations du « Safer Internet Centre » français : E-Enfance, précurseur de la protection de l’enfance sur Internet, Tralalère et Internet Sans Crainte, qui œuvrent pour la sensibilisation au numérique, et Point de Contact, service de signalement de contenus illicites. Complémentaires, elles agissent à tous les niveaux : sensibilisation, éducation, écoute, soutien psychologique… Sont également mis à disposition des contenus pédagogiques, comme les kits d’Internet sans Crainte, un numéro d’appel national, le 3018, opéré par E-enfance, ou encore des plateformes de signalement, gérées par Point de contact et E-enfance. Au-delà des pouvoirs publics, des partenaires privés se sont aussi ralliés à leur cause dont des hébergeurs, fournisseurs d’accès à Internet, moteurs de recherche, réseaux sociaux…

La lutte contre les violences sexuelles visant les enfants en ligne est une priorité du gouvernement français. En novembre 2022, le président Macron annonçait la création du « Children Online Protection Lab ». L’objectif : créer un espace de partage et d’expertises au niveau international pour agir « vite, efficacement et de manière coordonnée entre les multiples plateformes numériques pour retirer les contenus pédopornographiques ou les contenus intimes qui ont été diffusés sans le consentement des mineurs et de leur famille »4 précisait le Président. Le « Lab » s’est donné un an pour tester et auditer plusieurs solutions. En février, Jean-Noël Barrot annonçait aussi une série d’initiatives destinées à renforcer la protection des mineurs en ligne : généralisation du contrôle parental, vérification de l’âge des utilisateurs de sites pornographiques, sensibilisation des parents…

La technologie au service doutils novateurs

En matière de lutte contre la diffusion non consentie d’images intimes, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont une longueur d’avance. Le mécanisme Report-Remove britannique a été mis en place par la hotline Childline et l’Internet Watch Foundation (ITW), avec l’application d’identité biométrique Yoti. Il certifie l’âge de l’utilisateur, confirme l’illégalité du contenu soumis, et génère pour chaque image un hash, empreinte numérique unique,partagée aux plateformes partenaires pour en détecter toute occurrence ou tentative de diffusion. L’image fait en parallèle l’objet d’une demande de notification et de retrait. Aux Etats-Unis, le dispositif Take it down du NCMEC fonctionne de la même manière, tout en garantissant l’anonymat des utilisateurs.

C’est aussi l’objectif du projet proposé par Point de Contact au Children Online Protection Lab. Avec plus de 30 partenaires internationaux publics, privés, et de la société civile, il ambitionne de créer, au niveau européen, une banque de données partagée et mutualisée d’images hashées. Principale limite de ces dispositifs : ils ne fonctionnent que sur les plateformes partenaires, et ne couvrent ni le darkweb, ni les plateformes ou messageries cryptées.

Limiter laccès aux contenus pornographiques

2023 pourrait connaître un tournant dans la lutte contre l’exposition aux contenus pornographiques. Début février, la France a annoncé la mise en place d’un dispositif imposant aux sites pornographiques de certifier l’âge des visiteurs, sous peine d’être interdits de diffusion sur le territoire national s’il n’est pas effectif d’ici la fin de l’année. Ce système devrait reposer sur un certificat numérique qui s’appuiera sur un tiers de confiance pour garantir l’anonymat de l’utilisateur et éviter le partage des données avec le site consulté.

L’idée est aussi à l’étude dans d’autres pays. « La protection des enfants à l’égard des contenus nocifs était une priorité absolue et elle sera l’une de ses priorités lors de la présidence belge de l’Union européenne. » soulignait en février Mathieu Michel, Secrétaire d’Etat belge à la Digitalisation, chargé de la Simplification administrative, de la Protection de la vie privée et de la Régie des bâtiments.5Il a annoncé que la Belgique travaillait à la mise en place d’outils numériques permettant aux utilisateurs de prouver leur majorité de façon anonyme. Au Royaume-Uni, un projet de loi sur la sécurité en ligne envisage d’imposer aux sites pornographiques de déployer une technologie de vérification d’âge. Des dispositifs qui doivent composer avec les règles de protection des données des utilisateurs notamment.

« Longtemps, l’impératif de protection des données personnelles a empêché la CNIL de développer une doctrine sur les systèmes de vérification d’âge. Aujourd’hui, elle a beaucoup avancé et a réussi à concilier ces exigences avec la nécessité de protéger les enfants. La question de la confiance sera centrale pour que la solution soit adoptée rapidement et que son usage se banalise. » commente Justine Atlan.

Ces dispositifs ne peuvent toutefois constituer qu’une partie de la solution. Les contenus pornographiques se diffusent aussi sur le dark web, par email, sur des messageries et réseaux sociaux, et s’étendent aussi aux textes et aux formats audio…

2023, une année décisive ?

« On a aujourd’hui toutes les raisons d’être optimistes, les choses vont bouger » soutient Justine Atlan. Continuité politique nationale, contexte européen et international porteur, les feux sont au vert. La société a aussi beaucoup évolué sur ce sujet. Elle a pris conscience du volume d’images en circulation, de la facilité d’y accéder, et des dangers qu’elles représentent pour les enfants. Les adultes semblent avoir pris conscience de l’ampleur de ces enjeux quand les acteurs publics sont montés en compétences sur ces sujets. « Nous avons une mobilisation générale, une adhésion de l’ensemble de la population. On sent une véritable volonté politique. Nous sommes dans un vrai cercle vertueux. » conclut Justine Atlan. Premier pas dans cette direction, l’Assemblée Nationale a adoptée le 2 mars un texte fixant une « majorité numérique » à 15 ans. S’en est suivi le 10 mai la présentation du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (SREN). Avec pour objectif de restaurer la confiance indispensable à la transition numérique, la France se dote de douze mesures concrètes pour renforcer l’ordre public dans l’espace numérique autour de 4 piliers : la protection des citoyens (filtre anti-arnaque, encadrement des jeux en ligne…), des enfants (lutte contre l’exposition aux contenus pedo-pornographiques, interdiction des publicités ciblées visant les mineurs), des entreprises et des collectivités (réduire la dépendance des entreprises aux fournisseurs cloud) et de la démocratie (blocage des médias visés par des sanctions internationales, coopération dans la lutte contre la désinformation sur les réseaux sociaux…)

1 Post Linkedin du 8 février 2023

2 23.1.17-Rapport-Acces-a-la-pornographie.pdf (academie-medecine.fr)

3 Interview avec Béatrice Copper-Royer Les risques de la pornographie chez les jeunes – e-Enfance

4 Lancement du Laboratoire pour la protection de l’enfance en ligne. – YouTube

5 Post LinkedIn du 8 février 2023