Contexte sécuritaire de l’industrie pétrolière en Afrique

L’industrie pétrolière, de par sa nature et son déploiement géographique, est très exposée aux problématiques sécuritaires. En effet, une grande majorité des installations de production pétrolière mondiales se trouve dans des zones présentant des contraintes importantes de sureté liées au contexte politique ou économique : Ceci est particulièrement vrai en Afrique où les principaux pays producteurs : le Nigeria, l’Algérie, l’Angola et la Libye (les quatre premiers producteurs Africain par ordre décroissant1) sont régulièrement la cible d’importants épisodes de violence dont le bilan humain et économique est souvent très lourd.

Par Guillaume Niarfeix

Par ailleurs, la nature même des activités de production d’hydrocarbures présente un danger accru en raison de la présence de produits potentiellement dangereux pour l’environnement et le personnel. S’il est aisé de comprendre que du pétrole ou du gaz sous pression puisse présenter un danger important d’explosion ou d’incendie, il faut aussi intégrer l’impact à long terme sur l’environnement de possibles fuites ou pollutions. Le besoin de sécuriser ces installations est donc éminemment important et fait l’objet d’une attention particulière de la part des opérateurs et des autorités nationales des pays concernés.

Des risques divers

Les risques sont donc divers et peuvent avoir, dans certains cas, des conséquences humaines, économiques ou politiques catastrophiques. Les attaques contre des installations de production sont assez fréquentes et peuvent avoir des motifs variés.
Les installations offshores font l’objet d’une très grande attention en raison de leur situation sensible. En effet, une attaque sur une plateforme offshore serait potentiellement catastrophique : il est très difficile de s’enfuir, une fuite d’hydrocarbure est quasiment incontrôlable et une intervention des services de sécurité y est très compliquée.
Même si ces attaques sont peu fréquentes en raison de leurs difficultés opérationnelles, les pirates présents dans le golfe de Guinée n’hésitent pas à s’en prendre aux bateaux de ravitaillement approvisionnant les plateformes en matériel et/ou en personnel.

Les navires de transport international sont aussi régulièrement la cible de ces pirates du fait de la valeur de leur marchandise, de leur équipage étranger et de leurs faibles moyens de défense.

Les installations onshore sont, elles, plus exposées en raison de leur relative facilité d’accès. Elles sont donc plus régulièrement attaquées.
La plupart du temps il s’agit de tentatives de vol de pétrole qui sont faites dans des zones peu protégées avec une prise de risque minimale des auteurs.
Si l’impact économique et humain est en général modéré en raison de la faible quantité de produit concernée et de l’absence de personnel sur la zone, il peut dans certains cas conduire à des pollutions importantes voire à des catastrophes suite à l’explosion de l’installation.

De manière moins fréquente, ces attaques peuvent avoir des motifs politiques ou mafieux et avoir des conséquences importantes du fait de leur magnitude. Le MEND2 (dont les objectifs politiques sont souvent mis en doute) est, par exemple, coutumier du fait dans le Delta du Niger et privilégie, en général, des actions d’éclat comme la pose d’explosifs sur des pipelines ou des dépôts de carburant.

Le principal problème restant évidemment les attaques ciblant le personnel ou les sous-traitants des opérateurs. Les kidnappings, fréquents au Nigeria ou en Lybie, sont la hantise des sociétés du secteur et ont en général un objectif crapuleux mais peuvent, dans des cas plus rares, avoir pour objectif de faire pression pour la poursuite d’objectifs politiques ou liés aux affaires.
Les attaques à plus grande échelle sont, quant à elles, beaucoup plus rares mais ont un impact important comme on a pu le voir en 2013 lors de l’attaque à In Amenas du site de Tiguentourine ayant fait 38 morts3 ou bien encore en 2017 lors de l’attaque dans le Nord Est du Nigeria d’une équipe d’exploration de la compagnie nationale NNPC ayant fait plus de 50 morts au sein des forces de l’ordre et du personnel de la société.4


Emergence du Risk Cyber

L’instabilité politique et les menaces d’atteintes aux installations ou aux personnes occupent le haut des registres des risques depuis plusieurs décennies mais on assiste à l’émergence des risques cyber depuis quelques années
Les sociétés pétrolières sont des cibles de choix pour les cybercriminels en raison de leur forte dépendance à des process d’automatisation ainsi que des conséquences importantes du moindre dysfonctionnement. Plusieurs sociétés ont récemment dû faire face à des situations d’arrêt de production.
De manière similaire, une atteinte à l’intégrité ou à la confidentialité des données peut avoir un impact catastrophique sur les opérations ou la rentabilité des sociétés du secteur. Si ce problème n’est pas spécifique à l’Afrique, il vient s’ajouter aux incertitudes liées à l’investissement dans les infrastructures lourdes et a un impact certain sur les coûts de production.

Une réponse adaptée

Pour répondre à ces menaces, les industriels ont développé des mesures et des process qui n’ont rien à envier aux professionnels du secteur. Il n’est pas question d’exposer le personnel à des menaces sur leur intégrité physique ou de permettre l’entrave de l’activité de l’entreprise par des acteurs externes. Il est donc nécessaire de mettre en place des mesures de sécurité adaptées et efficaces.

La plupart des opérateurs du secteur ont un service de sécurité à la hauteur de la situation. En plus d’une équipe dédiée en interne, des contrats sont passés avec des sociétés de sécurité privée et dans certains cas avec les forces de police ou militaires locales.

A titre d’exemple, la plupart des sociétés productrices emploient des anciens militaires des forces spéciales ou des services de renseignement pour organiser et diriger leur département sécurité. Les anciens membres des SAS5 sont monnaie courante dans les sociétés anglo-saxonnes alors que les sociétés françaises leurs préfèrent en général des anciens du « service action » de la DGSE6 ou des forces spéciales qui, en plus d’une bonne connaissance du terrain et de relations privilégiées avec leurs anciens services, sont capables de diriger des équipes, de définir des procédures adaptées, d’organiser une cellule de crise et surtout de réagir avec sang froid face à une situation complexe et anxiogène.
A noter que les anciens membres des forces de sécurité locales sont de plus en plus présents aux postes clés. C’est, par exemple, le cas au Nigeria où les règles de contenu local couplées à la grande compétence des anciens membres des DSS7 ont fait de ces derniers des recrues de choix.

De manière opérationnelle, les mouvements de personnel dans les zones réputées dangereuses se font de manière quasi militaire avec des déplacements en convois escortés par les forces armées et des zones résidentielles protégées par des murs d’enceinte et du personnel militaire.
Les installations sont, elles aussi, protégées par des sociétés privées ou via des contrats avec les autorités locales.

On peut, par exemple, citer des mouvements de personnel et de matériel entre la base logistique d’Onne au Nigeria (l’une des plus grandes bases logistiques pétrolières d’Afrique de l’Ouest) et les installations offshores. Des convois sont organisés deux fois par jour pour entrer ou sortir de la base et faire les 20 miles marins de rivière permettant d’accéder à la haute mer. Ces convois sont protégés par la Marine Nigériane et sont escortés par des speedboats lourdement armés. Malgré cela les attaques sur la Bonny River ne sont pas rares.
En plus du surcoût généré par ces mesures de sécurité, le fait de ne pas pouvoir entrer ou sortir de la base logistique à toute heure a un impact très important sur les opérations et l’organisation de la logistique.

En cas de kidnapping, les négociations sont en général confiées à des sociétés spécialisées qui, toujours en lien avec les autorités, s’occupent de la gestion de crise de manière holistique. Des sociétés comme Control Risk ou Risk & Co se sont fait une spécialité de conseiller les sociétés pétrolières dans ces situations.

Cependant, une réelle économie de la sureté s’est développée et une multitude d’acteurs publiques ou privés profitent de la situation et vont jusqu’à organiser l’insécurité ou au moins en exagérer la magnitude.

Une tendance au désengagement des opérateurs historiques

Cette difficulté à sécuriser les installations de production résulte dans des attaques ou des sabotages qui entrainent une perte de chiffre d’affaires mais aussi – et surtout – des fuites et des pollutions qui sont d’autant plus difficiles à contrôler que la zone est instable.

En raison de ces difficultés à opérer en toute sérénité tout en garantissant la sécurité des installations et du personnel, un grand nombre d’opérateurs historiques et de multinationales se désengagent des zones les plus difficiles au profit d’opérateurs locaux ou régionaux qui n’ont pas les moyens ou la volonté d’investir de manière aussi massive dans la sécurisation des sites.
En résulte une multiplication des accidents, attaques, fuites ou atteintes en tous genres à l’intégrité des installations ou des personnes dont l’impact est toujours plus grand.

1 https://organismes.org/classement-des-pays-producteurs-de-petrole-en-afrique/

2 Movement for Emancipation of the Niger Delta

3 https://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/algerie-37-etrangers-et-un-algerien-ont-ete-tues-a-tiguentourine_1211962.html

4 https://www.telegraph.co.uk/news/2017/07/28/boko-haram-attack-nigeria-oil-team-killed-50/

5 SAS : Special Air Service – (UK)

6 DGSE: Direction Générale de la Sécurité Extérieure – (France)

7 DSS : Department of State Services – (Nigeria)