Délinquance financière et lutte contre le financement du terrorisme : le renforcement du dispositif français

La délinquance financière s’affiche comme un phénomène complexe, croissant et coûteux pour les finances publiques incluant la problématique de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.
Face à ce constat, et des enjeux majeurs de souveraineté qui en découlent, la France et l’Europe doivent renforcer leurs dispositifs de lutte contre ce fléau qui trouve notamment un nouvel essor grâce à l’avènement du numérique.

Règlementation coordonnée, unités de contrôle, outils et moyens sont les 4 piliers essentiels pour réussir.

Un phénomène hétérogène en croissance tendancielle

En mars 2019, deux députés, Ugo Bernalicis et Jacques Maire, ont présenté, au nom du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, un rapport sur l’efficacité de la lutte contre la délinquance financière en France.

Celle-ci revêt des formes multiples si bien qu’il est difficile d’en définir les contours. D’après les statistiques du ministère de l’Intérieur, près de 409 000 escroqueries et infractions économiques et financières ont été enregistrées en 2018 (+19,8 % par rapport à 2013). Les escroqueries et abus de confiance représentent 230 000 affaires, soit près de 56 %. Suivent les fraudes aux moyens de paiement (31 %). La fraude à la carte bleue représente 14 % du total, pour un montant annuel de 361 millions d’euros. En 2017, plus de 1,2 million de ménages en ont été victimes.

Pour faire face à cette criminalité, la France dispose d’ores et déjà d’un arsenal législatif sur le sujet : la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et la loi organique relative au procureur de la République financier de décembre 2013 ; la loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale et la loi réformant le système de répression des abus de marché de juin 2016 ; et la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique de décembre 2016, dite loi « Sapin 2 ». Enfin, la loi relative à la lutte contre la fraude est entrée en vigueur en octobre 2018.

Au-delà de cet aspect législatif, les deux parlementaires notent « une absence préoccupante de coordination interministérielle de la politique publique de lutte contre cette forme de délinquance. » et soulignent « une détection reposant largement sur les acteurs privés, des résultats en demi-teinte en matière de contrôle fiscal, une organisation complexe des services enquêteurs, et des juridictions spécialisées en situation d’engorgement. »

La délinquance financière qualifiée de « phénomène hétérogène, en croissance tendancielle » par les deux rapporteurs doit donc voir son dispositif de lutte renforcé.

Pour améliorer les résultats de cette politique publique, les rapporteurs ont émis 25 propositions et estiment que la priorité doit être donnée « à l’accélération de la réponse pénale et au renforcement de l’efficacité des sanctions financières, que sont les amendes, les saisies et les confiscations. »

Améliorer la réactivité des dispositifs de LCB-FT

Face aux lacunes de la supervision de la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme (LCB-FT) dans de nombreux pays européens (Lettonie, Danemark, Pays-Bas, Malte, etc.), des intérêts prudentiels et LCB-FT divergents et des directives appliquées de manière hétérogène, la direction générale du Trésor appelle à la création d’un échelon européen de supervision, en renfort/surveillance de l’échelon national, capable de donner des injonctions au superviseur national et de le suppléer quand il est défaillant. Elle aspire également à l’harmonisation des règles applicables au secteur financier via un règlement. « En parallèle de la règlementation européenne et des organes de contrôle, des outils et des moyens sont absolument essentiels pour assister les opérateurs dans leurs missions devenues de plus en plus complexes » souligne Fanch Francis, directeur général Oak Branch du groupe Deveryware. En effet, alors que les nouvelles technologies sont détournées par les criminels, elles sont aussi source de nouvelles opportunités au service d’une meilleure efficience des États et des services compétents. Outre le recours à la Blockchain, les députés Bernalicis et Maire proposent de développer les outils d’exploitation et de croisement de données reposant notamment sur l’intelligence artificielle afin de contribuer au ciblage des enquêtes. « C’est exactement ce à quoi nous nous attachons avec notre plateforme “Détectionqui permet de rapprocher des millions de données et de recouper celles-ci, quel qu’en soit le format. » ajoute Xavier Houillon, Directeur général opérationnel adjoint de Oak Branch. La plateforme Détection, grâce aux processus automatiques et assistés offre le traitement d’une multitude d’informations, pour distinguer les plus insignifiantes de celles identifiées comme « cruciales » dans des fichiers souvent cloisonnés par services ou issus de vaste volume de données saisies. « Face à l’accroissement du nombre de données générées quotidiennement, le monde de l’investigation judiciaire ou financière doit pouvoir s’appuyer sur des outils d’aide à la décision fiables et efficaces. Cela passe par une compilation des données pour apporter un gain de temps précieux aux opérationnels, mais également la possibilité de corréler des éléments entre eux afin d’émettre une hypothèse. Ces rapprochements sont rendus très difficiles pour les forces de l’ordre lorsque l’on parle de centaines voire de milliers de documents à traiter dans des affaires complexes. Il est donc aujourd’hui vital pour les opérationnels du monde de la sécurité et de la défense de disposer d’outils permettant le traitement et l’analyse à valeur ajoutée de ces quantités de données. » détaille Fanch Francis et de poursuivre « Ces données sont ensuite compilées avec des données légales ou règlementaires, et croisées au moyen d’outils d’analyse sémantique, relationnelle et statistique, les rendant déterminantes dans le cadre d’une enquête criminelle ou financière. La solution est aujourd’hui utilisée dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale. » souligneFanch Francis et d’ajouter « toutes les fonctionnalités existantes et à venir permettent également d’adresser les problématiques de blanchiment de capitaux, de financement du terrorisme. »

Des analyses qui viennent compléter l’intuition de l’enquêteur ou de l’agent et passent systématiquement par son filtre. « On replace l’intelligence humaine là où elle est la plus utile, c’est-à-dire dans l’interprétation. » ajoute Fanch Francis.

Au-delà de la technologie, Fanch Francis appelle également à une harmonisation des règlementations au niveau européen, « condition sine qua non à une réponse coordonnée et efficace. » Le blanchiment repose désormais largement sur l’internationalisation des flux, « ce qui complique le travail des enquêteurs et des magistrats du fait des différences de règlementation entre les pays. Des décalages existent en effet entre les législations et dans les modalités de supervision. » ajoute Fanch Francis.

« Au-delà de l’impact financier direct et immédiat de la fraude, les entreprises s’exposent à des coûts indirects (climat social, réputation, qualité de son recrutement) qui reposent de plus en plus sur des valeurs telles que l’intégrité et l’éthique.

Ainsi, nous intervenons en amont de la fraude en mettant en place des dispositifs de prévention et de détection, et en aval par la création d’une Task Force chez le client chargée de conduire l’investigation. Notre capacité à extraire, regrouper et enrichir les données permet la résolution rapide et confidentielle des problématiques en matière de fraude et de criminalité financière de nos clients » souligne Xavier Houillon.

Evaluation de la France en 2020

Alors que la conformité technique et l’effectivité du dispositif français de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme seront évaluées entre l’été 2020 et 2021 par le Groupe d’action financière (GAFI) — organisme intergouvernemental créé en 1989 dont l’objectif est d’élaborer des normes et de promouvoir l’action de ses membres en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et les autres menaces liées à l’intégrité du système financier international — l’appui de ces outils technologiques pourrait représenter une valeur ajoutée majeure. « Des déploiements avec Interpol, l’Allemagne et la Belgique notamment attestent d’un intérêt et d’une utilité de telles plateformes analytiques pour les opérationnels en charge de ses dossiers sensibles. » explique Fanch Francis.

Le projet d’évaluation fera l’objet d’une discussion en séance plénière du GAFI au début de l’année 2021, après quoi il sera adopté. « Si la France ne devrait pas être placée dans la liste des pays non coopératifs, une mauvaise évaluation nuirait très fortement à sa réputation. Par ailleurs, et en fonction des éventuelles défaillances relevées par les évaluateurs, le GAFI pourrait ordonner à la France la mise en œuvre, dans un délai imposé, d’un plan d’actions général ou sectoriel dont il assurerait directement le suivi. » souligne l’ordre des experts comptables1.

Des pratiques frauduleuses reposant largement sur le numérique

Les pratiques frauduleuses s’avèrent aussi de plus en plus sophistiquées et reposent largement sur le numérique. « À chaque extrémité du spectre, la délinquance financière repose sur une exploitation judicieuse et massive des nouvelles technologies ; les innovations servent de support à de nouvelles formes d’escroquerie qui organisent, à partir de l’actualisation de schémas classiques, à la fois des “casses” spectaculaires et des rapines à grande échelle qui ont en commun d’être silencieux. Les acteurs du blanchiment trouvent des alliés chez les nouveaux prestataires de services de paiement dont les clients (re) gagnent un anonymat bien souvent gage d’impunité. » alerte le rapport parlementaire. Au panorama des arnaques en tous genres figurent le « Miroir aux alouettes, l’hameçonnage, la captation des données et les nouveaux produits ».

À l’échelle mondiale, les revenus annuels générés grâce « aux miroirs aux alouettes » dépasseraient le milliard de dollars. Pour ce qui est de la France, Tracfin estime, pour chaque site, le préjudice compris entre 200 000 et 3 millions d’euros.

« Hameçonnage » et captation des données

La gamme des possibilités est très étendue, la fraude « au président » ou « faux ordre de virement » étant la plus importante et l’une des plus persistantes. Selon Tracfin, le préjudice global était estimé fin 2015 à environ 500 millions d’euros pour plus de 1 550 victimes, les tentatives représentant plus de 860 millions d’euros. Bien que les statistiques de la police judiciaire fassent état d’un tassement du phénomène des FOVI depuis quatre ans, Tracfin ne constate pas de diminution sensible et reçoit depuis 2014 entre 70 et 120 signalements par an. Le préjudice cumulé évoqué par la directrice de l’OCRGDF était de 700 millions, pour des tentatives se montant à 1,3 milliard.

Le pouvoir des nouvelles technologies détourné

La délinquance financière est un phénomène mouvant qui accompagne les évolutions de la société. En témoignent les phénomènes récents « d’escroqueries aux quotas carbones et les infractions qui concernent les cryptomonnaies ».

Chaque innovation technologique ou économique suscite donc l’imagination des escrocs. « La gigantesque escroquerie sur les quotas carbone, dont les auteurs ont réussi à soustraire 1,6 milliard d’euros à l’État français, en recyclant le schéma du carrousel de TVA aussi ancien que l’impôt lui-même » en est une illustration.

En matière de technologie, ce sont les cryptomonnaies qui ont attiré l’attention et les certificats d’économie d’énergie qui sont le dernier avatar du marché en tant qu’instrument de politique économique. De nouveaux acteurs à risques, services de prestations de paiement, émetteurs de monnaie électrique et plateformes d’échange de cryptomonnaies entre elles et de cryptoactifs contre cryptomonnaies, qui doivent donc être assujettis au dispositif de lutte contre le blanchiment, conformément aux recommandations du GAFI. « La transposition de la 5e directive anti-blanchiment en ce début d’année 2020, la création d’un fichier européen et les possibilités de coopération entre les cellules de renseignement financier européennes devraient corriger certaines des failles et fluidifier les échanges entre les différentes autorités nationales. » souligne Xavier Houillon.

Règlementation coordonnée, unités de contrôle, outils et moyens, le dispositif français sera passé au peigne fin cette année. L’occasion de s’interroger et d’anticiper sur de nouvelles évolutions, adaptations et améliorations du schéma national existant pour faire face aux menaces de BC-FT, en évolution permanente en intégrant notamment une analyse et un suivi accru des services non financiers, et particulièrement l’univers du financement participatif et le monde de l’art et du luxe qui affichent selon le rapport 2019 du Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB) une cotation du risque/menace BC-FT de niveau élevé.

  1. http://sic.experts-comptables.com/sic-n°-384/exercice-professionnel/lutte-contre-le-blanchiment-la-france-évaluée-en-2020-par-le-gafi

Sources :

Analyse nationale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme en France — Rapport du Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB) — septembre 2019

Rapport d’information déposé par le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’évaluation de la lutte contre la délinquance financière — mars 2019