La puissance technologique des Nordics

Loués pour leurs systèmes éducatifs, caracolant régulièrement en tête des indices mesurant la démocratie ou la liberté de la presse, les pays nordiques occupent également une position de leader sur certains secteurs technologiques. C’est le cas de la biométrie. Pour autant et même si elles comptent parmi les nations les plus digitalisées au monde, les Nordics doivent faire face à l’éveil de la concurrence, alors que le marché s’apprête à croître de manière exponentielle.

Par Corentin Dionet

Les secteurs de la biométrie et de l’identité numérique sont en pleine expansion. Pour preuve, l’Union européenne a légiféré sur le sujet. Le règlement relatif au système d’entrée/sortie (EES) de l’Union européenne, adopté en 2017, impose le relevé et l’identification de données biométriques, notamment d’empreintes digitales et de visages, des ressortissants de pays tiers aux frontières extérieures de l’espace Schengen. « Le nouveau système sera mis en place par l’eu-LISA1, conjointement avec les Etats membres et pourrait être opérationnel d’ici fin septembre 2022»2.

Identité spécifique

Jean-Noël Georges, Chief strategy officer (CSO) chez Pone Biometrics, une entreprise norvégienne proposant OFFPAD, une carte biométrique permettant d’accéder à des services digitaux via son empreinte digitale, indique : « Les pays nordiques ont été les premiers à utiliser les réseaux privés, en loccurrence, les banques, pour délivrer une identité digitale : cest lapplication BankID ». Dès 2003, en Suède, la première e-identification via Bank ID était réalisée, l’Union européenne ayant amendé ses lois deux ans plus tôt pour conférer aux signatures électroniques et manuelles la même valeur. Pourtant, la biométrie est l’un de ces sujets qui ont longtemps défrayé la chronique et déchainé les passions, en France, comme en Europe. Ce, notamment car il était assimilé à une intrusion dans la vie privée et à une forme de surveillance étatique. Comment se fait-il donc que ces technologies aient été si facilement et rapidement intégrées par la population dans les pays nordiques ?

« En Norvège, il existe une forte communauté de spécialistes de la cryptographie, qui ont réussi à susciter des vocations. Les Norvégiens commencent par faire confiance. Ils nont pas la même histoire que nous durant la Seconde Guerre mondiale car ils nont pas connu le même type de police dEtat. Ils nont pas cette peur, par exemple, de voir s’établir un fichage et une surveillance de la population » explique Jean-Noël Georges.

Puissance collective

Parmi les technologies essentielles pour parvenir à peser sur le marché, se trouvent au premier rang les capteurs d’empruntes biométriques. Aujourd’hui, trois sociétés scandinaves font figure de leader : Next Biometrics et IDEX Biometrics, des sociétés norvégiennes et Fingerprint Cards (FPC), une société suédoise. « Ce sont les plus crédibles dans le monde » dévoile le spécialiste.

La première a notamment annoncé en février dernier l’achat, par Ngrave, une entreprise belge spécialisée dans la conception de portefeuilles de cryptomonnaies, de 200 capteurs d’empreintes pour un montant de 3,1 millions de couronnes norvégiennes3. La deuxième, également en février, a annoncé le déploiement à l’échelle de cartes biométriques pour les clients de la banque suédoise Rocker, en partenariat avec Idemia4. La dernière, quant à elle, a dévoilé en juin le développement d’une carte biométrique « avancée », en collaboration avec l’acteur chinois Feitian technologies, visant à attaquer le marché des cartes de paiements5.

L’agilité des entreprises nordiques leur permet également de gagner en compétitivité. Avec 5 millions d’habitants en Norvège, en Finlande et au Danemark, et 10 millions en Suède, les Nordics ont conscience qu’ils n’ont pas la taille critique pour travailler seuls. Ils multiplient ainsi les coopérations et restent très ouverts sur les technologies extérieures. Une ouverture et une flexibilité illustrées par la possibilité « d’accéder rapidement à des hauts niveaux de décision », selon Jean-Noël Georges.

Mais un leadership menacé ?

Comme dans de nombreux secteurs ayant trait à la technologie, la Chine semble être un partenaire incontournable, notamment parce que la majorité des composants électroniques y est produite. La montée en puissance du continent asiatique est ainsi identifié comme une première menace à la suprématie nordique : « Des compagnies asiatiques tentent dinvestir le marché, mais, à l’heure actuelle, elles le font avec des produits bien inférieurs en termes de qualité. Pour autant, ils progressent vite » pointe le CSO. La puissance financière des entreprises chinoises, leurs moyens humains, la taille du marché de l’Empire du Milieu ainsi que la rapide montée en compétences des compagnies spécialisées, couplée à l’ouverture des sociétés nordiques facilite désormais la coopération entre les deux parties.

La seconde réside dans l’avènement de solutions software qui se mettent en place pour la capture de la reconnaissance faciale. Mais, elle reste à nuancer. Là encore, l’une des entreprises leader dans le domaine est norvégienne. Signicat, spécialiste de la signature électronique, propose une variété de solutions biométriques. Possédant une large base de données d’identité numérique ainsi que plusieurs services de vérification d’identité, l’entreprise propose à ses clients – compagnies et institutions – de rationnaliser l’accès à leurs sites et applications en offrant un service rapide et efficace, permettant d’attirer et conserver les flux d’utilisateurs. Elle a également acquis la compagnie britannique Sphonic, spécialisée dans les technologies liées à l’identité numérique et la lutte contre la fraude.

Reste toutefois les débats autour de la centralisation des informations biométriques collectées. « Pendant très longtemps, on centralisait les bases de données biométriques, notamment aux Etats-Unis et en France, dans des endroits uniques, extrêmement sécurisés. Or, si quelquun entre dans le système, toute la population est compromise. Pone Biometrics souhaite minimiser les risques, en permettant à chaque individu de contrôler sa biométrie, provoquant un changement de paradigme, puisque ne centralisant pas les données collectées » dévoile Jean-Noël Georges. Alors qu’une lente prise de conscience prend forme dans nos sociétés sur l’absolue nécessité de protéger ses données, cette responsabilisation du citoyen pourrait s’avérer clé dans un avenir très proche.

Un marché en pleine croissance

Le secteur de la biométrie est en pleine évolution, notamment grâce à des applications simples utilisées quotidiennement, à l’instar du Face ID d’Apple qui permet de déverrouiller son appareil mobile. « Cette démocratisation permet dimaginer l’émergence de deux marché: lun pour les individus, puisque lon utilise déjà la biométrie pour les passeports en Europe. Et lautre militaire et étatique, où certains acteurs, comme Thales, par exemple, seront bien positionnés du fait de leur niveau de sécurité » prévoit le spécialiste.

Les acteurs de lidentity access management (IAM) imaginent déjà le monde de demain, sans mots de passe, développant les solutions du futur qui accroîtront plus encore le rôle de la biométrie. L’écosystème de ce domaine, lui, anticipe les ruptures technologiques, à l’image de la cryptographie post-quantique (PQC). « Du fait de la petite capacité de mémoire et de calcul de notre solution, nous avons besoin de light weight cryptography. Soit des optimisations dalgorithmes permettant de calculer rapidement sans trop utiliser de ressources. Notre objet nest connecté que durant lidentification. La surface dattaque et la fenêtre dopportunité sont donc très réduites » dévoile le CSO. La Norvège est en retard sur le champ de la PQC, ayant ouvert son premier centre spécialisé en février 2021, qui vise à développer des software permettant l’application de cette nouvelle technologie. A l’inverse, l’écosystème est extrêmement développé en Finlande, grâce à l’existence d’une chaîne de valeur complète. Le Centre de recherche technique finlandais VTT a développé un ordinateur quantique de 5 qubits, en collaboration avec la start-up IQM, qui peut servir de preuve de concept alors qu’Helsinki se prépare à entrer dans la phase de l’industrialisation. L’ambition finlandaise est d’étendre les capacités de calcul à 20 qubits en cette année 2022.

1 Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

2 Conseil européen : « Les systèmes informatiques pour lutter contre la criminalité et sécuriser les frontières de l’UE ».

3 Next Biometrics : « NEXT Biometrics receives NOK 3.1 million recurring purchase order from crypto- wallet provider NGRAVE ».

4 Idex Biometrics : « Rocker launches first biometric payment card in Sweden in partnership with IDEX Biometrics and IDEMIA »

5 Fingerprints : « Fingerprints and Feitian announce advanced biometric card solution, bringing biometric payment cards to the global market »