Mobilisons la filière Sécurité

Par Marc Darmon, président du CICS et Stéphane Schmoll, président de la commission stratégique du CICS

Les attentats de janvier 2015 à Paris ont en effet choqué en France comme partout ailleurs dans le monde. Et aujourd’hui, l’effroi et le changement d’échelle des attaques du 13 novembre 2015 lancent à tous et à chacun d’entre nous des défis d’une nouvelle ampleur. Dans ce conflit inédit, les entreprises de la filière nationale de sécurité ressentent plus que jamais le besoin de se mobiliser et de mobiliser l’Etat à leurs côtés pour transformer l’exigence forte de sécurité nationale en une ambition partagée. Elles affichent leur volonté forte de s’engager et d’entrer en résistance à leur manière aux côtés des pouvoirs publics, en coproduisant des réponses efficaces, fruits d’une nouvelle forme de dialogue entre le public et privé.

Sécurité nationale : une coproduction public/privé 

Ainsi avant et après Charlie, les industriels français ont conçu et développé des technologies et des équipements à la fois plus efficients pour la prévention, l’élucidation et la résilience. Des séances interactives de retour d’expérience avec les services opérationnels ont été organisées de façon assez inédite par la nouvelle Délégation Ministérielle aux Industries de Sécurité du ministère de l’Intérieur. Et ce sans sacrifier aux fondamentaux démocratiques, pour que les nouveaux outils technologiques respectent parfaitement les libertés individuelles, dans un cadre d’emploi négocié et balisé, dans l’intérêt général.

Fédérer les capacités collectives

Dans cette lutte contre un ennemi, sans Etat ni armée, l’utilité du renseignement a fait l’unanimité. Qu’il soit humain ou technologique, y compris avec la collaboration de pays amis, il permet de détecter les menaces, de les caractériser, de les modéliser et de les combattre. Désormais, on sait mieux appréhender les risques cyber ou les menaces chimiques ou radiologiques. On comprend mieux les liens entre les trafics de stupéfiants ou d’armes et le terrorisme, notamment par le travail  minutieux des forces de sécurité et des magistrats spécialisés. Sur le papier, les moyens techniques ne manquent pas : drones, détection de substances dangereuses, renseignement électronique à travers les réseaux numériques, vidéo intelligente, PNR et bien d’autres. Donc oui, on peut aujourd’hui anticiper et mieux déceler les signaux faibles. Mais il reste encore beaucoup à faire pour les déployer efficacement. Seule une volonté commune pour se doter de capacités collectives par exemple en intelligence artificielle, en technologies d’apprentissage profond ou auto-apprenantes ainsi qu’en chiffrement nous permettra d’accélérer notre effort d’innovation dans une société chaque jour plus numérique, connectée et génératrice de données souvent sensibles.

Un écosystème prometteur

Les industriels de la sécurité ont pleine confiance dans leurs capacités et leur expertise. De la défense à la sécurité, nos champions nationaux de toutes tailles excellent dans de nombreux domaines : fusées, avions, radars, drones, cybersécurité, renseignement numérique, identité numérique, authentification de documents, géolocalisation, biométrie, etc. aux côtés de laboratoires publics et privés très pointus et de groupes de réflexion respectés travaillant sur le droit, la sociologie, l’économie ou la communication. Les aides publiques dont nos grands groupes et PME peuvent bénéficier sont parfois jalousées par d’autres pays. Mais leur efficience peut largement être améliorée. Nous devons tout d’abord nous rassembler davantage pour mieux coproduire avec les administrations, dans un dialogue rénové. Le CICS (Conseil des Industries de la Confiance et de la Sécurité) lui-même a entrepris de faire évoluer ses statuts pour rassembler davantage ses bataillons d’entreprises et de groupements professionnels de toutes tailles.

A notre tour de passer à l’acte !

Les terroristes disposent de moyens importants et d’une volonté déterminée de nous atteindre. Ils visent loin, profond et bougent vite. Relisons Sun Tzu pour mieux adapter notre stratégie et notre action à la nécessité. La création de la filière de sécurité il y a deux ans a certes conduit les acteurs publics et privés à se rapprocher pour mieux défendre notre pays et nos entreprises, avec un début de gouvernance commune. Comme indiqué dans le précédent numéro de S&D Magazine[i], beaucoup a été fait en deux ans, et la nouvelle feuille de route du COFIS est prometteuse. Mais la productivité de la comitologie retenue, plus ou moins calquée sur les méthodes habituelles intra-gouvernementales  et celles des groupements industriels, est à paradigme constant. Les démonstrateurs innovants peinent à trouver leurs financements, et la filière tarde à mobiliser, des deux côtés, cause ou conséquence de ses trop lents progrès.

On admire parfois l’audace et l’efficacité de nos amis et concurrents anglo-saxons, tout en soulignant les différences culturelles qui limitent les comparaisons. Le terrorisme, lui, se fiche de ces nuances de l’Occident, qu’il vise sans discernement.

L’exemple britannique

A l’occasion de Milipol 2015, le CICS a eu l’opportunité d’échanger avec son homologue le RISC UK[ii], qui a été moteur dans la création du COFIS britannique le SRPG (Security and Resilience Growth Partnership)[iii] et leur plateforme commune de planification et de démonstration, le SIDC (Security Innovation and Demonstration Centre)[iv]. Chez nos cousins d’outre-Manche, pourtant soumis au même code européen des marchés publics, il est frappant de constater l’imbrication beaucoup plus forte des administrations et des industriels dans la gouvernance des travaux communs, l’analyse, la mise en œuvre et même le financement des solutions. La gouvernance est mixte, sans prééminence, avec des passerelles systématiques des carrières et missions entre le public et le privé, dans les deux sens. Les structures de gestion de la filière sont claires, attirantes pour ceux qui souhaitent y contribuer, et les prises de décision sont communes, voire même parfois prises à la demande des industriels, qui apportent leurs solutions à une administration pragmatique, que ce soit pour la réponse aux besoins régaliens ou pour la défense de leur industrie à l’international. Nous y reviendrons bientôt.

Transgresser les limites de nos paradigmes

Pourquoi ne pas aligner ce qui peut l’être sur leurs meilleures pratiques ? C’est en ce sens que des bonnes volontés ont proposé la mise en place d’un groupe de réflexion stratégique composé d’experts du public et du privé dans l’objectif de désigner et de prioriser rapidement les meilleures mesures à prendre. Une véritable force d’expertise et de réaction rapide serait ainsi créée pour élaborer des contremesures aux menaces redoutées ou avérées, comme cela a été fait pour la lutte contre les drones malveillants. Les défis ne manquent pas, au quotidien pour protéger sa population et ses infrastructures matérielles et logicielles, tout comme lors de l’organisation de grands événements. La filière n’a pas eu le temps de montrer pleinement ses capacités à l’occasion de la COP21 mais il n’est peut-être pas trop tard pour l’Euro2016, sur lequel l’attention se focalise désormais. Nous avons aussi l’opportunité d’innover rapidement dans la protection des frontières de l’Union, dans la gestion des migrants, avec le PNR, la biométrie, le renseignement numérique, l’observation satellitaire intelligente, etc. Nous devons conjuguer l’audace technique, l’audace opérationnelle et le pragmatisme juridique.

Si cette « task force » démontre son efficacité dans le respect du droit, il restera au politique à faire en sorte que son administration en accepte les recommandations et les mette en œuvre. Les pouvoirs exécutif et législatif ainsi que les autres autorités concernées devront avancer de concert. Les hauts-fonctionnaires de défense et de sécurité pourraient coopérer davantage et coordonner leurs actions avec la DMIS du ministère de l’Intérieur, seule autorité actuelle en contact opérationnel avec l’industrie de sécurité. Parallèlement, les industriels devront se montrer capables de s’organiser pour apporter des réponses concertées et les mettre en œuvre rapidement. Dans certains cas, notamment pour des réponses tactiques avec un grand rapport efficacité/coût, l’expérimentation de solutions innovantes pourra être décidée sans attendre le financement de démonstrateurs. Les industriels pourront ainsi faire la preuve de l’efficacité de leur technologie et disposer d’une vitrine nationale facilitant l’export.

Valoriser nos atouts

L’analyse du marché et des acteurs de la filière industrielle française de sécurité, récemment publiée[v], a confirmé l’incroyable richesse de notre écosystème national. Nos institutions gouvernementales ont hérité de lourds mécanismes mais on y trouve de nombreux talents parmi l’élite de la Nation. Il en est de même chez les industriels, grands groupes capables de déployer des solutions globales, PME spécialisées dans des outils innovants, et académiques en constante permanente des possibilités scientifiques.

Nous vivons une situation d’exception, à l’image de l’état d’urgence qui se prolonge, et nous sommes tous prêts à dépasser nos différences qui, loin de nous léser, enrichirons notre capacité à relever ensemble notre étendard, pour notre sauvegarde et notre succès commun. De tous temps, les nations modernes, y compris la France, ont su le faire et en retirer prospérité et liberté lorsqu’elles étaient « du bon côté de la force ». A son tour touché de plein fouet à plusieurs reprises, notre pays a déclenché dans le monde entier un mouvement de sympathie et de coopération inédit. Il faut le pérenniser en faisant progresser l’Europe de la sécurité par des coopérations techniques, opérationnelles et juridiques accrues. Il n’est pas question d’adopter une posture velléitaire, ni d’oublier l’Etat de droit. Dans ce contexte si particulier, notre filière de sécurité doit rapidement accélérer et s’imposer collectivement un choc de simplification et d’efficience !

[i]
[i] Lien ? [Numéro 10, page 6]

[ii]

                        [ii] www.riscuk.org

[iii

                        [iii] https://www.adsgroup.org.uk/articles/45589

[iv]

                        [iv] http://www.riscuk.org/sidc/