Eric Mathais : un procureur engagé

Eric Mathais, Procureur de la république, travaille dans un département qui aurait fait fuir bon nombre de ses confrères : la Seine-Saint-Denis. Si ce territoire se veut le plus pauvre de France, et le second plus violent du pays, il n’en reste pas moins un territoire « extrêmement attachant » où la multitude de défis à relever est une source de motivation pour celui qui a choisi de servir avec loyauté, sens de l’équité et intégrité, la justice.

Rencontre avec le Procureur Eric Mathais, Procureur dévoué, rigoureux et visionnaire.

Par Camille Léveillé

La Seine-Saint-Denis : 2e département le plus dangereux de France

La Seine-Saint-Denis, département au nord de Paris, est confronté depuis de nombreuses années à une multitude de problèmes sécuritaires. « Dans le département, nous avons des questions liées à la délinquance et la criminalité qui sexpliquent par des facteurs que lon ne retrouve pas dans dautres départements de métropole. Officiellement, 1,7 million de personnes vivent en Seine-Saint-Denis mais en réalité nous atteignons sûrement les 2 millions d’habitants. Cela pèse nécessairement sur les activités des services publics : l’hôpital, l’école, la justice mais aussi la police » explique Eric Mathais et de poursuivre : « Le département est un lieu de multiculturalisme exceptionnel qui comporte parallèlement un risque de communautarisme. 170 langues différentes sont parlées et 130 nationalités cohabitent ensemble. Cest incroyable. On ne trouve ça nulle part ailleurs ». Avec 17,7 % des habitants du département vivant avec moins de 940 euros par mois, la Seine-Saint-Denis est le département le plus pauvre de France métropolitaine. Il est également le plus jeune. Des facteurs qui expliquent en partie que ce territoire occupe la deuxième place des départements les plus dangereux de France. Aussi, la justice ne manque pas de défis à relever. En 2023, Eric Mathais a des priorités claires. Poursuivre la lutte contre les stupéfiants, l’habitat indigne, la délinquance et le proxénétisme, notamment des mineures. « Ce sont des invariants et notre objectif est véritablement de retrouver un niveau de délinquance qui soit « acceptable » par rapport aux standards nationaux » confie-t-il. Cette année sera également l’occasion de débuter de nouveaux chantiers à l’instar de « la mise en place dune chambre de déstockage pour des dossiers ayant fait lobjet dune information judiciaire. Nous avons actuellement un peu plus de 500 ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel dont certaines datent davant 2020 qui ont été rendues par les juges d’instruction et que nous ne sommes pas en mesure de juger. Or, ce sont des dossiers anciens et graves. Notre tribunal correctionnel fonctionne déjà à plein régime, nous ne pouvons pas faire plus. Nous avons demandé des renforts supplémentaires. Nous espérons avoir les moyens de le mettre en place en septembre 2023 » détaille Eric Mathais.

Les Jeux Olympiques en ligne de mire

Le département sera en première ligne des Jeux Olympiques. Le village olympique sera à Saint-Ouen, le village des médias au Bourget, le stade de France sera réquisitionné pour de nombreuses épreuves. Chaque jour, dans le village olympique, 15 à 20 000 personnes seront présentes. Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, 1,9 million de personnes sont attendues pendant les Jeux. Un défi sécuritaire sans précédent pour le département. « Le ministre de l’Intérieur a affiché un objectif zéro délinquance dans le département ou a minima dans les communes accueillant des épreuves. » souligne Eric Mathais. Les moyens vont être fortement renforcés et ce dès aujourd’hui. « Les JOP en Seine-Saint-Denis cest maintenant. Pour preuve, depuis le dernier trimestre de l’année 2022, le nombre de garde à vue en matière de stupéfiants a augmenté, selon les jours, entre 55 et 90 % » poursuit le Procureur de la République avant de mettre en garde : « Il y aura sans doute un phénomène de déport de la délinquance auquel nous serons attentifs, soit dans les communes du département qui ne seront pas sous le feu des projecteurs ou dans les départements limitrophes. Il y aura un certain nombre de personnes à interpeller, des enquêtes à mener, la justice doit être prête. Il faudra renforcer la capacité de juger en urgence. Actuellement nous avons deux comparutions immédiates qui fonctionnent tous les jours ouvrés. Pendant cette période, notre objectif est de créer une troisième comparution immédiate. Nous pourrions également en ouvrir une supplémentaire le samedi ». Autre piste pour désengorger le tribunal de Bobigny : l’assouplissement des règles de compétences territoriales. « Nous pourrions imaginer quen dehors du tribunal de Paris et de Bobigny, il y ait des tribunaux périphériques moins chargés. Un certain nombre de dossiers devant être traités en urgence pourraient y être jugés » propose Eric Mathais. Un renforcement des moyens qui pourraient, espère le Procureur, figurer au rang d’héritage des Jeux.

Le fléau des violences conjugales

« Le département de Seine-Saint-Denis a toujours été l’un des départements les plus concernés par les violences au sein du couple. Ce niveau de violence est notamment lié aux communautés et cultures très différentes qui cohabitent dans le département. Dans certaines d’entre elles, le statut de la femme et le niveau de normalité de relations entre les hommes et les femmes sont différents. Il est parfois inenvisageable quune femme victime de violences le signale. » explique Eric Mathais. Un constat qui peut, en partie, expliquer le chiffre noir des violences conjugales dans le département qui reste très élevé. « J’aimerai dire aux femmes victimes de violences quil ny a pas de petites violences. Il sagit dun engrenage. Je les encourage donc à déposer plainte dès le premier acte violent. La justice est là pour réparer. Il faut aussi savoir que, le passage du conjoint violent devant la justice peut parfois permettre d’éviter que des violences saggravent » alerte le Procureur de Bobigny. Mais, la justice ne pourra mener seule le combat pour endiguer les violences conjugales. Eric Mathais en est bien conscient. « Le travail que nous menons est collectif. Nous avons progressé sur laccueil au sein du commissariat, lorientation dans les commissariats par les associations et sur le traitement par la justice de ces affaires. Nous avons travaillé à la réalisation dune trame type de laudition des victimes au commissariat. La qualité d’audition et denquête reste le gage que les affaires puissent aboutir devant le tribunal correctionnel. De fait, la DACG a mis en ligne un observatoire de violences par conjoint. Entre 2017 et 2021, au niveau national il y a eu + 97 % de condamnations en la matière et ce chiffre atteint + 100 % dans le tribunal de Bobigny. Ces augmentations ont été rendues possibles grâce à la spécialisation des collègues de la justice, en organisant mieux les permanences ou encore en créant des boîtes mails dédiées pour que les signalements en matière de violences au sein du couple soient traités en priorité » dévoile Eric Mathais. Un travail qui se poursuit sur le territoire en partenariat avec l’ordre des médecins du 93.

Vers la création dun pôle violences conjugales

« Le traitement des dossiers de violences intrafamiliales ou au sein du couple nécessite une attention, une spécialisation et un partage dinformations entre de nombreux services du tribunal. Cest pourquoi avec le Président du Tribunal nous militons pour la création dun pôle dédié aux violences au sein du couple » révèle t-il, et de poursuivre : « Ce pôle entraînerait la création dune permanence du Parquet. Associations et services de police pourraient se tourner vers cette permanence uniquement dédiée aux violences conjugales. Nous aurions un suivi très fin des dossiers de manière à partager au sein de tous les services concernés lensemble des informations qui peuvent parfois être éparses, afin que tous les services du tribunal disposent du même niveau dinformations. Cela est important pour prendre la meilleure décision et coordonner les mesures de protection et d’informations des victimes. Le dernier objectif serait daugmenter la capacité de jugement du tribunal correctionnel en créant des audiences nouvelles pour réduire les délais de traitement ». Derrière ces actions fortes menées par un procureur plein d’ambitions pour le département, Eric Mathais souhaite avant tout protéger les victimes et, plus largement recréer un lien de confiance avec ses justiciables. Si le magistrat se veut reconnaissant des moyens qui lui sont alloués, il « souhaite faire plus encore » notamment en faveur des victimes de violences intra-familiales. Et de conclure. « En Seine-Saint-Denis, il y a une véritable soif de justice ».