La sécurité des Philippines,  le difficile jeu d’équilibriste  

Situées dans l’axe de la ceinture de feu du Pacifique, les risques naturels mettent la résilience philippine à l’épreuve. La criminalité en hausse, la persistance de groupes terroristes affiliés à Daesh ou encore la piraterie maritime pèsent toujours sur la sécurité du pays. Une situation qui pourrait bien bénéficier à Pékin, qui continue de lorgner l’espace maritime philippin pour atteindre son ambition en mer de Chine méridionale. Face à ces défis, où en est le président Ferdinand Marcos Jr de son agenda sécuritaire un an après son élection ?  

Par Théo Lhen Tallieu  

Défis sécuritaires internes  

Le réveil du volcan Mayon suivi, quelques jours plus tard, d’un séisme de magnitude 6,2 l’ont illustré, les catastrophes naturelles sont légion au coeur de l’archipel. Avec 24 volcans actifs mais également dans une zone de forte activité cyclonique et sismique, l’urgence prime souvent sur les autres priorités sécuritaires persistantes du pays. Parmi les dossiers épineux, les insurgés communistes de la New People’s Army restent actifs dans la plupart des provinces malgré certaines victoires de l’armée, à l’image de la libération de la province de Quezon annoncée par le gouvernement le 15 juin dernier. Ces tensions se reflètent directement sur la vie politique du pays. Déjà en septembre 2022, le nouveau gouvernement de Bongbong Marcos tentait d’inscrire le parti communiste parmi les organisations terroristes, avant que la justice ne s’y oppose. Les Philippines sont également la cible d’attentats islamistes de la part de groupes toujours actifs malgré une accalmie relative depuis l’accélération de l’autonomie politique de la région de Bangsamoro et le référendum de 2019.  

Modernisation capacitaire en cours  

Conséquence des menaces qui pèsent sur l’archipel, le gouvernement repense son architecture de défense et de sécurité. Le budget attribué aux forces armées est en constante augmentation – plus 51% depuis 2018 – pour atteindre cette année un record d’investissement de 240 milliards de pesos philippins (4,3 milliards de dollars). Parmi les priorités, l’augmentation des capacités de certains domaines clés est visée. L’aviation notamment devrait connaître une modernisation grâce à l’achat de matériel qui doit permettre une capacité d’intervention et de surveillance accrues sur l’archipel comme l’espère le général Stephen Parreño, chef d’état-major de la force aérienne des Philippines. Après avoir refusé leur envoi vers l’Ukraine, la Suède devrait exporter ses JAS 39 Gripen vers les Philippines. Manille entend, elle, toujours se doter de matériel américain F-16 Fighting Falcon Block 70/72 modernisés. Les voisins japonais s’activent également à contribuer à cette modernisation sans précédent. Lancée en mars 2023 par le ministre des Affaires étrangères Yoshimasa Hayashi, l’Official Security Assistance permet l’achat de matériel militaire japonais à crédit dans la droite ligne de la stratégie d’aide au développement du Japon dans son environnement direct. Manille en bénéficie directement, actant encore un peu plus la relation de proximité avec Tokyo qui s’implique également dans la résolution des conflits internes philippins. « Les Japonais disent être impliqués dans le processus de paix à Mindanao non pas pour des raisons humanitaires mais pour que les Philippins puissent se tourner enfin vers les menaces extérieures. » soulignait Marjorie Vanbaelinghem, directrice de l’IRSEM, dans une étude  d’avril consacrée à la sécurité des Philippines.1   

L’archipel en première ligne face aux ambitions régionales chinoises  

Les Philippines subissent de plein fouet les appétits chinois dans le bassin maritime. Les revendications territoriales sur les îles Spratley portées à la fois par Pékin et Manille, sont l’objet de vives tensions, considérant leur importance stratégique mais également la richesse en ressources des sols. Les menaces directes de la part de la Chine sont fréquentes. En février, les forces chinoises ont procédé au pointage laser des navires philippins qui devaient ravitailler le Sierra Madre, navire volontairement échoué par Manille contre une île des Spratley depuis 1999 pour lui assurer une position face aux revendications chinoises. L’ancien président Rodrigo Duterte jouait la carte de l’apaisement en dépit des tensions, se conformant aux limites revendiquées par Pékin. Cette mise en conformité, qui limitait les patrouilles et exercices philippins à une distance de 12 miles au large des côtes, est désormais révolue depuis le changement de gouvernement en 2022. Le président Marcos dénonce régulièrement les pratiques chinoises et élargit progressivement la zone maritime pour les navires philippins afin de se détacher des limites établies par son prédécesseur.  

Manille-Washington : une partenariat revivifié ?  

Malgré les discontinuités dans la relation sous la présidence de Duterte, la relation bilatérale avec Washington s’est tout de même réaffirmée dès juin 2021 après certaines manoeuvres communes en mer de Chine méridionale, malgré la réticence affichée du congrès étasunien face aux violations des droits humains imputés à l’ancien président philippin. Les Etats-Unis dédient désormais la plus large part de leur aide financière à des fins militaires dans la région aux Philippines, qui bénéficie de près de 625 millions de dollars sur 5 ans.2 En avril, le plus important exercice conjoint, « Balikatan », s’est tenu autour de l’archipel. Durant deux semaines, 18 000 soldats ont participé aux opérations, l’occasion pour les deux parties de rappeler la solidité de l’alliance.  

D’une dépendance à l’autre  

Ce rapprochement réaffirmé entre Manille et Washington reste cependant mesuré. Le non-alignement reste toujours le maître-mot de la posture diplomatique portée par le président Marcos Jr. La Chine reste un partenaire commercial privilégié, jusqu’à rendre les Philippines progressivement plus dépendantes depuis la pandémie. Le gouvernement semble souhaiter cumuler le meilleur des deux mondes entre partenariat militaire avec les Etats-Unis et Tokyo d’une part, et partenariat économique rapproché avec Pékin, afin de capter des investissements chinois. Marjorie Vanbaelinghem évoque un « découplage » entre stratégie et économie, bien que selon elle « (…) la notion a ses limites car l’économie relève de la sécurité pour les Philippines, et les aspects de sécurité ont aussi des implications économiques. »3