Comprendre et pratiquer l’influence

Si le terme pâtit toujours, en France tout du moins, d’une charge négative, l’influence constitue un levier décisif pour qui veut faire de son environnement, tout à la fois décisionnel et informationnel, un allié dans l’atteinte de ses objectifs stratégiques.

Dans le monde tout à la fois dilaté, fragmenté et hyperconnecté qui est le nôtre, l’influence est devenue une nécessité pour tous les acteurs. Visant à configurer favorablement l’espace opérationnel, médiatique, normatif et relationnel dans lequel se meut chaque organisation, elle illustre aussi les interactions entre pratiques civiles et militaires.

« Au sein de nos sociétés toujours plus interconnectées et surmédiatisées, l’influence s’impose comme un concept, une méthode, un outil du quotidien pour toutes les organisations, privées ou publiques, civiles ou militaires », observent Ludovic François et Romain Zerbib dans leur entretien à la lettre Communication & Influence (n°65, mai 2015), à l’occasion de la parution d’Influentia. Dans cet ouvrage collectif qu’ils ont dirigé pour les éditions Lavauzelle, les deux chercheurs en sciences de gestion proposent une approche renouvelée de cette notion. Une approche également polyphonique, au regard du nombre de contributeurs souvent de haut niveau (Joseph Nye, Noam Chomsky, Edward Freeman, John Arquilla…). Si le terme latin influentia désigne « une action attribuée aux astres sur la destinée des hommes », une sorte de flux invisible orientant leurs décisions, c’est l’influence intentionnelle qui intéresse aujourd’hui les décideurs. C’est-à-dire l’ensemble des actions contribuant à un pouvoir « plus subtil que la force et plus avantageux que l’échange », dans la mesure où il permet de « gagner une emprise sans rien donner en échange, sans récompense ni menace » (François-Bernard Huyghe). Action de communication assumée, l’influence ne mobilise pas les leviers classiques de la manipulation ou de la coercition. Elle s’appuie sur les vieux principes de la rhétorique (pathos, logos, ethos), ciblant « les coeurs et les esprits » des acteurs d’un marché, d’un problème politique ou d’un conflit afin de modifier favorablement leur comportement, en générant de l’adhésion à ses valeurs et à ses objectifs. La méthode ne consiste pas à asséner un discours, mais à partir des centres de préoccupation et d’intérêt de son public-cible (ses « parties prenantes ») afin d’engager un réel dialogue. L’influence étant par nature un processus itératif, elle nécessite une connaissance fine de l’univers culturel et psychologique de ses cibles, de l’environnement humain de son action.

L’influence en accompagnement des opérations militaires

Autrefois connue sous le nom d' »action psychologique », l’influence a fait l’objet d’une réappropriation ces dernières années au sein des armées, notamment depuis l’engagement afghan. Autour d’une certitude, éprouvée par l’expérience: la capacité à influencer les acteurs d’un conflit ou d’une crise contribue directement au succès de la campagne militaire. À l’heure médiatique et de la globalisation, marquée par l’absence de frontières physiques à la circulation de la moindre information, les idéologies, les émotions, les rumeurs agissent plus que jamais sur les individus et les opinions publiques. Les domaines psychologiques et cognitifs sont ainsi devenus de véritables champs d’affrontement, où se livre la « bataille des perceptions » entre les différentes parties prenantes d’un conflit. « Aujourd’hui, les spécialistes des opérations d’influence sont systématiquement intégrés aux entrées sur les théâtres d’opération », constate Romain Mielcarek dans le dernier numéro hors-série de la revue DSI. Ces spécialistes, regroupés depuis 2012 au sein du Centre Interarmées des Actions sur l’Environnement (CIAE), mobilisent deux leviers principaux : les opérations militaires d’information (diffusion de tracts, impression de journaux, montage d’une radio…) et les actions civilo-militaires (reconstruction d’infrastructures, mise en place de moyens sanitaires, relance de l’activité économique…). Toutes concourent au même but : « faciliter les relations des chefs militaires en opérations avec l’environnement humain local » et faire accepter l’action des forces françaises auprès des populations dans les zones où elles interviennent. Pour être variées, ces actions nécessitent donc une connaissance préalable, puis régulièrement actualisée, de l’environnement humain dans lequel elles se déploient, tout en contribuant à la connaissance de cet environnement : « Au-delà de leur impact au quotidien, les projets permettent l’accès aux vecteurs d’influence positive et aux décideurs locaux. Ils constituent une opportunité pour créer du lien. » explique le CIAE.

Renseignement et influence : une évidente complémentarité

Renseignement et influence ne se confondent bien évidemment pas. Les spécialités sont distinctes, de même que les pratiques et les objectifs. Quand le renseignement vise la connaissance de son environnement, par tous les moyens que lui accorde la loi, l’influence cherche la modification de cet environnement, mais toujours en toute transparence. Les soldats du CIAE, par exemple, ne sont pas des « agents de renseignement »! Pour autant, la complémentarité apparaît évidente entre ces différentes spécialités, dont l’information est le carburant, et la facilitation de l’action la finalité. C’est tout le sens du projet de réorganisation, d’ici à l’été 2016, de la fonction renseignement de l’armée de Terre autour d’un commandement unique, en capacité de coordonner l’emploi et l’évolution de tous les moyens de recherche, d’exploitation et d’influence. Déjà, au sein des entreprises, les directeurs sécurité & sûreté travaillent de plus en plus avec les cellules d’IE, et les traditionnelles « RP » se sont ouvertes aux pratiques d’influence. Un mouvement de décloisonnement vertueux, mais sans doute encore trop timide : ce sont de véritables synergies qu’il s’agit de concevoir au profit de stratégies plus globales, plus offensives, plus efficaces.

Aller plus loin : Influentia, par Ludovic François et Romain Zerbib (dir.), Lavauzelle, 432 p., 27,30 € ; « Influence, psyops et propagande. Pénétrer le cerveau adverse », DSI hors-série n°41, avril 2015, 10,95 € ; L’influence en appui aux engagements opérationnels, réflexion doctrinale interarmées, n°073 DEF/CICDE/NP du 31/03/2012, www.cicde.defense.gouv.fr ; blog communicationetinfluence.fr

EXTRAIT

Quelles qualités humaines pour les opérations d’influence ? L’exemple du CIAE : « Les personnes mutées au CIAE doivent être ouvertes sur le monde, avoir une grande curiosité d’esprit, de l’imagination et de la créativité. Elles doivent avoir également une appétence certaine pour les relations humaines, un contact facile et une vraie intelligence des situations. »

Colonel Renaud Ancelin, chef de corps du CIAE, interview à DSI, HS n°41, op. Cit.

Source : CODEX – Brigade de renseignement