E-ID, E-Gov en Europe : quelles perspectives ?

Par Jean-François Hardy

« La révolution industrielle de notre époque est digitale. Les e-services publics doivent répondre aux besoins d’aujourd’hui : être numériques, ouverts et transfrontaliers dès l’origine (« by design »). L’Union Européenne est l’échelon pertinent pour l’ère numérique. » soulignait Andrus Ansip, Vice-Président en charge du Marché unique du numérique. Alors que la première signature électronique d’un acte législatif de l’Union européennee a eu lieu le 25 octobre dernier, il est intéressant de s’interroger sur l’état des lieux et les perspectives de l’e-gouvernement en Europe.

L’ESSOR DE L’E-GOUVERNEMENT EN EUROPE

Le eGovernment Benchmark 2016 « A turning point for eGovernment development in Europe? » démontre l’essor considérable de la digitalisation des administrations en Europe. Aujourd’hui, 81 % des services publics seraient accessibles en ligne.

La Commission européenne a lancé son Plan d’Action 2016-2020 en faveur du e-gouvernement, qui rassemble les principes devant gouverner la digitalisation des administrations et des services publics : être digital d’office, transfrontalier d’office, once only (dite-le-nous-une-fois), inclusif d’office, prévoir la protection de la vie privée et des données, être ouvert et transparent d’office. Ce plan se donne comme priorités, en lien avec l’approfondissement du marché unique numérique, de moderniser les administrations via les outils numériques clés, d’achever l’aspect transfrontalier et l’interopérabilité, de faciliter les interactions numériques entre les citoyens/les entreprises et les administrations. La vision défendue par la Commission est que d’ici 2020, les administrations et les institutions publiques devraient être « ouvertes, efficaces, inclusives, user-friendly. » Mais les Etats membres ont déjà avancé.

DES INITIATIVES NATIONALES NOMBREUSES

Tous les Etats de l’UE sont engagés dans une démarche d’e-gouvernement. Une liste exhaustive dépasserait le simple cadre de cet article, mais on peut mentionner : au Royaume-Uni, en mai 2016, Gov.UK Verify tool a été lancé, afin d’être l’outil de vérification des identités numériques pour le gouvernement central, dans l’objectif de permettre aux citoyens un accès simplifié et standardisé aux services en lignes. Plus tôt la même année, Gov.UK Pay est devenu la plateforme unique de paiement, indépendamment du service concerné. En Slovénie, l’office de la statistique encourage les universités à utiliser les données gouvernementales mises en open data. L’OPSI, le service d’Open Data gouvernemental, organise ainsi chaque année un Open Data Festival du Secteur Public, médiatisant des exemples d’utilisation des données, comme Parlameter (l’équivalent de nosdéputés.fr). En France, le SGMAP organise la semaine de l’innovation publique.  En Bulgarie, l’Agence d’Etat pour l’e-gouvernement, la SEGA, lancera en 2018 un service de cloud pour les municipalités. L’absence de connexion entre les systèmes gouvernementaux est un des freins majeurs au développement de l’e-gouvernement. L’Agence escompte, grâce à une banque interconnectée, RegiX, pouvoir très prochainement se passer de formulaires papiers pour les impôts. La Slovaquie va lancer un portail en ligne de création d’entreprise, facilitant l’enregistrement des statuts et épargnant du temps aux entrepreneurs grâce à l’application du principe once-only. L’incitation est parfois particulièrement vive : en Belgique, la Banque Carrefour pour la Sécurité Sociale (qui gère les échanges de données de près de 2 000 caisses de sécurité sociale) ne reconnaît plus depuis le 1er octobre le protocole d’échange de données WS70, et appelle tous les services publics à changer pour des services web. Ces derniers offrent des possibilités concrètes que le protocole WS70 ne pouvait plus assurer. L’Estonie (qui dispose déjà d’une carte d’identité électronique, de titres de propriétés numériques, et réfléchit actuellement à une monnaie entièrement numérique) renforce considérablement sa prise en compte du principe once only à travers notamment un programme, X-Road, d’échange décentralisé de données qui interconnecte toutes les applications numériques gouvernementales.

UNE FRACTURE EUROPEENNE

Mais ces multiples projets, plus ou moins aboutis, ne sauraient dissimuler la réalité : une fracture européenne en matière d’e-gouvernement existe et certains pays demeurent en marge du mouvement. La Commission européenne emploi le terme « diagonale digitale », séparant le contient entre les pays du sud-est et ceux du nord-ouest (ce qui s’illustre nettement sur la carte qu’elle produit dans son rapport eGovernement Benchmark 2016). Si à l’échelle européenne, la moitié des citoyens utilisent Internet pour échanger avec les administrations, cette moyenne dissimule des disparités importantes. Ainsi ils sont, par exemple, 85 % en Islande contre 10 % en Roumanie. Plus grave et plus inquiétant pour les perspectives de l’e-gouvernement : 1 européen sur 5 n’a pas les compétences basiques en matière de numérique pour accéder à internet (21 %).

FREINS, VISION ET METHODES

Afin de passer un cap dans le développement de l’e-gouvernement, un certain nombre de pays, dont la France, vont devoir se pencher sur la question de permettre aux citoyens de disposer d’une identité numérique forte et fiable. Le vieux débat hexagonal sur la carte d’identité électronique ressurgit alors. Elle présenterait incontestablement l’intérêt de pouvoir fédérer des identités numériques multiples qu’utilisent aujourd’hui nos concitoyens, avec un système de login / mot de passe aisément corruptible. Le succès rencontré par la CNIE dans tous les pays l’ayant adopté est étroitement lié à son association aux services d’e-administration. Depuis 2002, l’Estonie dispose d’une carte d’identité numérique. Le choix du gouvernement estonien d’opter pour un fichier centralisé et intégré pourrait rebuter les français que nous sommes : l’idée de voir des données de santé côtoyer des données personnelles nous semble étrange. Mais les technologies sont disponibles pour générer une identité numérique forte et fiable tout en segmentant, cloisonnant, ‘‘anonymisant’’ ou ‘‘pseudonimysant’’ les données.

En terme de vision, la digitalisation des services de l’Etat doit, en premier lieu, intégrer la digitalisation de la société, en d’autre termes : tout nouveau service doit être pensé by-design sur le numérique. Au-delà, suivre les besoins exprimés tant par le secteur privé que par les citoyens semble une voie naturelle. C’est adopter l’approche user centric qui rompt avec celle encore trop souvent à la manœuvre. Le eGovernment Benchmark 2016 de la Commission dénonce justement « les gouvernements ont progressé dans la digitalisation de leurs services, mais la qualité de l’expérience utilisateur (vitesse et facilité d’utilisation) n’est pas toujours au rendez-vous. » S’adapter aux usages, c’est également s’adapter aux médians des usages. Alors qu’à peine un site public sur 3 est mobile friendly à l’échelle de l’UE, il faudra un jour ou l’autre assurer l’identification et la signature par le biais des smartphones.

L’AVENIR EUROPEEN

L’Union Européenne porte des projets à l’envergure du continent, respectant by-design le ‘‘cahier des charges’’ de la Commission. Que l’on songe à e-Codex (qui facilite la justice transfrontalière) et au portail e-Justice par exemple. Le Règlement eIDAS en vigueur pour les services électroniques de confiance est un cadre juridique permettant d’assurer l’interopérabilité des authentifications et la reconnaissance mutuelle des signatures électroniques. Les fonds régionaux disposent des capitaux pour assister les Etats moins avancés dans l’e-gouvernance à rattraper leur retard. Et, last but not least, le pouvoir d’harmonisation du droit européen est le seul à même de faire passer un cap à l’e-gouvernement dans toute l’Union européenne. Demain, on peut espérer qu’un Tchèque quittant Paris pour Barcelone pourra préparer son changement de liste électoral sur son téléphone. Alors la transparence, la liberté de circulation, l’ouverture des administrations sur le monde tel qu’il est, en bref les promesses de l’e-gouvernement, ne seront plus des perspectives mais des réalités tangibles pour les citoyens de l’Union.