Entre espoir et menaces existentielles, quels défis pour le Sahel en 2019 ?

Selon l’Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED), le Sahel est le « dilemme géopolitique de l’année 2019 ». Pression démographique, attaques djihadistes récurrentes, pauvreté endémique, tensions interethniques, changement climatique… La région est en effet au cœur de nombreux enjeux. Cependant, si les difficultés sont bien connues et documentées, les solutions font moins souvent l’objet de débats. En 2019, les pays du Sahel devront, autant que possible, tenter de faire de ces défis des opportunités.

Par Pauline Le Roux

A première vue, la situation n’incite certes guère à l’optimisme. Depuis janvier 2013 et l’intervention française qui a empêché la prise de contrôle du Mali par les groupes djihadistes, la spirale des violences au Sahel s’est étendue inexorablement. Les efforts majeurs consacrés par la France, les Nations Unies et les forces armées des Etats pour combattre ces groupes n’ont jusqu’à présent pas suffi à enrayer la progression des attaques djihadistes, qui ont doublé chaque année depuis 2016.

Augmentation des violences

La situation est particulièrement préoccupante au Mali, où les attaques djihadistes ont causé plus de 500 morts pour la seule année 2018, et au Burkina Faso, où les attaques ont été multipliées par cinq entre 2017 et 2018. Aux maux structurels affectant la zone depuis de longues années – contrebande, trafics d’armes, faiblesse de la présence étatique – se sont superposées des tensions inter-ethniques, alimentées par les violences djihadistes et générant des affrontements sanglants au centre Mali, au Niger, au nord du Burkina Faso et à l’est du Tchad. Ces conflits résultent de décennies de tensions largement aggravées par la raréfaction des terres disponibles, qui force les communautés à entrer en concurrence pour l’utilisation des mêmes sols.

Les zones périphériques constituent en particulier des zones d’action privilégiées par les djihadistes, mobiles et se fondant facilement au sein de la population locale. Alors que les pays sahéliens affichent déjà des indices de développement humain (IDH) parmi les plus faibles au monde, ces territoires éloignés du pouvoir central, marginalisés économiquement et socialement, sont fragilisés depuis plusieurs décennies par de graves dérèglements climatiques, des perspectives économiques limitées et une remise en cause des modèles traditionnels. Dans ce contexte, certains jeunes tentent le voyage vers l’Europe, tandis que d’autres sont séduits par le discours extrémiste, qui vante l’accès à un nouveau statut social et à une rémunération attractive.

Le G5 Sahel, une réponse interrégionale

C’est pour faire face à cette insécurité grandissante que le G5 Sahel a vu le jour en février 2014. Rassemblant la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad – autant d’Etats aux territoires immenses et dont le contrôle n’est que très relatif sur de vastes zones semi-désertiques – l’objectif du G5 Sahel est de renforcer la coopération interétatique pour faire face à ces défis largement transfrontaliers et à mutualiser les moyens pour y répondre de manière structurelle et coordonnée. En février 2017, encouragés par la France, les cinq pays ont matérialisé cette alliance en lançant une alliance militaire inédite, la force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S). Forte de 5000 hommes, celle-ci est en cours de déploiement et a pour objectif principal de combattre les groupes terroristes.

Conscients de l’urgence de la situation, les acteurs internationaux ont également accru leurs efforts. En juillet 2017, sous impulsion franco-allemande est né un mécanisme inédit, l’Alliance Sahel. Celle-ci vise à soutenir la mise en œuvre de projets de développement à destination des zones marginalisées du Sahel et à soutenir le développement global de la région tout en évitant les écueils traditionnels du développement (redondance des projets, manque de coordination des bailleurs, etc.).

Des opportunités pour soutenir un développement durable

En dépit de tous ces défis, la région du Sahel est aussi porteuse d’opportunités, notamment économiques. Avec ses plaines immenses, un climat garantissant plus de 300 jours d’ensoleillement par an et des vents favorables, la zone offre des possibilités de développement des énergies renouvelables, via l’implantation de panneaux solaires et de parcs éoliens. C’est déjà le cas en Mauritanie : à Nouakchott, 80% de l’énergie consommée est d’origine renouvelable. Selon une étude récente, bien utilisés, ces moyens pourraient à terme générer des externalités positives pour la région, comme l’augmentation des précipitations.

Par ailleurs, la découverte de techniques simples favorisant une reforestation à grande échelle grâce à la plantation de certains types d’arbres ayant un effet fertiliseur pour les sols, offre là aussi un motif d’espoir. Ces méthodes pourraient permettre d’améliorer le rendement des cultures tout en luttant contre la désertification. Le Banque mondiale finance également des méthodes de soutien à l’agriculture alliant irrigation et énergie solaire, avec l’objectif de rendre ces techniques auto-suffisantes.

Une nécessaire évolution des pratiques des forces de sécurité

In fine, les clés de la réussite de ces projets résident dans l’appropriation par les Etats sahéliens de ces solutions. En ce sens, c’est aussi la réponse mise en œuvre par les Etats et leur rapport aux populations qui doivent être analysés, et sans doute adaptés. Face aux attaques des djihadistes, le déploiement de forces armées, parfois sous-entraînées et insuffisamment équipées, s’est souvent traduit par une répression brutale et indiscriminée à l’encontre des populations civiles. Ces abus ont nourri un ressentiment croissant vis-à-vis des représentants de l’Etat, terreau fertile de recrutement pour les groupes djihadistes. En 2017, le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) avait publié une étude aux conclusions édifiantes : sur un échantillon de 495 recrues ayant rejoint volontairement des groupes terroristes, 71% affirmaient qu’une action du gouvernement avait été « l’élément déclencheur » de leur engagement dans un groupe extrémiste violent, à leur encontre ou à l’encontre de l’un de leurs proches.

Cet aspect souligne là aussi la nécessité d’agir rapidement sur les modalités de la réponse étatique. De même que le « tout militaire » semble voué à l’échec, il est du ressort des Etats de veiller à ce que leurs forces de défense et de sécurité ne contribuent pas à entretenir un terreau de recrutement pour les groupes radicaux, en agissant d’une manière qui respecte les droits et prenne en compte les aspirations des populations. Le 12 février dernier, Alioune Tine, expert indépendant des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme dans ce pays, ne s’y trompait pas, en affirmant au sujet du Mali la nécessité d’« une réponse militaire efficace, avec des hommes bien équipés et bien formés menant des opérations en toute conformité avec les droits de l’homme, pour faire cesser les violences dans les meilleurs délais et protéger les populations civiles ».

Les défis sont nombreux, mais des solutions existent. Pour espérer offrir aux populations sahéliennes un avenir meilleur, il est fondamental que les Etats sahéliens s’emparent de ces enjeux dès à présent.