Coopération et innovation : comment associer les entreprises aux territoires pour innover ?

La mobilisation extraordinaire des acteurs de l’écosystème du territoire durant la crise sanitaire a montré que des actions pouvaient être menées par et pour la collectivité. Dès lors, il convient de repenser ensemble les politiques qui accompagneront le développement des territoires de demain. L’entreprise a besoin de connaître l’écosystème du territoire pour s’implanter et a fortiori dynamiser ce dernier. « Libérons la créativité et l’énergie du terrain », soulignait Emmanuel Macron dans son discours à la Nation du 14 juin. Il faudra alors que les acteurs des territoires travaillent ensemble pour construire la société de confiance à laquelle Alain Peyrefitte attribuait la prospérité de l’Occident.

Par Sylvain Dumont

L’entreprise française : un atout à valoriser

Dans le contexte actuel d’une mondialisation effrénée, les plans de délocalisation gagnent en visibilité et minent la confiance des salariés envers leurs entreprises. Souvent, ces plans sont conduits par les grands groupes industriels. Or, la « France conserve un tissu dense de PME, PMI et ETI très liées aux territoires dans lesquels elles sont implantées », rappelle Anne Guépert, professeur à Sorbonne université. L’image de l’entreprise française est donc entachée par l’appareil médiatique, ce qui tend à rompre le lien de confiance entre entreprise et citoyen. « Les entreprises de taille intermédiaire font 28 % du chiffre d’affaires de toutes les entreprises françaises, réalisent 38 % des exportations et 38 % de l’investissement productif, sont créatrices nettes d’emplois – notamment d’emplois industriels -, et pourtant, elles n’occupent que 2 % de la couverture médiatique et 0,5 % des études universitaires », souligne Eric Fimbel, membre du Laboratoire interdisciplinaire de recherches en sciences de l’action (Lirsa) du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). Les ETI constituent un moteur du développement local, en raison de leur sentiment d’appartenance au territoire. Les entrepreneurs « appartiennent à un écosystème et ont tout intérêt à ce que celui-ci se porte bien s’ils veulent que leurs entreprises soient elles aussi en bonne santé », explique Laurent Fialon, directeur Méditerranée de Pro Bono Lab. Pour conserver et favoriser ce cercle vertueux, il est nécessaire de repenser le paradigme de l’attractivité d’un territoire. Il est vrai que l’on « a longtemps pensé, à tort, que les incitations financières constituaient un élément suffisant pour attirer les implantations. Or, les raisons qui conduisent une entreprise à s’installer et à rester quelque part sont en réalité très variées. » souligne Anne Guépert.

De l’attractivité à l’attrait du territoire 

Alors que l’attractivité d’un territoire renvoie à l’idée de compétitivité et de performance des territoires, il est devenu opportun de réviser ce paradigme, qui constitue l’approche centrale des politiques publiques d’aménagement du territoire de ces dernières années. L’implantation d’une entreprise dans un territoire repose sur un ensemble de critères, qui ne peut et ne doit se résoudre à la simple force d’attraction financière. « Finalement, tout compte : le bassin d’emploi, les infrastructures et les équipements, l’enseignement et la formation, la recherche scientifique, la qualité de vie, etc. Les entreprises veulent pouvoir s’appuyer sur cet « écosystème » qu’est un territoire : c’est pour cela qu’elles continuent de s’implanter dans des localisations onéreuses, comme les métropoles », relève Anne Guépert. Dès lors, la notion d’attrait d’un territoire, « qui se traduit par le désir d’y rester, de venir y vivre ou encore d’y séjourner pour le visiter », selon les sociologues François Cusin et Julien Damon, trouve un écho particulier aujourd’hui. Une approche innovante qui vise à rappeler les champs traditionnels de l’aménagement du territoire, qui ne doivent pas être laissés à l’abandon.

Les démarches innovantes pour repenser le développement du territoire

« Entreprises et territoires ont besoin d’un lien plus direct », rappelle Anne Guépert. Pour assurer ce lien, basé sur la confiance, il est nécessaire de s’appuyer sur des démarches innovantes. De nombreux exemples viennent vanter les mérites de la co-construction. A Epinal, peuplé d’environ 32 000 habitants, « la démarche coopérative innovante à l’origine de PAVATEX a montré, qu’en optimisant une ressource locale traditionnelle (la forêt vosgienne) par une utilisation innovante et en jouant collectif pour mutualiser 7 types de coûts dans le sens de la transition écologique (une boucle écologique), il est possible d’attirer un industriel important sur un territoire en déclin et d’y créer durablement des emplois, tout en évitant l’artificialisation de nouveaux sols (implantation sur un site déjà industrialisé) », explique Marc Desforges, président de Crois-Sens et cocréateur avec la MGEN de la Fabrique des territoires innovants. La coopération étroite des acteurs du territoire illustre la réussite des nouvelles méthodes de développement du territoire basée sur la co-construction. Et de souligner : « Huit ans après la création de l’entreprise avec une centaine d’emplois et 90 millions d’investissement, PAVATEX – qui a récemment doublé sa production de laine-bois – a créé 50 nouveaux emplois » A Mirecourt, petite ville peuplée de 5250 habitants, « l’innovation première consiste en une rupture organisationnelle », analyse Marc Desforges. Le besoin le plus prégnant et le plus mobilisateur est identifié par les citoyens, qui échangent dans un cadre convivial, au café UTOPIC. « Grâce à l’alliance des citoyens via un groupe de « tiers de confiance », la finalisation et le financement – sur six à huit ans d’activités – d’un plan concerté de projets de développement correspondant aux besoins essentiels de la population en matière d’alimentation et de santé semblent en bonne voie », ajoute Marc Desforges.

L’innovation au service des entreprises et du territoire

Si l’innovation conceptuelle connaît des évolutions positives, l’innovation technologique peut venir faciliter la constitution du lien de confiance entre entreprises et territoires. L’entreprise WuDo situé dans le Doubs a récemment réalisé sa première levée de fonds pour un montant de 1 million d’euros auprès d’Invest PME, le Crédit Agricole Franche-Comté, la Banque Populaire Bourgogne-Franche-Comté, et Bpifrance. Cette entreprise a développé une plateforme digitale de partage afin de connecter les entreprises entre elles pour les aider à mutualiser leurs ressources et leurs compétences. Cette solution d’intelligence collective permet de lever les difficultés liées au travail « inter-organisations ». « Quand un projet se mène entre diverses entités juridiques, de différentes natures et de différentes tailles, les frictions augmentent. WuDo propose donc un espace de projets communautaire où trouver les initiatives des uns et des autres, un lab où se nichent des solutions proposées par les membres, des supports à l’animation, des curations communes, et des documents juridiques types associés à une solution de signature électronique »1, explique Pierre Le Moel, dirigeant de la société WuDo. La technologie se met ici au service de l’innovation des territoires, et contribue à garantir le lien de confiance entre les entreprises. Mieux encore, elle permet aux entreprises d’échanger et de se développer à travers l’intelligence collective.

Accompagner et soutenir les entreprises : une nécessité pour renforcer le lien de confiance

L’Etat et la région ont intégré la nécessité d’accompagner les entreprises dans leur développement. C’est pourquoi l’action « Territoires d’innovation » mise en place par le gouvernement donne un signal positif aux territoires et aux entreprises. En apportant 450 millions d’euros du Programme d’investissements d’avenir, financé par le Grand plan d’investissement, le Gouvernement vient soutenir 24 projets co-construits avec les acteurs locaux ; collectivités territoriales et partenaires engagés dans le développement économique des territoires. Ce prix a pour objectif de faire émerger en France les territoires du futur et de nouveaux modèles de développement territorial. Réplicables et exemplaires, ces nouveaux modèles favoriseront l’émergence d’écosystèmes propices au développement économique durable et à l’amélioration des conditions de vie des populations tout en permettant aux acteurs économiques locaux de rayonner. La crise sanitaire a conduit la région a établir des plans économiques pour soutenir les entreprises. Le conseil régional des Hauts-de-France a annoncé dès la semaine du 9 mars, mobiliser une enveloppe de 50 millions d’euros, pour soutenir les entreprises en avances remboursables (30 millions d’euros), et pour accroître les capacités de prêts chez Bpifrance (20 millions). Dans la région du Grand Est, différentes mesures ont été annoncées dont l’objectif est d’accompagner les entreprises. Parmi celles-ci, un « prêt rebond », en partenariat avec Bpifrance, pour permettre aux entreprises le maintien de leur trésorerie, (25 millions d’euros sont mobilisés). La Région Centre Val de Loire et la BPI, vont porter de 70 à 80 % leur niveau de garantie bancaire et faciliter l’accès au fonds de garantie (d’un montant de 17,7 millions d’euros).

Le développement des territoires de confiance favorisé par les entreprises de la sécurité

La mobilisation est transverse et concerne de nombreux domaines. Alors que la France est héritière d’un fort cloisonnement entre le public et le privé, il s’est installé dans la relation entre les entreprises et les territoires, un sentiment de défiance réciproque. C’est pourquoi la signature en janvier dernier du contrat stratégique de filière « Industries et sécurité », entre l’Etat et le Comité stratégique de filière (CSF) représente une opportunité unique de rassembler et renforcer les différents acteurs de l’écosystème (industrie, Etat, utilisateurs), qui ont exprimé un besoin de structuration et de coopération public-privé plus étroite. « La France a pour ambition, à l’horizon 2025, de devenir leader mondial des territoires de confiance, avec l’éthique au cœur de son action, pour les collectivités de toutes tailles, jusqu’au niveau de la commune », confirme Laurent Denizot, pilote du projet « Territoires de confiance » au sein du CSF. Le déblocage d’une enveloppe de 4 milliards d’euros annoncé en mars dernier par le secrétaire d’Etat au numérique Cédric O, visant à aider les start-up, témoigne de l’importance accordée par le gouvernement à cet écosystème et à ses spécificités.

La crise sanitaire a eu le mérite de mettre en exergue l’importance de l’intelligence collective et de la coopération. Révisant le paradigme de l’attractivité, les acteurs faisant parti de l’écosystème du territoire, innovent dans leur façon de concevoir et de développer les territoires auxquels ils sont attachés. « Cette synergie entre entreprises et territoires doit se faire sur le terrain. Elle nécessite une confiance, qui est à reconstruire. Et c’est peut-être le moment, car il y a aujourd’hui, une demande forte de retour au local. Il y a pour cela de bonnes raisons, aussi bien sociales – les « gilets jaunes » nous le rappellent – qu’environnementales ou culturelles. La pandémie de coronavirus pourrait bien y ajouter un motif sanitaire… Retroussons nos manches ! », conclut Anne Guépert. Pour que l’énergie du terrain se libère, il faudra donc veiller à davantage associer les chefs d’entreprises, les élus et les citoyens pour trouver localement les besoins spécifiques des territoires.

1Interview de Pierre Le Moel dans Forbes, le 20 mai 2020.